« Zulte Waregem sera champion »

Le Essevee vient de battre successivement Bruges et Anderlecht, prenant ainsi la première place des play-offs 1. Mbaye Leye en est le meilleur réalisateur, actuellement, avec six goals.  » Nous sommes une machine bien huilée  » observe l’élégant attaquant sénégalais.

Mbaye Leye nous accorde sa première interview en deux ans et demi. Rendez-vous au Parkhotel de Courtrai, là où, il y a un an et demi, le Standard lui a annoncé qu’il ne comptait plus sur lui. La veille, il s’est distingué au Club Bruges, avec trois superbes buts et un assist. Deux jours plus tard, il affronte Anderlecht, un match dont l’enjeu est la première place. Le buteur est réaliste.  » J’espère qu’on parlera longtemps des performances de notre équipe. On attend beaucoup de moi dans les matches-clefs et je veux qu’on me juge sur ces prestations. Je me sens en confiance et c’est la clef de mon succès. Mes coéquipiers comptent tout particulièrement sur moi pour leur offrir des solutions de passes et l’entraîneur ne me condamne jamais à cause d’une remise ratée. Ici, je peux travailler et jouer en toute sérénité.  »

Vous trouvez-vous, à Zulte Waregem, dans de meilleures conditions de travail qu’à Gand et au Standard ?

Mbaye Leye : Oui mais ces expériences ont complété mon registre. Je veux parler de la maturité, de la concentration, de la gestion des événements. Je suis plus détendu et je savoure mieux le plaisir de pouvoir jouer au football. J’ai progressé tactiquement et techniquement, je maîtrise tous les systèmes de jeu et je suis en pleine forme. La façon dont j’évolue en pointe est très différente du style que j’avais durant mon premier passage au Gaverbeek. Nous procédions alors avec des ailiers classiques qui filaient le long de la ligne puis centraient. Moi, je rôdais dans le rectangle, prêt à réceptionner leurs envois. Maintenant, sur les flancs, nous avons des jeunes comme Hazard, Conte et Trajkovski, qui convergent vers l’axe, en possession du ballon, et me servent dans les pieds. Je dois alternativement reculer et foncer en avant. Le jeu que nous tentons de développer est basé sur la simplicité : beaucoup de passes, souvent en un temps. Chacun travaille et chacun marque. L’avant est le premier défenseur.

Vous avez dû revenir à Zulte Waregem pour rejouer en pointe car Gand et le Standard vous postaient sur le flanc.

À Gand, Michel Preud’homme m’a aligné à gauche, à droite et derrière l’avant-centre pendant un an et demi. J’avais perdu les caractéristiques d’un avant quand je suis arrivé au Standard et je n’ai donc pu répondre aux attentes. Les gens ont oublié la cause de mon problème mais que se passerait-il si Mbokani devait constamment jouer sur le flanc ? Ou Bacca, ou Mémé Tchité ? Ce sont des attaquants purs, dont l’objectif est de marquer. J’ai accepté de changer de poste parce que je ne me suis jamais considéré comme un homme en vue, une vedette. Je travaille pour l’équipe puis pour moi-même. Contre le Beerschot, j’ai même joué à l’arrière gauche car nous étions réduits à dix. Nous avons gagné 0-1 grâce à un but de Tchité, sur mon assist. Contre Genk et en Ligue des Champions contre Zurich, j’ai été médian défensif. En fait, au Standard, j’ai occupé tous les postes sauf ceux de défenseur central, d’arrière droit et de gardien. Aucun autre joueur n’a été déplacé aussi souvent que moi en Belgique. J’ai tout fait, tout accepté pour le Standard, jusqu’à ce que José Riga, la saison passée, me convoque avant la mise au vert précédant le match de Coupe contre Zulte. Il m’a annoncé qu’il devait me laisser dans la tribune, Duchâtelet et de Sart l’ayant obligé à aligner des jeunes. Dans les entreprises aussi, il arrive qu’une nouvelle direction change de stratégie et il faut l’accepter. C’est dur mais cela vous endurcit et vous permet de progresser. L’essentiel, c’est que je suis heureux à Zulte Waregem et que les gens, à tous les niveaux, sont contents de moi – et vice-versa.

 » Je suis capable d’apporter un plus à toute équipe belge  »

Vous n’avez plus parlé à Sport/Foot Magazine parce qu’on avait écrit que vous n’étiez pas assez bon pour le Standard.

