© GETTY

Retour à Saint-Pétersbourg

Samedi, les Diables rouges entament leur EURO dans le stade où ils ont été battus par la France en demi-finale de la Coupe du monde, mais aussi où ils ont décroché la médaille de bronze face à l’Angleterre. Au menu du jour: la Russie. Comment l’équipe russe a-t-elle évolué depuis lors? Témoignages.

Flash-back. En juillet 2018, les Diables rouges passent du ciel à l’enfer, puis de l’enfer au paradis. À l’élimination douloureuse contre la France en demi-finale succède le meilleur résultat de l’histoire du foot belge en Coupe du monde. Point commun: ces deux matches se disputent dans la même ville, Saint-Pétersbourg, avec son magnifique musée de l’Ermitage et son superbe stade au bord de l’eau. Comment la Russie a-t-elle évolué depuis? Deux témoins nous éclairent à ce sujet.

JoostBosman est un correspondant néerlandais établi à Moscou. « On vient de vivre une période étrange », signale-t-il d’emblée. « D’abord un confinement soudain et très strict de six semaines, puis le retour à beaucoup de libertés. Ces mesures étaient-elles justifiées? Je l’ignore. En tout cas, le retour à la liberté a été très apprécié. On a pu de nouveau fréquenter les bars, comme si de rien n’était. »

La vaccination se passe mal en Russie. Étrange, car « la Russie a mis en place une diplomatie coronavirus incroyable », souligne Bosman. « De nombreux pays ont bénéficié du vaccin russe. On pourrait en déduire qu’ils placent leur image au-dessus de la santé de leurs propres citoyens, mais la réalité, c’est que les Russes eux-mêmes ne voulaient pas de ce vaccin. Je pense qu’on en est à 60% actuellement. »

La raison? Une méfiance vis-à-vis des autorités, encore un héritage de l’ancienne URSS, mais aussi le ralliement au scepticisme mondial qui pense que tout est allé trop vite. « La Russie a été le premier pays à produire un vaccin et ça a engendré de la méfiance », explique Bosman. « Les Russes sont très fatalistes également: Si je le reçois, je verrai bien, mais sinon, je m’en tiendrai plus ou moins aux règles. Au départ, chacun gardait ses distances et portait le masque rigoureusement, mais depuis, on constate un certain relâchement: les masques ne couvrent plus le nez, ou sont posés sur le menton. Les gens reçoivent une remarque, mais ne sont pas sanctionnés. »

La limitation des joueurs étrangers en championnat constitue un obstacle. » Toke Möller

Fierté et trahison

Il y a un mois, Bosman a séjourné à Saint-Pétersbourg. « Une bâche recouvrait la façade d’un bâtiment qui a été rénové. J’ai fait la remarque à ma petite amie: Regarde, on y voit encore un texte qui fait référence à la Coupe du monde 2018, alors que l’EURO commence bientôt. »

Ce n’était peut-être pas un oubli, mais l’envie de faire perdurer un bon sentiment. Car à la surprise générale, la Russie a fait très bonne figure en 2018. « La Russie était très fière, c’était beau à voir », se souvient Bosman. « Je me trouvais dans un café lorsque l’équipe nationale a été éliminée par la Croatie en quart de finale et il y a eu une explosion de joie. Personne n’était déçu. Lorsqu’on a repris le métro, les gens continuaient à chanter: Rossya, Rossya. La Russie n’avait jamais franchi le deuxième tour, et voilà qu’elle éliminait l’Espagne. Incroyable! »

Côté organisation, tout était au point, et de ça aussi, les Russes étaient fiers. « Les gens qui sont venus pour la première fois en Russie, et qui ont pour la première fois côtoyé des Russes, étaient lyriques. Ça m’a rendu très joyeux. »

La Russie a-t-elle poursuivi dans cette voie? Trois ans plus tard, ses citoyens sont-ils toujours aussi heureux et fiers? « C’est précisément le jour où le Mondial commençait, avec le match Russie-Arabie saoudite, que le gouvernement a annoncé que l’âge de la retraite était retardé de cinq ans », rembobine Bosman. « Délicat, car Poutine avait prétendu pendant des années qu’on n’y toucherait pas. Il espérait qu’avec le football, cette réforme passerait un peu inaperçue, mais il en a été pour ses frais. En juin et en juillet, il y a eu de grandes manifestations. Les gens se sont sentis trahis. Je pense que c’est à ce moment-là que la popularité de Poutine a commencé à baisser. »

