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« Michael Schumacher est différent mais il est là, et ça nous donne de la force »

Pour beaucoup, Michael Schumacher est une icône absolue. Mais qui est vraiment le pilote allemand? Et comment va-t-il, sept ans et demi après son grave accident? Un docu retrace la vie du phénomène.

On est au-dessus des Alpes françaises, depuis un hélicoptère. Un ciel bleu, de la neige, un paysage idyllique. Après quelques secondes, des voix se font entendre. En anglais, en français, en allemand. Des extraits des journaux TV et radio.  » Michael Schumacher est toujours en danger de mort, suite à son accident de ski. »

C’est la partie la plus délicate du documentaire Schumacher, disponible sur Netflix depuis le 15 septembre. 112 minutes consacrée à la vie et la carrière d’un des plus grands sportifs allemands de tous les temps: Michael Schumacher (52 ans), septuple champion du monde de F1. Délicate, car les scénaristes ont été confrontés à un problème: comment tourner la scène-clé d’un documentaire sur un homme qui a été une personnalité publique pendant deux décennies, mais qu’on n’a plus vu depuis le 29 décembre 2013, date de l’accident de ski dont il a été victime à Méribel? Il vit reclus, protégé du monde, dans son domaine situé près du lac de Genève. Pas de bulletin médical, pas de caméra, pas de photo, rien.

Il avait une idée quasi paranoïaque de la perfection et de l’obligation de se surpasser sans arrêt. »

Mark Webber

Corinna, sa femme, est le principal témoin de ce docu. « Peu avant sa chute, il m’a dit que la neige n’était pas bonne et qu’on pourrait aller à Dubaï pour sauter en parachute. » Depuis sa retraite sportive, le parachutisme était en effet la passion de Schumi. C’est elle qui a souhaité que ce film soit réalisé, un travail crédible, critique, une sorte de cadeau pour son mari et ses enfants. Durant sa carrière déjà, il avait fait l’objet de demandes. SabineKehm, sa manager, confirme que la famille a toujours pensé accepter une fois qu’il aurait franchi le cap de la cinquantaine. Ici, le documentaire a été confié à Hanns-BrunoKammertöns et à la maison de production B/14 Film, qui avaient déjà réalisé un film de ce genre sur BorisBecker en 2017. Il rend hommage à la carrière de ce sportif d’exception et dévoile la vie qu’il mène avec son épouse et leurs enfants, Gina-Maria et Mick. Ceux-ci ont découvert des aspects méconnus de leur père en assistant à la première privée de l’oeuvre. Quoi de plus logique? Schumacher a entamé sa carrière il y a trente ans et tout n’a pas coulé de source, contrairement à ce qu’on pourrait penser. Au début, il n’était pas le pilote capable de dominer son sport sans la moindre discussion. Il a connu des débuts en dents de scie et aurait très bien pu échouer. Notamment quand à dix ans, son père lui a révélé qu’il n’avait pas les moyens de continuer à financer ses courses de karting. Ou quand en 1999, Ferrari a failli le limoger après quatre ans de collaboration.

Corinna, Mick et Michael Schumacher.
Corinna, Mick et Michael Schumacher.© BELGAIMAGE

DES PNEUS USÉS

J’ai rencontré Schumacher en 1990, lors de la présentation du Junior-Team de Mercedes. Pour fêter son retour dans le sport automobile, la marque avait offert une formation poussée à trois talents, dont Schumi. Dès sa deuxième année, celui-ci, plutôt bon élève, avait toutefois dû se rendre à l’évidence: « J’ai dû me défaire d’une partie de ma personnalité. » Le gamin de Kerpen était devenu un ambassadeur de Daimler Benz AG. L’automobile était sa passion depuis ses quatre ans, quand son père lui avait offert un kart. Depuis, aucun autre jouet ne l’intéressait. Plus tard, il était souvent le plus jeune pilote… et souvent le meilleur. Son père Rolf s’occupait de la location des karts à la piste de Kerpen-Mannheim. Michael et son frère Ralf étaient en quelque sorte ses pilotes d’essai, et ce par tous les temps. La famille n’ayant pas beaucoup d’argent, Michael allait récupérer dans la poubelle les pneus usés, jetés par ses rivaux après les courses.

