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Marc Degryse décortique les Diables: « Bilan trop pauvre à domicile! »

L’équipe nationale est en progrès mais ne parvient pas à s’imposer dans son stade: pourquoi n’a-t-elle récolté que deux points contre les ténors de son groupe à Bruxelles? Marc Degryse prend son temps pour passer au peigne fin tous les secteurs du jeu des Diables. Instructif!

« Les Diables Rouges méritaient la victoire mais seule la réalité du marquoir importe: 1-1, le bilan comptable de ce match est insuffisant », note Marc Degryse. « A domicile, la Belgique n’a récolté que deux unités sur neuf contre l’Allemagne, l’Autriche et la Turquie. C’est trop peu et nous ne détenons plus notre sort entre nos mains. En espérant que la Turquie, qui compte un match de moins que nous, fasse un faux-pas, nous sommes dans l’obligation de signer un 9 sur 9, avec un déplacement en Allemagne pour conclure cette campagne de qualification de l’EURO 2012. Je veux bien croire aux miracles mais ce sera difficile. Nous avons raté l’occasion de prendre une option sur cette fameuse deuxième place en reléguant la Turquie à quatre points. Notre équipe nationale a beaucoup progressé en un an mais il reste quand même beaucoup de pain sur la planche. Le résultat est décevant. Ce groupe est jeune et en pleine maturation. C’est encourageant si on songe à la Coupe du Monde 2014. Mais cet effectif a un besoin urgent d’un grand tournoi pour cerner ses limites. Il y a 10 ans que la Belgique est absente des grands rendez-vous. Si les Diables Rouges ratent le rendez-vous de l’Euro 2012, ils songeront certainement aux deux matches nuls concédés chez eux contre l’Autriche et la Turquie. Or, il y avait moyen de gagner les deux fois… »

Georges Leekens a choisi un 4-3-3 avec pour finalité un attaquant de pointe seulement, Marvin Ogunjimi, qui se retrouva isolé au coeur de la défense turque. L’avant-centre de Genk a certes eu le mérite de marquer un but mais c’est un joueur de rupture, pas un pivot qui peut garder la balle dans les pieds en attendant ses médians. Leekens n’aurait-il pas dû opter à un moment pour le bon vieux 4-4-2 qui aurait eu pour effet de masser plus de monde au coeur de la défense turque?

Marc Degryse: « Une équipe bien rodée doit se baser sur au moins deux occupations de terrain. Le 4-4-2 n’est pas du tout démodé, beaucoup d’équipes le prônent encore. Quand il est bien pratiqué, ce système a pour effet de réduire les espaces entre les lignes. Cela dit, Leekens dispose d’un arsenal d’ailiers du style Nacer Chadli, Eden Hazard, Moussa Dembélé, Jonathan Legear (les deux derniers étant blessés) et il a naturellement opté pour le 4-3-3. Je retiens aussi que pas mal de joueurs ont tiré la langue en fin de match. La saison a été longue, les play-offs stressants et fatigants ; j’aurais préféré que les Diables Rouges terminent leur saison face à l’Azerbaïdjan. »

Urgent: trouver des backs de métier

Simon Mignolet n’a rien à se reprocher sur le but turc. Mais, que ce soit sur cette phase ou à d’autres moments, et même si les Turcs ont préféré soigner la circulation que d’attaquer après le repos, la défense belge n’a jamais dégagé un sentiment d’harmonie. Elle a été absente sur les flancs, tant défensivement qu’offensivement. Les deux backs, Toby Alderweireld et surtout Jan Vertonghen, ont régulièrement été dépassés par les événements. Or, il était important qu’ils mettent le nez à la fenêtre ; ce qu’ils n’ont quasiment jamais fait.

