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La bombe Super League est désamorcée… et maintenant?

Le nouveau format de la Ligue des Champions ne plaisait pas aux grands clubs qui ont répondu en lançant une bombe: la Super League. Moins de 48 heures plus tard, elle était désamorcée. Mais comment travailler sereinement à l’avenir?

Dimanche, alors que nous regardions la dernière journée de la phase classique de D1A, les choses bougeaient au niveau international. La Super League débarquait. Avec effet immédiat. Chelsea et Manchester City avaient dit oui. Plus par peur de ne pas faire partie du projet que parce qu’ils y croyaient vraiment. Pour ne pas donner l’impression d’une ligue fermée, on parlait de quinze participants permanents et de cinq invités pour un championnat de 18 journées avant les quarts de finale. Mais le PSG, le Bayern et le Borussia Dortmund refusaient d’y participer. On adaptait donc la communication. « Douze clubs de pointe du football européen se sont réunis afin d’annoncer la création d’une nouvelle compétition, la Super League, qu’ils géreront eux-mêmes. » Cette communication était suivie d’interventions d’ Andrea Agnelli (Juventus), Joel Glazer (Man. United) et Florentino Pérez (Real Madrid). Les autres membres de ce qu’on surnommait rapidement Les Douze Salopards étaient Milan, l’Inter, l’Atlético Madrid, le Barça, Arsenal, Chelsea, Tottenham, Liverpool et Manchester City.

Les chiffres de la Super League faisaient peur: les fondateurs allaient se partager 3,5 milliards d’euros.

Tout avait été bien préparé. Un site internet était lancé et la firme britannique In House Communications, dont le patron a conseillé Theresa May et Boris Johnson (curieusement un des plus grands opposants au projet), s’occupait de la communication. Il n’en fallait pas plus pour que l’action de Manchester United grimpe. Le fait que la banque JP Morgan était prête à dépenser beaucoup d’argent pour soutenir la compétition n’était plus un secret pour personne. Mais les chiffres faisaient peur: les fondateurs allaient se partager 3,5 milliards d’euros. La grande inconnue, c’était le partenaire média. DAZN disait ne pas être intéressé, les consultants de Sky se montraient très critiques et Amazon Prime ne suivait pas non plus. Beaucoup de chaînes voulaient manifestement attendre de voir la portée de l’audience.

Bazooka

Ils avaient raison car, moins de 48 heures plus tard, la Super League était victime d’une attaque au bazooka. Etonnamment: les tirs venaient aussi de l’intérieur. On pouvait s’attendre à ce que l’UEFA et l’ECA (une association de 246 clubs) réagissent de façon virulente. Mais nous avons été surpris de voir que des personnages importants des clubs fondateurs détruire le projet. Depuis son départ à la retraite, Sir Alex Ferguson n’avait jamais dit un mot de travers sur Manchester United. Jusqu’à maintenant. « Cette Super League n’a rien à voir avec les 70 ans de l’histoire européenne du club », dit-il. Des joueurs comme Bruno Fernandes (sur Instagram), Marcus Rashford et Luke Shaw (sur Twitter) ont rapidement suivi. Jürgen Klopp (Liverpool) et Pep Guardiola (Manchester City) se sont exprimés également. Au point que le media manager de leur club a dû interrompre leur conférence de presse en ligne, pour ne pas mettre ses patrons mal à l’aise.

L’agence de communication n’avait pas prévu cela. Ne dit-on pas qu’on ne doit pas mordre la main de celui qui nous nourrit. Les médias, les supporters, les acteurs… Tout le monde a fait front. Un véritable tribunal populaire avec les réseaux sociaux comme principal moyen de diffusion.

Dettes

Alors qui a raison? Les fondateurs, ou nous?

Humm… Chacun a ses arguments. En 2009, déjà, Florentino Pérez avait annoncé qu’une Super League était un must. « Elle garantira que les meilleurs affronteront toujours les meilleurs, ce qui n’est pas toujours le cas de la Ligue des Champions. Pérez l’a dit aux dirigeants de Bruges: les matches européens de l’automne, il n’en veut plus.