Le film reprend une interview effectuée durant le Mondial Juniors en 1983, que Schumi avait roulé sous drapeau luxembourgeois. « L’Allemagne nous oblige à passer par des qualifications qui coûtent cher, sans offrir la moindre certitude d’être sélectionné. Je suis le seul pilote du Luxembourg et je suis donc qualifié automatiquement, sans rien dépenser. » En réalité, Michael n’avait que sa volonté et son talent. Jusqu’en 1988. À cette époque, WilliWeber, propriétaire d’une écurie de F3, le remarque et lui offre un contrat de cinq ans avec un salaire mensuel de 1.000 euros. Il empile les succès, devient vice-champion et en 1991, Jordan lui offre sa chance. Malgré une monoplace peu performante, il signe le huitième chrono à Spa-Francorchamps. Deux jours plus tard, il intègre l’écurie Benetton. RossBrawn, son patron, déclare ceci dans le film: « Il n’est pas donné à tout le monde de négocier un virage à 150 miles/heure. Mais ce qui rend Michael spécial, c’est qu’il n’a pas gaspillé son talent. Il a tout mis en oeuvre pour le cultiver. »

L'équipe de tournage a réussi à montrer la façon dont vit la famille Schumacher, ici avec Corinna et Mick.
L’équipe de tournage a réussi à montrer la façon dont vit la famille Schumacher, ici avec Corinna et Mick.© GETTY

Peu après, Michael m’a confié n’avoir jamais fait partie des premiers de classe à l’école. Ça ne l’a pas empêché de manier l’anglais comme un Londonien pur jus. Quand Benetton a préféré les moteurs Renault à ceux de Ford, Schumi a suivi des cours de français. Ce n’était pas indispensable en F1, mais il voulait comprendre les ingénieurs. Pendant que ses rivaux profitaient de leur hôtel cinq étoiles, il travaillait avec les techniciens. Corinna, qui l’accompagnait en voyage, l’attendait patiemment. « On n’a jamais dîné tranquillement au restaurant. Il était constamment en réunion. » Il fait installer un tachymètre dans sa voiture et teste diverses trajectoires avant de comparer la vitesse atteinte.

Assurance, sens du détail, engagement, Schumacher ne laisse rien au hasard. Il s’interdit tout signe de faiblesse, comme l’explique Sabine Kehm: « Il ne voulait pas que quiconque, même au sein de son écurie, remarque qu’il était parfois en difficulté, voire perplexe. Il se montrait toujours dynamique et énergique. » Sans doute était-ce son point faible: jamais il n’a reconnu une erreur, une faiblesse. Ça lui a coûté la sympathie de ses collègues, et même ses supporters ont douté de lui dans les années 90. Schumacher considérait la course comme un duel homme contre homme, comme un combat de boxe ou de lutte. C’était sa vie, alors que la plupart des pilotes considéraient la F1 comme un sport. DavidCoulthard, qui affirme n’avoir jamais atteint le niveau de Schumi, a connu les deux visages de l’Allemand: « Le pilote, rapide, dur, sans compromis, et le père de famille, avec lequel j’ai passé de nombreuses soirées, bu du Bacardi-Coca et fumé des cigarettes. »

Un instantané de la carrière de Schumacher: dans sa Ferrari, il poursuit la McLaren de David Coulthard.
Un instantané de la carrière de Schumacher: dans sa Ferrari, il poursuit la McLaren de David Coulthard.© GETTY

SCHUMACHER LE FANATIQUE

Durant trois saisons, Schumacher et le Finlandais MikaHäkkinen se sont livré un duel acharné. Ils étaient déjà rivaux en karting. Alors que le pilote McLaren-Mercedes est sacré champion du monde en 1998 et 1999, l’Allemand ne parviendra à prendre sa revanche qu’en 2000, en remportant le premier de ses cinq titres pour Ferrari. Dans le film, Häkkinen se souvient d’une scène: il veut dépasser Schumacher, qui se met en travers de sa route. À l’issue de la course, le Finlandais le prend à part: « Tu ne peux pas me bloquer quand je suis à 300 km/h. » Et Schumi de hausser les épaules:  » Mika, that’s racing. »

Je serais prêt à tout pour pouvoir parler de sports moteurs avec lui. »

Mick Schumacher

Le championnat du monde s’est décidé à deux reprises suite à des collisions dans le dernier Grand Prix. En 1994, Schumacher percute son rival direct, DamonHill, et sort de la route. Le GP est terminé pour Hill aussi. Schumacher est champion du monde avec un point d’avance. En 1997, il heurte JacquesVilleneuve, sans penser avoir mal agi, comme l’explique Ross Brawn: « Il était convaincu que Villeneuve l’avait percuté. Nous lui avons montré les images TV et il a bien dû constater que c’était l’inverse. Il a eu deux ou trois moments de ce genre durant sa carrière, lors desquels il a pris conscience d’avoir été trop loin. » Schumacher a perdu le Mondial et la deuxième place, après que le jury l’a sanctionné pour son infraction. Il était fâché sur les fonctionnaires, les journalistes, une partie du public, qui s’était détourné de lui. Était-il fâché sur lui-même? Il ne l’a en tout cas jamais laissé entrevoir.

Avec Ross Brawn, son directeur d'équipe chez Benetton, puis plus tard chez Ferrari.
Avec Ross Brawn, son directeur d’équipe chez Benetton, puis plus tard chez Ferrari.© GETTY

L’Australien MarkWebber, qui a permis à Red Bull de s’adjuger neuf Grands Prix, déclare dans le documentaire que Schumacher s’est toujours tenu à l’écart de ses collègues: « Il était toujours seul, sans personne aux alentours. » Webber tente d’expliquer ce qui transformait Schumi dès qu’il montait dans le cockpit, alors qu’il était en quête d’harmonie dans sa vie privée et qu’il était souvent le dernier à quitter une fête. « Il avait une idée quasi paranoïaque de la perfection et de l’obligation de se surpasser sans arrêt. À la fin, ça s’est retourné contre lui: Comment puis-je gêner mon adversaire pour rester le numéro 1? » David Coulthard se souvient qu’une fois, sous la pluie à Francorchamps, Schumacher a embouti l’arrière de son véhicule, accusant l’Écossais d’avoir délibérément roulé trop lentement. « Je lui ai dit qu’il avait une part de responsabilité. Il a nié. J’ai répété que j’assumais ma part de responsabilité dans le crash, mais que c’était quand même lui qui m’avait embouti, que lui aussi… J’ai rétorqué que lui aussi commettait des erreurs. Il a réfléchi un moment avant de dire: Je ne m’en souviens pas. »

NO COMMENT

Depuis plus de sept ans, la famille Schumacher ne communique plus sur l’état de santé de l’ancien pilote. La vie privée est sacrée, avant comme après l’accident, maintient Corinna. Michael Schumacher n’a donc pas participé au documentaire. « Après les premières discussions avec la famille, on a rapidement appréhendé nos limites. On savait ce qu’on voulait », explique la productrice, VanessaNöcker. L’équipe est toutefois parvenue à montrer comment la famille vit, ce qu’elle éprouve, ce qu’elle espère. Corinna Schumacher raconte: « C’est clair, Michael me manque, jour après jour, et pas seulement à moi. Il manque à tout le monde. Mais il est toujours là! Différent mais présent, et ça nous insuffle de la force. C’est ce que je pense, en tout cas. »

Schumi à bord d'un kart en 1993.
Schumi à bord d’un kart en 1993.© BELGAIMAGE

Depuis le début de cette saison, son fils Mick pilote en F1. Il est considéré comme un grand talent, modeste mais plein d’assurance. Il a assisté à l’accident. « Depuis ce moment, je ne bénéficie plus des moments qu’on passe normalement avec ses parents. Du moins sont-ils plus rares. C’est un peu injuste. »

Si la carrière de Michael Schumacher sur les circuits a été marquée par toute une série de clashes et de coups d’éclat, Schumi lui-même a mené une vie privée dénuée de scandale, contrairement à beaucoup d’autres grands sportifs. Pas de divorce, pas de fraude fiscale. Il voulait consacrer chaque minute de son temps libre à sa famille. Après une interview, dans le cadre des essais à Barcelone, en 1997, il n’avait rien à faire l’après-midi, jusqu’au rendez-vous suivant, le lendemain à midi. Il aurait donc pu retourner se reposer à l’hôtel. Mais non, il a prévenu le pilote de son jet privé et m’a demandé de le conduire à l’aéroport. Il est retourné chez lui le temps d’une soirée, d’une nuit et d’un petit-déjeuner. Il était de retour à douze heures et plaquait sur son visage le sourire Schumi, à l’intention des sponsors de l’écurie.

Mick Schumacher aimerait pouvoir discuter de ses courses avec son père, son héros. Il ne le peut pas. « Je pense que papa et moi nous comprendrions différemment, maintenant. Simplement parce qu’on pourrait user du même langage. Parler des sports moteurs. » Cette pensée le hante constamment. « Je serais prêt à tout pour pouvoir parler de ça avec lui. »

Un bulletin médical est-il vraiment nécessaire? Le film reste délibérément vague sur ce point. La réserve de Corinna Schumacher laisse le champ libre à l’interprétation. Une chose est certaine: le couple n’est pas encore arrivé au bout de sa route. « On vit ensemble à la maison. On le soigne, on met tout en oeuvre pour que Michael aille mieux. Et se porte bien. Mais aussi pour qu’il sente que nous ne faisons qu’un. » Le film laisse la dernière parole à Corinna Schumacher. « Pour moi, il est très important qu’il puisse profiter autant que faire se peut de sa vie privée. Michael nous a toujours protégés et maintenant, c’est à notre tour de protéger Michael. »

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