L'attaquant Artem Dzyuba sera chargé d'alimenter le marquoir côté russe.
L’attaquant Artem Dzyuba sera chargé d’alimenter le marquoir côté russe.© GETTY

S’en sont suivis toute une série d’autres événements. De nouvelles sanctions internationales en août, puis en fin d’année des cyberattaques menées par des pirates informatiques des services de renseignement de l’armée, puis encore une augmentation de la TVA ou l’annonce de la création d’un propre réseau d’internet, indépendant du www. « Techniquement, ce serait difficile à mettre en place », nuance Bosman. « La Russie a de nombreux câbles de fibre optique le long de la frontière avec la Finlande, mais tous les fournisseurs ont reçu l’appareillage qui leur permet de bloquer ou ralentir certains sites. L’explication qui a été donnée, c’est que cette mesure visait à protéger la Russie en temps de crise, mais on peut aussi l’interpréter comme une fermeture au monde extérieur. Une façon de protéger le gouvernement contre la critique. »

Une équipe limitée

Et sur le plan sportif, à quoi les Diables peuvent-ils s’attendre, samedi? Lorsque le Zenit a été champion pour la troisième fois d’affilée, début mai, l’idole Artem Dzyuba a pu recevoir son prix dans un costume de Deadpool, un personnage issu des films Marvel. Entre la Coupe du monde et l’EURO, il a été un moment suspendu, une vidéo de lui en train de se masturber ayant fuité sur internet. Il a jadis été renvoyé du Spartak, l’a été également par Roberto Mancini au Zenit, mais après le limogeage de l’entraîneur italien, il a été rappelé. Aujourd’hui, c’est une icône. À Saint-Pétersbourg, on trouve une peinture murale de son portrait et le message: Love Zenit, hate Spartak.

L’équipe dont il est le capitaine n’attend pas grand-chose de l’EURO, affirme Toke Möller, un Danois qui suit de très près le football russe. « Pour une fois, la Russie se prépare à la compétition dans le calme. L’équipe semble unie, et selon Dzyuba, c’est une conséquence de la Coupe du monde. Chacun doit se mettre au service de la collectivité, car la Russie n’a pas de joueurs capables de faire individuellement la différence. J’entends peu de plaintes. Les Russes sont conscients de leurs limites. Physiquement, ça devrait aller, car peu de joueurs font banquette dans leur club. »

L’équipe compte peu de joueurs connus, si ce n’est pour ceux qui suivent le championnat de Russie de près. Aleksey Miranchuk (Atalanta) et Denis Cheryshev (Valence) jouent en Europe de l’Ouest, mais il n’est pas sûr qu’ils seront titulaires. Le sélectionneur préfère opter pour des joueurs du championnat de Russie, avec en plus Aleksandr Golovin (Monaco) en tant que plaque tournante. « Le problème, c’est le gardien de but », estime Möller.  » Anton Shunin a 34 ans et a peu d’expérience internationale. Il a toujours été considéré comme un talent au niveau national, mais on se demandait s’il parviendrait réellement à percer. Longtemps, il a porté l’étiquette de flambeur. Avant de dévoiler sa sélection, le sélectionneur a encore demandé à Igor Akinfeeev (qui a arrêté en 2018) d’effectuer un come-back, mais il a refusé. Le coach est de nature très prudente, et je m’attends à ce qu’il joue à cinq derrière. Avec deux arrières latéraux offensifs. À gauche, Yuri Zhirkov va sur ses 38 ans, c’est incroyable qu’il joue encore à cet âge-là. À droite, on retrouve Mário Fernandes ou Vyacheslav Karavaev. L’axe est très expérimenté. Il sera probablement composé de Georgiy Dzhikiya, Andrey Semenov et Fedor Kudryashov. Des garçons qui connaissent leur rôle. L’entrejeu… Je crains que l’on ne voit jamais Miranchuk et Cheryshev côte à côte. Dommage. Cheryshev était l’un des joueurs les plus séduisants à la Coupe du monde, mais aussi longtemps que le coach ne se départit pas d’une défense à cinq, il n’y a pas de place pour tous les deux. Golovin est la vedette de l’entrejeu.

