Mal de dos, mal du siècle

Le mal de dos ferait souffrir trois Belges sur quatre à un moment ou l’autre de leur vie. Ce  » mal du siècle  » est aussi la première cause d’absentéisme au travail. Pourtant, les solutions existent. La prévention aussi.

Un jour ou l’autre, chacun d’entre nous a eu, ou aura, mal au dos. Un déménagement le week-end pour faire plaisir à un ami, une séance de jardinage non-stop, un faux mouvement… et c’est le  » coup de poignard  » dans le dos, la  » barre  » qui empêche de se relever. Femmes, hommes, jeunes, vieux, peu sont épargnés. Les lombalgies occupent la première place de l’absentéisme pour raisons médicales et sont en cause dans 13 % des accidents du travail. Un coût énorme pour l’économie. Pas étonnant quand on sait que, chaque jour, nous inclinons, en moyenne, de 1 500 à 2 000 fois notre dos. Pourtant, nous ne lui prêtons guère attention, négligé qu’il est par rapport à d’autres parties de notre corps. C’est seulement quand nous en souffrons que nous prenons la bonne résolution de le ménager à l’avenir.

Depuis 4 millions d’années qu’il s’est mis debout, l’être humain ne s’est toujours pas parfaitement adapté à sa position verticale. Comme les autres mammifères, nous étions programmés pour avancer à quatre pattes. Imaginez une pile d’assiettes ondulante et remplacez-les par 24 osselets empilés les uns sur les autres. Entre chaque vertèbre, un disque de cartilage qui fait office d’amortisseur. Chaque fois que l’on s’agenouille, chacun des disques encaisse une pression de 60 kilos par centimètre carré ! Notre dos est sans cesse mis à contribution, que l’on se penche, se relève, se tourne… Le mal de dos est donc lié aux nombreuses contraintes qu’il subit. Le simple fait de porter des charges, pas nécessairement lourdes, de façon répétée, double quasiment le risque de lombalgie. Dans la plupart des cas, le mal de dos apparaît à la suite d’efforts exagérés en intensité ou en durée, ou de gestes inadaptés. Une position assise avachie, par exemple, sollicite certains muscles plus que d’autres, ce qui provoque des contraintes anormales sur la colonne vertébrale. Certains gestes, répétés pendant des années, dans le cadre professionnel par exemple, peuvent provoquer des douleurs par usure des différentes structures de la colonne vertébrale. Quand on est surmené, on dit qu’on en  » a plein le dos  » et ce n’est pas par hasard. Le stress provoque des tensions et des contractions musculaires, souvent localisées dans le bas du dos. Autre cause de douleur, l’excès de poids entraîne une plus forte pression du corps sur chaque vertèbre et rend le dos plus vulnérable à long terme. Une dégénérescence discale, constatée chez de nombreux gros fumeurs, donne à penser que le tabac a une part de responsabilité, d’autant que son abus est souvent lié au stress. Le manque d’exercice physique est également responsable d’une insuffisance de souplesse et de tonicité des muscles du dos et des abdominaux, indispensables au maintien vertébral. Bref, une bonne hygiène de vie est un préalable. Mais elle n’est pas seule responsable.

A tout âge

Des études finlandaises réalisées à quelques années d’intervalle depuis une vingtaine d’années ont constaté une grande stabilité dans le pourcentage des personnes se plaignant du dos. Une étude française arrive à la même conclusion.  » En revanche, les conditions médico-sociales au mal de dos sont vraisemblablement en augmentation « , remarque Philippe Mairiaux, professeur de santé publique à l’ULg. Le mal de dos concerne tout le monde, à tout âge, de l’enfance jusqu’à un âge très avancé.