Pérez est le fondateur des premiers Galácticos ( Figo, Zidane, le Brésilien Ronaldo, Beckham, Robinho et Sergio Ramos). Il n’a rien inventé: dans les années 60, le Real Madrid rassemblait aussi les meilleurs joueurs. Mais au 21e siècle, c’était nouveau. Et ça coûtait cher. Le succès a été au rendez-vous, en championnat comme en Ligue des Champions. Mais à quel prix? Pérez a dû vendre son centre d’entraînement, il en a reconstruit un moins cher mais c’est le genre d’opération qu’on ne peut faire qu’une fois. Il cherchait donc de nouvelles recettes. D’où la Super League.

PSG et Bayern, deux gros qui n'ont pas voulu jouer dans la mauvaise pièce.
PSG et Bayern, deux gros qui n’ont pas voulu jouer dans la mauvaise pièce.© GETTY

S’il a été entendu par les Anglais, ce n’est pas un hasard. Liverpool et Manchester United appartiennent à des Américains. Aux Etats-Unis, on prône des ligues fermées pour protéger les investissements, contrôler le spectacle et le marketing. Les joueurs contestent parfois le pouvoir de la NBA ou de la NFL mais le spectacle continue.

En Europe, c’est différent. On n’est jamais sûr de participer. C’est pourquoi, l’été dernier, Liverpool et Manchester United voulaient déjà changer la Premier League avec leur Project Big Picture: plus de voix pour les grands clubs et moins de clubs en Premier League, afin de redistribuer l’argent.

Ils ont écouté Pérez. Le Real Madrid a aussi une équipe de basket. Et que s’est-il passé dans ce sport il y a une vingtaine d’années? Neuf clubs européens (les plus puissants) ont quitté la fédération internationale et ont fondé leur propre compétition. Les fédérations nationales ont regardé, l’Euroligue et l’ancienne coupe d’Europe ont vécu parallèlement pendant quelques années et, en 2004, la FIBA, la fédération internationale, est intervenue. L’Euroligue est devenue la Ligue des Champions du basket. Le coup était réussi. Pérez, soutenu par les Américains, a-t-il voulu faire la même chose en football?

Les conséquences du Covid et la dette du passé ont joué un rôle important. La dette cumulée des Douze Salopards s’élève actuellement à 6,47 milliards d’euros. Ce montant ne tient compte que de ce qu’ils doivent aux banques et des transferts. Si on ajoute les dettes aux salariés, aux administrations des impôts, aux fournisseurs et aux autres créanciers, on arrive à 8,55 milliards. C’est ce qu’a calculé un économiste britannique qui a décortiqué l’économie du football sous le pseudonyme de The Swiss Ramble.

Cela fait des années que la politique galactique de ces douze clubs est intenable financièrement. L’an dernier, les pertes cumulées de onze des douze clubs s’élevaient à 1,38 milliard d’euros (Liverpool n’a pas encore publié ses chiffres). Or, le prochain exercice s’annonce pire encore. Pérez a déclaré cette semaine dans toutes ses interviews que la Super League devait « sauver le football. » Il aurait dû dire: « La Super League doit sauver les grands clubs. »

Pour eux, une participation à la Ligue des Champions est non seulement cruciale mais aussi insuffisante. Jusqu’à l’été dernier, Stan Kroenke, le propriétaire américain d’Arsenal et de Wallmart, n’avait jamais investi un cent dans son club. Il comptait sur l’argent de la Ligue des Champions pour que cela dure. Arsenal n’avait plus pris part à cette compétition depuis 2017. Tottenham (qui a un nouveau stade) et Liverpool fonctionnent selon le même modèle. L’AC Milan a été exclu des coupes d’Europe en raison d’une dette trop importante, l’Inter pourrait devoir vendre Romelu Lukaku pour survivre. La Juventus, dont la gestion laisse à désirer depuis plusieurs années, risque de perdre son monopole en Italie. Et on a déjà suffisamment parlé des problèmes financiers du FC Barcelone.

