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Peu de travail et trop de congés: les dessous du malaise anderlechtois

Jan Hauspie
Jan Hauspie Jan Hauspie is redacteur bij Sport/Voetbalmagazine.

Depuis l’arrivée de Van den Brom, le Sporting est en congé. Si Anderlecht veut mettre fin à ses mauvais résultats et aux blessures, il va falloir que l’entraîneur fasse travailler davantage l’équipe.

L’ analyse de Jan Hauspie

Deux jours après avoir remplacé Matias Suarez contre le PSG, John van den Brom a eu un « bon entretien » avec le joueur. Les journaux ont retranscrit les propos de l’entraîneur sans émettre la moindre critique mais les initiés les ont accueillis avec scepticisme. Dans quelle langue cet entretien aurait-il eu lieu ? Suarez ne parle qu’espagnol et un peu de français, deux langues parfaitement étrangères à Van den Brom. D’ailleurs, ils n’ont jamais beaucoup communiqué. Van den Brom n’est pas de ces entraîneurs qui parlent beaucoup aux joueurs qui n’émargent pas à son premier choix ou sur lesquels il ne peut compter, pour une raison ou l’autre. À son arrivée à Anderlecht, Suarez se rétablissait de son opération au genou. Les deux hommes n’ont donc pas eu beaucoup de contacts et ils ne se sont pas rapprochés par la suite. Depuis un an et demi, Van den Brom ne s’intéresse pas à sa star -comment appeler autrement le Soulier d’Or d’une équipe ?Van den Brom a remplacé Suarez au repos du match contre le PSG et il a expliqué que le Sud-américain avait trop peu participé à la défense, exposant trop fréquemment Fabrice N’Sakala à la domination parisienne. Résultat : 0-2 en vingt minutes. Il paraît que Suarez se serait énervé dans le vestiaire. Ce n’est pas dans ses habitudes mais c’est éloquent. Il est mal dans sa peau depuis longtemps. Le remplacement de Suarez résume la problématique, aux racines profondes, du malaise des Mauves.

Un mauvais stimulus

Le samedi, le lendemain du « bon entretien », Suarez s’est blessé au ligament croisé antérieur du même genou, durant l’ultime entraînement avant le choc contre le Standard. Verdict : une nouvelle opération et une saison fichue. Poisse. Ou pas ? Suarez s’est exposé à une remontrance publique d’Herman Van Holsbeeck après le PSG. Déjà après les critiques de Demy de Zeeuw, qui avait fustigé les erreurs tactiques de Van den Brom contre Benfica, le manager avait très vite choisi le camp de l’entraîneur. Van Holsbeeck a également convoqué Jorge Czysterpiler, l’agent de Suarez, qui était présent en Belgique la semaine dernière. Tout cela a impressionné l’Argentin, d’un naturel sensible et timide. Il a donc forcé durant une séance qui devait être décontractée, dans l’espoir de plaire à son entraîneur. Or, on sait que cela accroît le risque de blessures, surtout chez quelqu’un qui n’est déjà pas bien dans sa peau. Parfois, on peut provoquer le destin.
Van den Brom et surtout Van Holsbeeck auraient dû le savoir. Il est arrivé à Bruxelles en 2008 mais il a fallu un an à Suarez, âgé de vingt ans, pour se dégeler. Ce jeune homme avait besoin de beaucoup de chaleur humaine et il l’a obtenue. De son coéquipier argentin Lucas Biglia, du team manager à moitié espagnol José Garcia, de Peter Smeets et de sa seconde mère, Louiza de Melo, membre de la cellule sociale, ainsi que du médecin du club, son confident, Kris Vollon. Ces cinq personnes ont quitté Anderlecht depuis, de leur propre gré, à moins qu’elles ne soient limogées. Le suivi des joueurs si vanté d’Anderlecht a été démantelé et Suarez en est une des victimes. Lui remonter les bretelles après le PSG n’était pas un bon stimulus.

Plus de confiance

Suarez souffre du genou depuis près de deux ans, sans compter l’opération au ménisque qu’il a subie durant sa première saison. Tout a commencé par une tenace inflammation du tendon rotulien. À la demande du club, qui le jugeait indispensable dans la lutte pour le titre, il a serré les dents. Anderlecht a été sacré champion mais Suarez en a payé le prix fort. On s’est rendu compte qu’une partie du tendon s’était nécrosée suite à un traitement à la cortisone controversé en interne. L’opération était devenue inévitable. L’attaquant était tellement fâché qu’il n’a pas voulu se faire opérer en Belgique, préférant un compatriote auquel il faisait pleine confiance. Anderlecht a cédé.
Suarez a effectué sa revalidation en Argentine, sans guère de contacts avec Anderlecht. En hiver, il a raté ses tests médicaux à Munich et a vu son transfert au CSKA Moscou tomber définitivement à l’eau. À son retour en Belgique, ses problèmes n’étaient manifestement pas résolus. Anderlecht n’a pu dissimuler sa déception d’être passé à côté des millions russes. On a commencé à accabler Suarez de tous les maux. On a raconté qu’il était revenu d’Argentine avec un pourcentage trop élevé de graisse et qu’il s’était trop impliqué dans la carrière de chanteuse de son épouse. Le joueur, lui, aurait préféré bénéficier d’un meilleur suivi. Le staff n’a pas réussi à lui rendre sa forme d’antan. Il n’a retrouvé sa place que pendant les play-offs mais malgré quelques éclairs de classe, sa forme a continué à susciter des doutes.