Chez les enfants, les pathologies du dos surviennent généralement avant le début de l’adolescence. Au cours de cette période de croissance rapide, la colonne vertébrale doit être régulièrement contrôlée pour permettre de dépister d’éventuelles déformations vertébrales comme les cyphoses (dos arrondi, l’enfant se laissant aller vers l’avant) et les scolioses (déformations sinueuses dans les trois plans de l’espace). Ces dernières concernent sept fois plus souvent les filles que les garçons. Elles provoquent une déviation latérale de la colonne vertébrale, souvent due à de mauvaises positions. Le poids des cartables n’est pas pour rien dans les maux de dos chez les enfants. Il ne doit pas excéder 10 % du poids de l’enfant. Un seuil souvent dépassé. Quant aux bancs scolaires, ils ne sont pas toujours adaptés.  » L’enfant peut être mal positionné, parce qu’il a parfois les pieds dans le vide à cause de chaises mal adaptées, souligne Roger Fiammetti, ostéopathe. Si l’enfant n’a pas d’appui sur ses deux pieds, son dos n’est pas stabilisé.  » Par manque de moyens financiers et d’adaptations intéressantes, les enfants se retrouvent parfois mal assis toute la journée. Certaines écoles expérimentent des ballons sur lesquels les enfants peuvent s’asseoir à la place des chaises.  » De cette façon, la posture est bien plus intéressante.  »

Chez des adolescents interrogés au cours d’un sondage sur les maux ressentis au cours du dernier mois, les douleurs dorsales arrivent en deuxième position (derrière le mal de tête, mais avant le mal de ventre).  » La zone de la première dorsale est souvent irritée lors de stress liés aux examens scolaires ou, plus tard, lors d’entretiens d’embauche, note l’ostéopathe. Cette zone est en relation avec des douleurs de la nuque, des bras, des maux de tête, ainsi qu’à un manque de concentration.  » La croissance met en conflit l’ossature et la musculature. Les os grandissent plus vite que les muscles.  » Il est important, pour des ados, de pratiquer un sport. Etirements et assouplissements sont parfaits pour eux, ainsi que les techniques visant à assouplir la musculature. Les ados auraient également intérêt à pratiquer un peu de yoga pour pouvoir adapter leur manque de souplesse par rapport à leur croissance.  »

Chez la femme enceinte, les douleurs du dos sont fréquentes. Des facteurs spécifiques les favorisent. Au cours de la grossesse, l’augmentation progressive du poids de l’utérus projette le centre de gravité vers l’avant, ce qui augmente la cambrure du bas du dos. L’augmentation des hormones provoque un relâchement ligamentaire dans le bas du dos, ce qui favorise les douleurs.  » Chez la femme enceinte, toute la physionomie du corps change, remarque Roger Fiammetti. Celui-ci doit s’adapter à ces nouvelles positions, surtout en fin de grossesse, quand la relaxine (hormone sécrétée durant les dernières semaines pour relâcher le bassin et préparer l’accouchement) entre en jeu.  » La sciatique et la douleur sacro-iliaque sont fréquentes chez la femme enceinte.  » Ces douleurs peuvent se traiter en ostéopathie en intervenant, de façon très douce, pendant et après la grossesse.  » Après l’accouchement, les soins au bébé et le manque de sommeil ne permettent pas toujours à l’organisme de récupérer durant les premières semaines.  » Se pencher pour s’occuper du bébé peut aussi donner mal au dos. Enfin, l’allaitement entraîne un accroissement du volume des seins et tire le haut du dos vers l’avant. Cela peut également occasionner des douleurs dorsales.  » Là aussi, la prévention passe par une meilleure hygiène de vie et le respect de règles simples comme de prendre le temps de se reposer.

Au travail, des douleurs dorsales peuvent apparaître pour différentes raisons.  » Des études ont montré une association entre la fréquence de survenue d’une lombalgie et certains types de travail comme la manutention de charges lourdes, souligne Philippe Mairiaux. Aussi bien chez les manutentionnaires dans l’industrie que parmi le personnel soignant (infirmières, aides-soignantes) des maisons de repos et à domicile. D’autres facteurs favorisent la douleur : une position fléchie vers l’avant due à une mauvaise conception du poste de travail, la combinaison d’une flexion et d’une torsion du tronc, le fait d’être soumis à des vibrations au niveau du siège sans amortissement des jambes, comme c’est le cas pour les pilotes d’hélicoptère.  » La sédentarité est responsable de pas mal de problèmes musculo-squelettiques.  » Dans les métiers sédentaires, que l’on travaille à l’ordinateur ou pas, le fait d’être assis sans consommer beaucoup d’énergie pose problème, continue Philippe Mairiaux. Nos articulations, tendons et muscles ont été conçus pour le mouvement.  » Le travail à l’ordinateur met surtout le bras à contribution.  » Il entraîne beaucoup d’épicondylites (tendinites du coude) qui ont une origine au niveau de l’épaule, remarque Roger Fiammetti. Souvent, en position assise, les gens ont une mauvaise posture aux niveaux de l’épaule et du bras. S’ils étaient mieux assis, ils auraient moins d’épicondylites. Plutôt que de se focaliser sur la partie distale, la main qui tient la souris, ils feraient mieux de revoir leur position assise.  » L’idéal ? Avoir le coude et l’avant-bras à 90 degrés avec le plan du bureau, ainsi que le fémur et le tibia.  » Il est indispensable d’être assis sur une chaise adaptée avec un bureau à la bonne hauteur.  » Une question d’ergonomie. Une étude a démontré que les personnes qui se rendaient au travail avec les pieds de plomb, qui n’étaient pas bien dans leur peau, avaient deux fois et demie plus souvent mal aux lombaires que les autres !  » Le stress est un problème récurrent, ajoute l’ostéopathe. Cela se voit dans le dos. Les douleurs dorsales sont le reflet du mal-être. Les gens qui ont mal dans le bas du dos ont beaucoup de problèmes à régler, ils ont trop de responsabilités, de poids sur les épaules. Un problème fréquent chez les chefs d’entreprise. Je dis toujours il faut s’amuser en travaillant et travailler en s’amusant.  »