Compte tenu des circonstances, ce n’était pas correct mais j’ai voulu le démontrer sur le terrain au lieu d’invoquer des excuses. Maintenant, je peux affirmer que je suis capable d’apporter une plus-value à n’importe quelle équipe belge.

Quel regard portez-vous sur cet épisode ?

J’ai été un peu trop gentil avec le Standard. J’ai accepté beaucoup de choses mais ma bonne volonté et ma polyvalence se sont retournées contre moi. J’ai toujours livré mes meilleures performances à l’avant-centre.

Votre position a-t-elle été un item pendant vos négociations avec Zulte Waregem ?

Non car l’entraîneur savait qu’après le départ de Michel Preud’homme, j’avais dit : –  » C’est fini, je ne veux plus jouer sur le flanc.  »

Mais, à Gand, Francky Dury ne vous a pas posté en pointe ?

Non car Michel Louwagie voulait que j’évolue sur un des flancs, comme sous les ordres de Michel Preud’homme. L’année dernière, Francky Dury m’a repris à Zulte Waregem en tant qu’avant mais à Gand, il était nouveau. Il s’est retrouvé dans un groupe qu’il n’avait pas composé lui-même. Il avait trois options pour l’avant : Ljubijankic, Coulibaly et Arbitman, qui venait d’arriver. Il ne pouvait pas m’aligner là. C’est pour ça que j’ai dit que je partais mais le Standard m’a finalement posté sur le flanc aussi.

Vous avez alors déclaré :  » Pour réussir à Gand, Francky Dury devra prendre ses décisions lui-même.  »

Parce qu’il procède en fait comme un manager : il choisit ses joueurs, les entraînements qui conviennent à son système et il manage son équipe. S’il n’a pas toutes les clefs en main, il peut difficilement faire ce qu’il faut. Si Gand lui avait fait pleinement confiance, il aurait connu des années formidables avec Francky Dury. Ce bref passage a été ce qui pouvait lui arriver de mieux malgré tout. Cette expérience de vie l’a aidé à devenir un meilleur coach et un meilleur homme. Il dégage un calme stupéfiant pour ceux qui l’ont connu avant. Parfois, quand nous perdons, je me dis : le Francky d’avant aurait fulminé et nous aurions passé une semaine agitée. Après notre revers contre le Standard à cause de deux buts inscrits sur hors-jeu, la moitié des entraîneurs de notre championnat aurait perdu son contrôle et aurait critiqué l’arbitrage mais il n’a pas émis une critique ni une parole incorrecte. C’est pour cela qu’il est un entraîneur respecté. Il a donné une leçon à tout le monde. Son changement de comportement nous a permis de gagner en maturité et en assurance. Il ne saute à la gorge de personne, il est plutôt un second père pour les jeunes. Il faut le voir avec Malanda, Hazard, Verboom et Naessens : son côté humain est vraiment un plus. Avant, nous nous rendions à l’entraînement pour travailler, nous livrer à fond. Maintenant, le visage de Francky Dury reflète parfois le plaisir et il y a des instants de détente.

 » Francky Dury est à présent prêt pour l’élite belge ou étrangère  »

Comment expliquez-vous cette transformation ?

Après son passage à Gand, il a pris tant de claques qu’il est resté KO. Il est revenu au club où tout avait commencé via la Fédération et les Espoirs nationaux. Il a enrôlé des jeunes que personne ne connaissait ou ne voulait et il a constitué un mélange de jeunesse et d’expérience pour réussir un véritable exploit : en l’espace d’un an et demi, il a mué en candidate au titre une formation qui luttait contre la relégation. J’ai immédiatement réalisé qu’il avait changé.

Qu’est-ce qui vous a frappé ?

Sa décontraction. Son ouverture. Il est zen. Tout le monde en profite : les jeunes pour progresser, les anciens parce qu’il leur donne de l’importance. Toutes les six semaines, il discute avec les meneurs du vestiaire, Karel D’Haene, Franck Berrier, Davy de Fauw et moi. Il aborde tous les thèmes : comment nous sentons-nous, sommes-nous satisfaits des entraînements, parlons-nous aux jeunes ? Comme il délègue davantage, il a le temps de se calmer. Clarté et respect règnent dans nos relations. Vous savez, dans la vie, quand vous prenez une claque, vous faites le point et vous comprenez ce que vous devez changer. Selon moi, il a effectué un énorme travail relationnel. Il est en osmose avec tout le monde et c’est formidable. Son attitude zen lui permet de prendre du recul et de mieux analyser les événements. Il a trouvé un équilibre entre toutes les personnalités et les nationalités qui composent l’équipe. Il comprend que nous sommes tous différents tout en formant une famille. Il le dit, d’ailleurs :  » Nous sommes des frères, qui doivent s’entraider et se respecter.  »

Avant le match au Club, il a déclaré :  » Les jeunes sont jouettes et c’est la bonne attitude.  » Avant, n’était-il pas plutôt dans le rôle du flic qui luttait contre cet enjouement ?