Aleksandr Golovin est la plaque tournante de l'entrejeu.
Aleksandr Golovin est la plaque tournante de l’entrejeu.© GETTY

Dans son dos, il sera sans doute épaulé par les deux joueurs du Zenit, Magomed Ozdoev et Daler Kuzayev. Deux garçons qui se connaissent par coeur et qui, en possession du ballon, recherchent systématiquement Golovin. L’homme de la dernière passe, vers l’avant. La Russie joue généralement un football très direct, on verra rarement l’équipe faire tourner le ballon ou jouer vers l’arrière. Dzyuba est le target-man, avec derrière lui, la plupart du temps, Rifat Zhemaletdinov du Lokomotiv Moscou. Pas un véritable attaquant de pointe, plutôt un 9,5. Ce n’est pas un mauvais finisseur, il est très rapide et ça lui donne souvent la préférence par rapport aux autres attaquants. Anton Zabolotnyi et Aleksandr Sobolev sont deux clones de Dzuyba. Grands, solides et travailleurs. Peu de ballons aboutissent sur les flancs, on préfère souvent un long ballon en direction de Dzyuba, qui doit essayer de le contrôler et de le ramener au sol. On peut s’attendre à un pressing haut et un football agressif, afin de conquérir le ballon le plus rapidement possible, et à de nombreux croisements dans le rectangle. La Russie est une équipe très limitée, qui compte peu de joueurs capables de créer à partir de rien. Dzyuba n’a pas besoin de beaucoup d’espace pour marquer et Golovin est très bon ballon au pied, mais ce ne sont pas des joueurs capables d’éliminer deux adversaires. »

Rajeunissement?

Et qu’en est-il de la jeunesse qui frappe à la porte? « Zhemaletdinov a 24 ans, ce qui n’est pas jeune selon les normes occidentales, mais bien aux normes russes », précise Möller. « Lui et Sobolev, qui sort d’une très bonne saison avec le Spartak, sont deux nouveaux noms, c’est peu. Tôt ou tard, cette équipe devra être rajeunie. Structurellement, la situation s’est améliorée dans les centres de formation et les académies, mais comme il y a trois ans, la limitation des joueurs étrangers en championnat constitue un obstacle. Les salaires des Russes subissent donc une forte inflation, c’est la loi de l’offre et de la demande. Ils sont très recherchés. Un autre point faible de cette sélection, c’est que peu de joueurs ont l’expérience de championnats étrangers. Ceux qui se mettent en évidence ne franchissent pas le pas, et bloquent la percée de jeunes talents qui, à vingt ou 21 ans, moisissent sur le banc. C’est la raison pour laquelle de nombreux footballeurs russes ne percent qu’à 24 ou 25 ans, bien plus tard que dans d’autres pays. Zhemaletdinov en est un bon exemple: à 17 ans, il était la sensation du Lokomotiv, puis il a disparu de la circulation. Il a fait banquette au Rubin Kazan, puis au Lokomotiv. La saison dernière, il a subitement reçu du temps de jeu, et à partir de là tout est allé très vite. Les effets positifs de la Coupe du monde sont perceptibles au niveau des infrastructures, mais aussi au niveau du respect de soi. Les non-Russes parlent rarement du pays en termes positifs et ce n’est pas près de changer, mais à l’intérieur de la Russie, on a retrouvé une certaine fierté après les échecs des dernières années. Mais d’autres mesures sont nécessaires pour continuer à progresser. »

Pourquoi Saint-Pétersbourg a-t-elle été choisie et pas Moscou? »Le choix de Saint-Pétersbourg est logique », estime Möller. « C’est la ville la plus occidentale, le fuseau horaire est favorable. Le Zenit est aussi le club russe le plus riche et le plus performant de ces dernières années. S’il ne domine pas encore davantage le championnat, c’est plus dû à sa propre incompétence qu’à la concurrence des clubs moscovites. »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire