Et l’humanisme vint…

Bernard Foccroulle signe, avec Robert Legros et Tzvetan Todorov, une étude sur l’individu dans l’art. Concert et débat à l’appui

La Naissance de l’individu dans l’art, Grasset, 239 p., 13 euro. Conférence et concert : le 1er février, 20 heures, à la Monnaie, à Bruxelles. Tél. : 02 229 12 00 ; ou www.lamonnaie.be

Qui douterait aujourd’hui que l’art questionne autre chose que l’homme, pour en révéler au mieux son mystère insondable, ses fondements universels et, au pire, la vacuité navrante d’individus que plus rien d’autre ne relie que leur expression individualiste ? Il n’en a pas toujours été ainsi, comme nous le démontrent dans leur essai, La Naissance de l’individu dans l’art, l’historien Tzvetan Todorov, le philosophe Robert Legros et l’organiste Bernard Foccroulle. Un Foccroulle également directeur de la Monnaie, à Bruxelles, qui invite ses compères dans ses lieux, ce mardi 1er février, pour une conférence-débat suivie d’un concert où, au clavecin, il accompagnera, notamment, la basse de viole de Philippe Pierlot.

Rien ne vaut la pratique pour démontrer la théorie, à savoir que c’est bien chez Monteverdi, qui donna, avec L’Orfeo, en 1607, ses lettres de noblesse à l’opéra, qu’éclate l’éloge de l’individu, porté par tous ses sens à la conquête de lui-même. Du moins en musique car, si l’on en croit Todorov, l’humanisme s’est matérialisé plus tôt en peinture, au xive siècle, lorsque les enlumineurs des Très Riches Heures du duc de Berry ne se conforment plus aux modes de représentation codifiés par l’Eglise. Ils se mettent à dépeindre la réalité telle qu’ils la voient et signent leurs  » £uvres « .

La porte est ouverte aux premiers portraits de Campin et de Van Eyck, cent ans avant Erasme et cent cinquante ans avant les Essais de Montaigne. Des portraits d’êtres humains ordinaires qui ne se définissent plus nécessairement par leur rang, leur statut ou leur fonction, comme c’était le cas dans la conception théocentrique d’un monde hiérarchisé qui prévalait au Moyen Age, et même dans l’Antiquité, toujours selon Todorov. Avant Campin et Van Eyck, il ne voit guère de représentations naturalistes que dans la Rome du ier siècle apr. J.-C., citant Flaubert :  » Les dieux n’étant plus et le Christ n’étant pas encore, il y a eu, de Cicéron à Marc Aurèle, un moment unique où l’homme seul a été.  »

Pour que l’homme émerge, il faut donc que Dieu se retire. C’est d’ailleurs, selon Bernard Foccroulle, dans la musique profane qu’émerge l’expression individualisée, vers le xiie siècle, chez les troubadours qui chantent en langue vulgaire. Selon Robert Legros :  » L’homme moderne prend naissance quand la singularisation apparaît comme révélatrice de l’humain : l’humanisme de l’homme (l’essence de l’homme) réside dans la singularisation, donc dans une existence qui se soustrait à toute appartenance, qui précède toute fonction, qui échappe à tout classement, à toute identification.  »

L’homme découvre progressivement l’égalité, son exigence d’autonomie et d’indépendance. La route vers la démocratie est en marche, non sans s’accompagner de l’illusion individualiste. Une ambiguïté, selon le philosophe, qui pourrait pousser l’homme à ne chercher qu’en lui-même les fondements de sa pensée, de ses jugements et de ses actions. L’émergence d’un  » je  » sans  » nous « , avance Todorov, qui pointe aussi que le xxe siècle a été tenté tout autant par l’option inverse : un projet esthétique totalitaire d’un art qui se fabrique collectivement. Un  » nous  » sans  » je « , en quelque sorte. Au demeurant, les trois auteurs restent résolument optimistes et préfèrent, à l’épuisement individualiste de l’art, annoncé par Hegel, l’exploration des profondeurs insondables du c£ur et de l’âme qu’y voyait Tocqueville. Pour Todorov, Legros et Foccroulle, l’art, à travers l’individu-artiste, demeure une ouverture au mystère de l’humanité, à l’énigme de la condition humaine.

Xavier Flament

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