Marc Degryse: « C’est un mal chronique. La Belgique compte une belle brochette d’arrières centraux de classe européenne et je suppose que Leekens s’est dit que la pointe de vitesse de Nicolas Lombaerts serait utile dans l’axe. Cela se défend et l’arrière central a trouvé ses marques aux côtés de Vincent Kompany. Personne n’a de soucis à se faire pour l’axe central de la défense car il y a encore Daniel Van Buyten, Thomas Vermaelen et, dans une moindre mesure, Alderweireld et Vertonghen. Le paradoxe veut que les deux derniers cités aient été alignés à des postes qui ne leur conviennent pas du tout. Ils ont dépanné respectivement à l’arrière droit et au back gauche. Mais ce n’est visiblement pas leur tasse de thé. Toby et Jan sont là par défaut. Ils n’ont ni les habitudes ni les réflexes des backs de métier. On ne leur rend pas service et l’équipe se prive de joueurs susceptibles de remonter leur couloir et d’adresser de bons centres. Vertonghen a certes eu deux occasions de but mais elles ne résultaient pas de phases construites. Un vrai back est plus entreprenant.

L’apport offensif d’Alderweired a été insignifiant. Et c’est tout à fait normal. Quand évoluent-ils au back à l’Ajax Amsterdam? Il est temps de dénicher des gars qui sont positionnés toutes les semaines à ces places spécifiques. On ne transforme pas un arrière central en back durant les quelques jours qui précèdent un match international. Leekens estime peut-être que Vertonghen et Alderweireld sont supérieurs aux latéraux qu’on voit chez nous mais il faut continuer à chercher car la défense ne sera jamais stabilisée sans cela. Vertonghen a été à la rue durant 45 minutes. Son avenir ne se situe pas là et je me demande s’il n’a pas carrément perdu sa place en équipe nationale. Vermaelen était plus à l’aise mais lui aussi est un arrière central.

Il ne m’aurait pas déplu de voir Jelle Van Damme dans ce secteur. Il joue dans la ligne médiane au Standard mais connaît aussi le job d’arrière gauche. De plus, il est toujours très présent, monte régulièrement dans le rectangle adverse. Après 20 premières bonnes minutes, les lignes se sont éloignées et les Turcs en ont profité pour bien poser leur jeu comme ce fut le cas sur leur but. Personne n’a attaqué le porteur du ballon qui a pu orienter la manoeuvre et la terminer. Chadli n’aurait pas dû être surpris mais les autres placements défensifs étaient déficients. Il y avait quatre ou cinq arrières belges pour un attaquant et finalement, Burak Yilmaz est arrivé tranquillement en zone de conclusion pour exploiter le centre d’Arda Turan. Personne ne l’a pris en charge. Les Turcs n’auraient jamais pu développer cette attaque… »

La ligne médiane a souffert

Au centre du terrain, après 20 minutes, Steven Defour et Timmy Simons reculèrent au point de jouer sous le nez de Lombaerts et de Kompany. Les Turcs n’en demandaient pas plus, colonisèrent les lignes médianes et la possession du ballon. Le film de la rencontre était sur le point de basculer.

Marc Degryse: « Tout avait bien commencé pour la Belgique qui jouait haut : quand on veut gagner, cela passe par là. Il faut attaquer le porteur du ballon, ne pas permettre à l’adversaire de construire. C’est ce qui s’est passé en début de match et la défense turque était à prendre. La preuve par le but qui résulte d’une erreur grossière des Turcs. Les Belges ont hérité d’autres occasions. A 2-0, le match aurait été plié car cette équipe turque n’a pas un gros mental. Elle aurait baissé les bras. Au lieu de cela, la Belgique a joué plus bas et le bloc s’est fissuré. Defour et Simons en ont eu plein les bottes face à quatre médians turcs. Quand tout va bien, 30m séparent l’attaque de la défense. Or, au terme de la première mi-temps, cette distance avait pratiquement doublé. Cela signifiait que les liaisons avec Ogunjimi étaient coupées.

Axel Witsel a bien tenté de résoudre le problème. On connaît son importance mais lui aussi a manqué de fraîcheur. Tout le monde peut aussi rater un penalty. C’est dommage mais le trio médian belge n’a pas assez dicté le rythme. Pas facile contre des Turcs très à l’aise balle au pied. Il y a eu un sursaut en deuxième mi-temps mais quand on doit gagner, il faut dominer durant 90 minutes et même 95. Or, la Belgique a assez bien joué durant les trois quarts du match mais un quart du temps nous a totalement échappé: c’est trop. Et j’en reviens à cette ligne médiane. Defour s’est bien secoué en fin de match mais a sérieusement souffert quand même. Après cette campagne de qualification, je suppose que Leekens cherchera à remplacer Simons. Les solutions ne manquent pas. On peut toujours y unir Defour et Witsel. Enfin, il reste la solution avec l’incontournable Marouane Fellaini. A gauche, je songe une fois de plus à Van Damme.

Le trio Defour-Simons-Witsel n’a pas été aidé non plus de la meilleure façon qui soit par Chadli et Hazard. Or, leur rôle aurait dû être décisif. C’était à eux de resserrer vers le centre ou de couvrir les backs en cas de perte du ballon. Ils devaient aussi ouvrir le jeu, être actifs sur les ailes, fournir de bons centres. Or, je n’ai rien vu de tout cela. Chadli a beaucoup joué cette saison et ses batteries ont rendu l’âme. Hazard a lui aussi tout donné durant des mois à Lille. La pression a été énorme sur ses jeunes épaules. Lui aussi était animé par le désir de bien faire mais la fatigue de fin de saison l’a empêché de réaliser ses idées. Il a tenté de renverser le cours des choses et cela ne lui a pas réussi.

Dans le doute, il a commencé à errer sur le terrain. Or, il était important qu’Eden reste bien à droite pour écarter le jeu. A cette place, il était aux prises avec le back gauche de la Turquie, le maillon le plus faible de cette défense. Eden s’est progressivement effacé en compliquant son jeu. Le Lillois a voulu se montrer, prouver ce dont il est capable. Et la meilleure façon de ne pas y arriver est de forcer son talent. Son remplacement par Dries Mertens était logique. Leekens aurait pu remplacer Chadli au lieu de Hazard. A ce moment-là, il convenait de choisir entre les éclairs d’Hazard qui peuvent faire basculer le match en une fraction et le travail plus collectif de Chadli. On connaît Leekens: l’équipe passe avant tout. Hazard était déçu et cela peut expliquer sa bouderie en quittant le terrain. Cela ne doit pas se reproduire mais son jeune âge constitue une circonstance atténuante.

Romelu Lukaku absent contre la Turquie a 18 ans, Hazard à peine 20 ans et on leur demanderait déjà de porter le poids d’une équipe. Leur jeunesse est un atout mais elle exige aussi un peu de patience. Hazard vit les mêmes doutes que Luc Nilis dans le temps, étincelant à Anderlecht mais incapable de trouver le chemin des filets en équipe nationale. Hazard a simplement besoin d’un déclic et cette libération passe par son premier but. Je ne me fais pas de soucis : on aura besoin de lui et de sa créativité. »

Ogunjimi était trop isolé

La nouvelle absence de Lukaku a forcément joué un rôle. La puissance du bélier anderlechtois (blessé au pied) aurait posé de très gros problèmes à la défense turque. Son importance saute encore plus aux yeux dans un système avec un seul attaquant de pointe. N’aurait-il pas été intéressant de lancer plus vite Jelle Vossen ou de faire confiance à Bjorn Vleminckx qui a marqué comme il respire aux Pays-Bas? Ogunjimi a en tout cas signé son quatrième but en quatre matches pour les Diables Rouges: pas mal…

Marc Degryse: « Marvin a été trop seul en pointe. C’est un attaquant qui apporte indiscutablement son enthousiasme. Et cette qualité lui a permis d’être tout de suite dans le coup et d’exploiter une erreur de la défense turque. Mais, par la suite, le buteur limbourgeois a progressivement été moins utile. S’il est rapide, il y a aussi des déchets dans son jeu et ses contrôles. A cette place-là, il faut être capable de garder le ballon en attendant que du renfort vienne de la ligne médiane, Or, il faut bien dire que ce n’est pas sa spécialité.

Si Lukaku est un pivot qui peut résister dos à la défense adverse, Ogunjimi vit plus des centres, de sa vivacité dans le rectangle. Hazard et Chadli ne l’ont pas assez aidé. Or, son but dit tout : récupération d’Hazard, centre de Defour, assist de Chadli de la tête et 1-0. Par la suite, Ogunjimi n’a plus été servi de la sorte. Malgré cela, la Belgique s’est forgé quelques occasions de buts. Les Turcs en ont eu deux et cela leur a rapporté un but. Les Belges n’ont pas été aussi réalistes et efficaces. Il leur faut encore trop d’occasions pour marquer. »

Pierre Bilic

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