Le géant aux mains d’argile

A l’abri des grandes théories et de tout compromis, Constant Permeke immortalisa avec sa propre logique esthétique des thèmes intemporels : les  » petites gens  » (pêcheurs et paysans), la mer et la terre. Rétrospective puissante.

Constant Permeke. Rétrospective, palais des Beaux-Arts, 23, rue Ravenstein, à 1000 Bruxelles. Jusqu’au 20 janvier 2013. www.bozar.be

Il y a soixante ans s’éteignait Constant Permeke (1886-1952). Pour l’occasion, Bozar consacre à l’artiste une somptueuse rétrospective. Un ensemble passionnant d’autant plus touchant qu’une longue histoire d’amitié lie l’artiste au palais des Beaux-Arts. En 1930, l’institution – inaugurée deux ans plus tôt – avait déjà organisée une grande rétrospective Permeke. L’artiste y avait ensuite une expo presque chaque année.

S’ils sont moins nombreux (quelque 130 £uvres), les tableaux présentés aujourd’hui dévoilent toutes les facettes de son £uvre.  » Au lieu de suivre d’emblée une ligne purement chronologique, je me suis efforcé de relier tant picturalement qu’émotionnellement les divers thèmes que sont la mer, la terre et l’engagement humain « , explique Willy Van den Bussche, commissaire de l’exposition. D’ailleurs, les sujets représentés sont toujours restés intiment liés à la région dans laquelle il vivait. A Ostende, il a surtout peint la vie des pêcheurs et la mer (thème lui permettant d’exprimer ses émotions, de la sérénité à l’agitation). Dans les environs de Gand, il a été inspiré par la vie rurale, le mode de vie simple et  » primitif  » des locaux.

Passionnément terrien !

Démarrage en  » pointillés  » avec quelques £uvres de jeunesse. Sous le charme d’Emile Claus, Constant Permeke livre des toiles impressionnistes, composées de petits traits ( Marietje de dos avec châle). Des £uvres pour le moins anecdotiques. Loin des conventions et des tendances, l’artiste développe rapidement son propre style, plus expressionniste. A ce titre, Moisson dans le Devonshire constitue un magnifique exemple : Permeke dissout les formes du paysage à tel point que l’on oublie la portée figurative.

Si la vie des pêcheurs apparaissait dans son £uvre avant la Première Guerre mondiale, son retour au pays – après trois années d’exil en Angleterre – encourage sa fascination pour les  » petites gens  » qui entretiennent des rapports sincères avec la terre et la mer. Pêcheurs et paysans s’emparent de presque toute sa production. Rivalisant d’expressivité, ces tableaux d’une facture pâteuse présentent une palette des plus sombres. Seul bémol de l’exposition, certaines toiles très empâtées souffrent d’un vieillissement problématique. En d’autres termes, quelques £uvres – des exceptions – ayant fort mal vieilli laissent le souvenir d’une toile totalement obscurcie ( Les Moissonneurs endormis, Le Repas des pêcheurs).

Le parcours se poursuit avec, toujours au premier plan, la vie des paysans. Leur présence est aussi massive que leurs proportions et silhouettes anguleuses. Ils constituent des archétypes dont les expressions et déformations servent un but supérieur : montrer la psychologie des gens simples et leurs conditions de vie misérables. Avec leur maigre pitance, l’expression  » Manger son pain noir  » n’a jamais pris autant de sens.

Heureusement, la visite réserve quelques  » éclaircies « . Deux £uvres à la palette chromatique moins  » permékienne  » – soit plus vive et plus lumineuse – méritent toute notre attention. La première, Le Cabriolet, présente, dans des tons jaunes et bleus vifs, un couple de paysans endimanchés se rendant à l’église. Sublime ! Second temps fort, La Roulotte. Le peintre immortalise un épisode de la vie de tsiganes établis à Jabbeke en représentant un homme et son enfant poussant péniblement la roulotte. Bouleversant.

Plus loin, la rencontre tant attendue avec Léonie. Toute la campagne marketing de l’événement repose sur elle. Hommage universel à toutes les paysannes au travail, cette femme semble sculptée. Une £uvre qui annonce efficacement les explorations futures de l’artiste… A partir de 1937,  » dieu le père  » de l’expressionnisme flamand, il se consacra, en effet, à la sculpture, discipline étanchant sa soif de monumentalité.  » La terre, qu’il avait peinte dans tellement de ses tableaux, devenait désormais son matériau d’expression.  » Etrangement, cet intérêt pour la matière va de pair avec celui pour le nu. Là encore, l’artiste se concentre sur l’aspect humain, sans la moindre volonté d’idéalisation.

En 1952, lorsque l’artiste décède, c’est une page de notre histoire de l’art qui se tourne. Comme nul autre, Permeke a réussi à extraire de ses modèles une puissance de vie qui transcende le temps et l’espace. Ce dépassement de la réalité rend ses £uvres universelles, les dote d’une résonance intemporelle… le tout au départ d’un ancrage profondément régional.

GWENNAËLLE GRIBAUMONT

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