C’est… le jour et la nuit. Les jeunes rigolent tant que je me demande s’ils comprennent que nous pouvons être champions. Leur décontraction les met à l’abri de la pression. L’entraîneur est prêt pour l’élite, en Belgique ou à l’étranger.

Vous êtes plus zen que jamais aussi. Avez-vous vécu la même crise que Francky Dury après votre départ forcé du Standard ?

Dans ces moments-là, en tout cas, on comprend qu’une carrière peut s’achever abruptement. Il suffit d’une blessure, d’un entraîneur qui n’aime pas votre style de jeu ou d’une direction qui veut changer de style. Beaucoup de paramètres déterminent votre réussite – ou votre échec. Ça fait réfléchir, ne serait-ce que parce que, comme tous les joueurs africains, je veux partager mon argent et mon bonheur avec ma famille et mes amis. Ma principale motivation est d’offrir une vie heureuse et paisible à ma mère. Après le Standard, j’ai voulu montrer à tout le monde à quel niveau je pouvais jouer, par égard pour tous ceux qui croyaient tant en moi. Mais je ne me lève pas le matin en escomptant gravir une nouvelle montagne le jour même. Cela requiert de la préparation. Je pense être bien préparé au niveau que j’ai atteint.

 » Je suis physiquement au top  »

Qu’est-ce qui a changé ?

Je vis davantage match par match. Au Standard, j’étais déjà le premier arrivé et le dernier parti mais je consacre encore plus de temps à mon corps. Je suis prêt à consentir beaucoup de sacrifices pour conserver longtemps mon niveau. Cela ne s’arrête pas à la porte du stade. Je cours, je fais du vélo et j’effectue des exercices sur un tapis, à la maison. Je suis physiquement au top.

Comparez donc cette équipe de Zulte Waregem à Gand et au Standard, avec lequel vous avez été vice-champion et vainqueur de la Coupe.

Gand était très physique, le Standard était une combinaison de physique et de technique, avec des joueurs capables de faire la différence. Ce Zulte Waregem est, bien plus que les deux autres, une équipe, qui s’appuie sur son collectif et sa solidarité. Nous sommes une machine bien huilée. Notre organisation nous permet de défendre avec succès contre n’importe qui. Nous formons un bloc au sein duquel chacun travaille et réagit en perte de balle, quel que soit son poste. Cela nous permet de défendre plus haut très longtemps. C’est notre atout.

Cette saison, Zulte Waregem est l’équipe la plus sous-estimée du championnat. Quel en est, selon vous, son joueur le plus sous-estimé ?

Karel D’Haene. Ce qu’il fait à son âge est exceptionnel : il est prêt à chaque match et il n’a encore pris qu’une seule carte jaune alors qu’il évolue en défense. Lui, Steve Colpaert et Davy de Fauw sont trois hommes de l’ombre qui méritent notre respect. Ils sont très importants.

Quel est le plus talentueux parmi les jeunes ?

Hazard, je pense. Il a tout. Il évolue dans un style différent de son frère, il lui sera difficile de l’égaler mais il est en bonne voie. A sa manière, il ira loin. Malanda, Verboom et Naessens sont également en mesure de se produire pour un club plus important que Zulte Waregem. Godeau me surprend vraiment : il est intelligent, il sait prendre du recul et ne perd pas de vue l’importance de ses études.

Qui sera champion ?

Nous. Zulte Waregem sera le champion de Belgique 2013. Nous le méritons pour le football développé et les résultats obtenus. Nous sommes invaincus depuis 18 matches. En déplacement, nous n’avons plus perdu depuis le mois d’août et nous nous sommes imposés à Anderlecht, au Standard et même à deux reprises au Club Bruges. Quand vous êtes premier avec un point d’avance sur Anderlecht à cinq matches du terme, vous méritez d’être champion et de jouer la Coupe d’Europe.

PAR CHRISTIAN VANDENABEELE – PHOTOS: KOEN BAUTERS

 » Aucun autre joueur n’a été mis à autant de sauces que moi en Belgique.  »

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