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Sepp Blatter, le président vendeur de la FIFA

Décrit parfois comme corrompu ou showman, il ne cesse de souligner la force du foot comme facteur d’unification des peuples.

C’est juste à côté de Nelson Mandela Square, à Sandton, le quartier chic de Johannesburg, que se trouve l’hôtel cinq étoiles Michelangelo. En y pénétrant, on est directement frappé par le luxe et le côté décadent de l’Afrique du Sud, qui croule sous les problèmes mais où un profond abîme sépare les riches des pauvres. Dans le bar, un pianiste joue. La cage d’ascenseur de verre qui surplombe les cinq étages décore l’imposant hall d’entrée. Une nuit coûte 500 euros. L’une des plus belles suites de l’hôtel est réservée au nom de Sepp Blatter.

Depuis quatre mois, il se profile comme le grand ami de l’Afrique. Partout où il apparaît, il prêche la valeur humanitaire et culturelle de cette Coupe du Monde. Il fait du zèle auprès de gens importants pour promouvoir des campagnes sociales et hurle que la FIFA a déjà investi 77 millions de dollars en Afrique. Après chaque match, une limousine escortée de deux voitures de police ramène Blatter à son hôtel. Chemin faisant, il croise des mendiants, des gens qui arborent une pancarte disant qu’ils ont faim. Dans leur regard, on ne lit que le désespoir. A-t-il demandé ne fût-ce qu’une seule fois à son chauffeur de s’arrêter? Le protocole le lui interdit sans doute mais cela aurait une forte valeur d’exemple.

Aveugle à la pauvre réalité d’Afsud?

Blatter ne fuit pourtant pas la dure réalité de l’Afrique. Juste avant le début du tournoi, il a visité un township et y a même chatouillé le ballon avec Tokyo Sexwale, le représentant africain de la FIFA. Cela fait partie de la liturgie de la fédération internationale et le Suisse aime montrer qu’il a une bonne technique. Cela lui rappelle l’époque où il jouait au FC Visp, le club suisse dont son père était président. Il était intérieur gauche dans le système du WM et dut refuser un contrat pro à Lausanne Sports parce que son père estimait qu’on ne pouvait pas gagner sa vie en jouant au foot. Il étudia donc l’économie et l’administration des affaires. Des connaissances qui lui servent encore chaque jour pour diriger la FIFA.

Même en Afrique du Sud, Blatter arrive à se vendre avec maestria. Il ne craint pas de monter sur scène comme lorsqu’il gagnait sa vie en tant que conférencier, racontant des blagues et dansant des danses loufoques. Son voyage à travers l’Afrique du Sud ressemble à une mission pacifiste et ses discours sont souvent pathétiques. Comme lorsqu’il annonce que la FIFA veut « diffuser un message de foi, d’amour et d’espoir ». Ou quand il dit que « la FIFA a l’obligation de tendre la main au monde et de rassembler tout le monde autour du football ». Dans un pays comme l’Afrique du Sud, qui ne compte plus les problèmes politiques et raciaux, ce discours peut paraître bien étrange. Mais lorsqu’il sort de la bouche de Blatter, les gens le croient. N’est-ce pas lui qui leur a amené la Coupe du Monde?

Opportunisme sportif

Il faut aussi souligner son opportunisme sportif. C’est en promettant le Mondial à l’Afrique qu’il s’est assuré les voix africaines lui permettant d’être réélu à la tête de la FIFA en 2002. Et les pays africains ne l’oublieront sans doute pas non plus lorsqu’il briguera un troisième mandat, en juin 2011.

Souvent accusé de corruption, Blatter s’est construit une carapace. Son souci quasi maladif d’apparaître en public donne une fausse image de lui. Car ce petit Suisse (1,69 m) est un homme compétent. Il y a 12 ans, lorsqu’il succéda à João Havelange, dont il avait été le secrétaire général, celui-ci déclara que Blatter ne serait jamais un aussi bon président que lui… car il ne pourrait jamais compter sur un aussi bon secrétaire général. Le plus beau compliment qu’on ait pu lui faire.