Avenir

Le salut ne viendra plus de la Ligue des Champions actuelle, ni future. Celle-ci rapporte plus de 2 milliards d’euros par saison. Pour les grands clubs, le format en vigueur à partir de 2024 constitue un pas en arrière. Actuellement, de septembre à décembre, ils jouent six matches de poules qui, à leurs yeux, n’ont pas grande signification. Dans le nouveau format, ils en joueront dix: cinq à domicile et cinq en déplacement, de septembre à janvier, du mardi au jeudi. Ce qui va encore surcharger les joueurs, même si le plan des douze ne tenait guère compte de ceux-ci. Dans le format de la Super League, les joueurs auraient en effet disputé dix-huit matches (! ) au cours de la même période. En plus des rencontres de championnat (car les clubs entendaient bien rester actifs sur la scène nationale).

Le Fair Play Financier (FFP), les licences, etc, n’empêchent manifestement pas la spirale des excès. Au lieu de tirer le frein à main, Pérez et consort voient toujours plus haut, ce qui est très dur quand on est déjà au sommet. C’est pourquoi ils attendaient avidement les 3,5 milliards d’euros (au moins) amenés par les Américains sous garantie bancaire. Les autres n’avaient qu’à se contenter des miettes: les transferts ratés, les jeunes et un peu d’argent.

Et maintenant?

Le football a le choix. Soit on durcit le Fair Play Financier, avec des plafonds salariaux et une limitation du nombre de joueurs sous contrat. Soit on fait un pas en direction des grands et on autorise une nouvelle expansion. Car, pour être honnêtes, nous sommes tous en admiration devant le spectacle offert par les clubs de haut niveau et leur capacité à faire jouer ensemble tous ces joueurs de talent. Il y a trente ans, c’est aussi une révolte des clubs anglais qui a permis la création de la Premier League et la fin des problèmes des années 80.

La Ligue des Champions a permis beaucoup de choses au niveau international mais elle a aussi ses côtés sombres. En Allemagne (Bayern), en France (PSG) et en Italie (Juventus), le champion a souvent été connu d’avance.

C’est à l’UEFA et à la FIFA de faire un choix entre une meilleure répartition afin de rendre du suspense (ce n’est pas un hasard si le nombre de téléspectateurs de la Ligue des Champions diminue) et un moyen de permettre aux grands clubs de survivre. Gianni Infantino a condamné la Super League mais il pense certainement à une World League qui permettrait de voir les meilleurs clubs du monde s’affronter, de l’Amérique (du Nord, centrale ou latine) à la Chine en passant par l’Afrique et le monde arabe… Il est sans doute possible de faire accepter l’idée aux fans et aux grands clubs. Dans un format ouvert, avec des montants et des descendants. Car la Juventus, le Real Madrid, Liverpool et le Bayern sont déjà au maximum de leurs possibilités. Le Bayern rêve-t-il d’un nouveau titre de champion d’Allemagne? Ou préfère-t-il être un grand champion, issu d’une compétition plus longue qu’un tournoi d’une semaine dans un bac à sable?

Le virus chinois

Dans l’ombre du football à Londres ou à Manchester, on trouve Birmingham. Ses trois clubs ont souvent lutté pour le titre mais… en Championship. Pour mieux redescendre l’année suivante. Aston Villa, le FC Birmingham et West Bromwich Albion ont pour eux la tradition mais pas d’argent.

Ils misent aussi sur les mauvais chevaux. Alors que d’autres clubs se sont tournés vers les Etats-Unis, ils ont opté pour le marché chinois. Ils ne sont pas les seuls puisque, en 2015-2016, l’Inter, Auxerre, l’Espanyol, Grenade, l’AC Milan, Parme, le Slavia Prague, Sochaux, Southampton et Wolverhampton sont aussi passés sous pavillon chinois.

Cinq ans plus tard, en ce qui concerne les clubs de Birmingham, on peut parler d’échec. La saison dernière, Birmingham City s’est vu retirer neuf points pour mauvaise gestion financière. Il est sur un siège éjectable en Championship. Le derby qui opposera Aston Villa à West Brom, samedi soir (les deux stades sont distants d’environ 6 km), sera le dernier au plus haut niveau avant un bout de temps car WBA va descendre. L’investisseur compte ses sous, son projet est mort et il veut vendre. Villa, qui a végété trois ans en D2 avant de remonter en 2019, n’appartient déjà plus à des Chinois. En 2018, le club a été racheté par un Egyptien et un Américain.

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