Revalidation à Bruges

Le chemin de croix de Suarez rappelle celui de quelques autres Anderlechtois. Ronald Vargas, Guillermo Molins et Gohi Bo Cyriac, également victimes de graves blessures au genou, ont consulté le médecin auquel Suarez avait retiré sa confiance. Aucun d’entre eux n’a retrouvé son niveau. Ils n’ont pas respecté le timing prévu pour leur retour et Neerpede nourrit de plus en plus de doutes quant à l’approche adoptée pour leur rééducation. Suarez n’est pas le seul à avoir cherché son salut en-dehors du club. Vargas a fait de même: il se rend chez Thomas Geschier, le spécialiste de la revalidation du Club Bruges, pour des exercices complémentaires. Il faut le faire.
Il n’y a pas que l’aspect purement médical. Le travail de la condition est loin d’être au point chez le champion. Une bonne condition générale est la base de tout mais voilà, l’Anderlecht de Van den Brom n’a aucune base. Le limogeage de Mario Innaurato, le préparateur physique, en janvier 2013, n’a pas été pallié. Avec un entraîneur qui préfère des séances marrantes au dur labeur, ce manque de condition était inéluctable. Collectivement et individuellement, les joueurs ont reculé. Ils sont encore capables de courir mais ils ont perdu leur accélération. Plus personne ne réalise d’éclair, même pas les jeunes talents sur lesquels Anderlecht a tant misé cette saison. C’est extrêmement confrontant mais le contraire serait étonnant, sans condition. Et celui qui n’est pas en forme s’expose à des blessures. Matias Suarez pourrait très bien être la victime de ce principe.

En congé

Pourtant, c’est lui qu’Herman Van Holsbeeck a admonesté après la débâcle contre le PSG. Le manager devrait savoir ce qui se passe. Il le sait, d’ailleurs. Au lieu de rappeler les joueurs à l’ordre, il eût été plus courageux de rappeler ses devoirs à Van den Brom – ou de se taire, en toute honnêteté. Car quand on ne travaille pas d’arrache-pied et qu’on n’a pas de condition de base, on s’expose inévitablement à des contre-performances et à des blessures. Or, Van Holsbeeck sait pertinemment que Van den Brom n’est pas un travailleur et qu’il dispense des entraînements dénués d’obligation -pour autant qu’il y en ait. Se donner congé est évidemment chouette et les footballeurs ne vont pas protester mais ce n’est pas ainsi qu’on connaît le succès. Anderlecht n’aligne plus qu’un seul Diable Rouge. Quand Guillaume Gillet revient d’une double mission, sans avoir joué une seconde, il bénéficie, comme les autres, d’un week-end de liberté, ce qui lui permet d’aller bronzer à Marbella.
Le stade Constant Vanden Stock n’aime pas qu’on lui rappelle son nom mais quand Frankie Vercauteren convoquait quelques réserves le matin, pour une séance supplémentaire, il était le premier arrivé. Van den Brom, un bon vivant selon son représentant, raffole donner des journées de congé. Il est facile de trouver des excuses. Après la défaite à Saint-Pétersbourg, la saison passée, l’entraîneur a permis à ses joueurs de sortir, à une heure du matin. Quatre footballeurs en ont profité. Quelques jours plus tard, durant ce sombre mois d’octobre 2012, Anderlecht s’inclinait 2-0 à Charleroi et expliquait que les joueurs étaient fatigués par ce long déplacement européen. Maintenant, ils sont trop jeunes. Van den Brom saurait-il, par hasard, qu’en 2008, le Standard a été sacré champion avec un entrejeu d’une moyenne d’âge de 19 ans, en début de saison : Axel Witsel, 18 ans, Steven Defour, 19 ans, et Marouane Fellaini, 20 ans ?

Un people manager

Cet Anderlecht-ci est battu par tout le monde. Le stade ne vibre plus. La résignation est omniprésente, jusque dans les rues avoisinantes. Le langage corporel de Van den Brom trahit les tâtonnements plutôt que le feu. Il transmet ses sentiments à l’équipe, y compris dimanche face au Standard, quand, dans une formation impossible à reconnaître, elle n’a pas enchaîné une action, sans même parler de se créer une occasion franche, contre une formation liégeoise réduite à dix puis à neuf unités. Quand Van Holsbeeck a engagé Van den Brom, notamment parce que celui-ci avait refait un footballeur de Dmitri Bulykin à ADO La Haye, les Pays-Bas ont déclaré qu’Anderlecht avait embauché un people manager. L’intéressé n’aimait pas être appelé de la sorte et il avait expliqué que cela semblait impliquer qu’il ne recelait pas de qualités d’entraîneur. People manager ou homme doté de qualités d’entraîneur, peu importe: si Herman Van Holsbeeck ne parvient pas à faire travailler John van den Brom, il n’y a pas 56 façons de redresser la situation.

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