Blatter est trop souvent décrit comme la tête pensante d’un organisme qui ne songe qu’au pognon. Il a toujours aimé l’argent (petit, il vendait les fruits de son jardin), mais il faut tout replacer dans son contexte. Des 3,4 milliards d’euros que les droits de sponsoring et de télévision de ce Mondial sont censés rapporter, 85% iront aux pays en voie de développement footballistique. On a même mis sur pied une commission qui ne s’occupe que d’accorder des fonds aux pays qui en font la demande et assurent le suivi.

Nombreux sont pourtant ceux qui estiment que la FIFA aurait pu consacrer plus d’argent à aider l’Afrique du Sud. Même si la Coupe du Monde rapportera tout de même 100 millions d’euros à la fédération sud-africaine de football. Beaucoup se demandent cependant ce qu’elle en fera car, dès avant l’ouverture, pas mal d’argent se serait perdu.

On peut aussi se demander s’il est bien moral que la FIFA baigne dans un tel luxe dans un pays dont la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté.

Concert de sifflets en 2006

Avant la Coupe du Monde, Blatter a pris ses distances avec les scénarios les plus horribles. Il répéta plusieurs fois que les Africains seraient capables d’organiser la Coupe du Monde à la perfection, relativisant et nuançant les craintes concernant l’insécurité et la criminalité. Cela faisait partie de son offensive de charme. Ce n’est pas un hasard si son discours avant le match d’ouverture fut chaleureusement applaudi. Il en retira une immense satisfaction, comme à chaque remise du trophée du Footballeur FIFA de l’Année, lorsqu’il monte à quatre reprises sur le podium.

Il adore la gloire et fut dès lors très touché lorsque, voici quatre ans, en Allemagne, il fut accueilli par un concert de sifflets, les gens lui reprochant de trop protéger ses sponsors et d’être un patriarche aveuglé par l’argent.

Bizarre car il n’est pas anormal que seuls les sponsors officiels, aient le droit de vendre des produits dans le stade. Il n’en va pas autrement avec le CIO mais Jacques Rogge n’est jamais critiqué pour cela. Son image est très différente. Aucun soupçon de corruption ne pèse sur lui et il n’en fait pas autant que le Suisse. Lorsque la compagnie aérienne sud-africaine Kulula voulut utiliser le nombre 2010 dans sa campagne publicitaire, la FIFA mit directement en branle son armée d’avocats. Quant aux pauvres qui veulent vendre quelque chose dans les environs du stade, ils sont directement chassés. Même les particuliers qui veulent héberger des supporters doivent laisser 30% de leurs revenus à une agence de réservations de la FIFA!

Marié à la FIFA

Blatter a 74 ans et il est une chose qu’on ne peut lui reprocher: il s’engage à fond dans tout ce qu’il fait, au point que peu de gens peuvent le suivre. C’était déjà le cas lorsqu’il était journaliste sportif ou responsable des relations publiques du Canton du Valais. Il occupa également cette fonction auprès du fabricant de montres Longines, ce qui, dit-on, lui permit d’entrer en contact avec des tas de gens importants.

Opportuniste, il ne craint pas de changer d’avis. Il a toujours été contre l’introduction d’aide technologique pour les arbitres mais, après les nombreuses critiques qui s’abattent sur ceux-ci dans ce Mondial, il se dit prêt à revoir son jugement…

Cet homme qui, le jour de Noël à 9 heures du matin, répond au téléphone au siège de la FIFA, dit être marié avec la fédération internationale. En Afrique du Sud, il vole de match en match et reçoit tous les honneurs dus à celui qui a donné un nouvel élan au pays. Un jour, quelqu’un demanda s’il ne faudrait pas considérer sa candidature au Prix Nobel de la Paix. Il répondit que ce prix devrait alors plutôt revenir à la FIFA… Mais la FIFA, c’est Sepp Blatter.

Jacques Sys, en Afrique du Sud

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