Les personnes âgées ont souvent des problèmes de dos.  » Ceux-ci sont moins liés à l’âge qu’au manque d’activité et de sport, souligne Philippe Mairiaux. Les personnes âgées ont des problèmes de dos parce qu’elles ne font plus d’exercices. Elles n’osent plus sortir dès qu’elles ont une petite fonte musculaire.  » Plus de 70 % des personnes âgées de plus de 65 ans présentent des signes radiologiques d’arthrose. En Belgique, on estime à 1 million le nombre de personnes atteintes par cette pathologie. Ce handicap est un facteur de risque à d’autres maladies graves comme le diabète, les thromboses ou les infarctus du myocarde. Elle provoque des douleurs, des déformations et un raidissement des articulations. Les traitements non pharmacologiques sont nombreux, notamment la perte de poids et les exercices aérobies, de musculation et de mobilisation articulaire. Et pourtant.  » Suite à une radio, dès qu’on pose un diagnostic d’arthrose, les gens ne bougent plus, regrette Philippe Mairiaux. Ils se figent dans le fatalisme. « C’est parce que je suis vieux, c’est normal ». L’arthrose est une réaction de l’os par rapport aux tensions, aux tractions dans le corps. Mais ce n’est pas cela qui empêche les gens de fonctionner. On peut ralentir la fonte musculaire physiologique par le mouvement pour préserver l’autonomie. Si on pouvait induire la personne âgée à refaire un peu d’activité physique, l’arthrose ne ferait pas mal. Le remède à l’arthrose, c’est le mouvement. Celui-ci peut aider les personnes âgées à conserver leur autonomie. Et elles auraient moins souvent mal au dos, car les muscles seraient entretenus et la fonte musculaire ralentie. Si une personne a de l’arthrose et, de ce fait, ne bouge plus, au bout de six mois, elle aura perdu énormément sur le plan fonctionnel. Au bout de huit jours de lit, la personne est devenue une loque pour cause de fonte musculaire liée à l’immobilité.  » Au contraire, une re-mobilisation progressive peut permettre des améliorations étonnantes. Le mouvement est essentiel. Aujourd’hui, de nombreuses salles de fitness proposent des activités à la portée de tous.  » Les personnes âgées ont tout intérêt à réagir à la fonte musculaire en faisant de l’exercice pour retrouver leurs muscles. Il n’y a pas d’obstacle à remuscler une personne âgée. Le seul obstacle est le parti pris de ces idées reçues,  » quand on est trop vieux, on ne peut plus se muscler « . C’est faux. J’ai eu un patient de 98 ans qui ne marchait plus. Quand je lui ai dit qu’on allait lui réapprendre à marcher, il m’a répondu qu’il ne pourrait pas, qu’il était trop vieux. Pour son centenaire, il marchait sans canne !  » Par ailleurs, l’ostéoporose, qui fragilise progressivement les os, peut entraîner des microfractures douloureuses au niveau des os de la colonne vertébrale et provoquer des tassements.

JACQUELINE REMITS

le stress est un problème récurrent

Le remède à l’arthrose, c’est le mouvement

Les douleurs dorsales sont le reflet du mal-être

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