Zébragone

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

La Marseillaise est devenue un hit au Mambourg.

J acky Ullrich est un joueur anonyme qui n’a pas vraiment marqué le public belge. Pour tout dire, peu de supporters de Charleroi ont même conservé de lui un souvenir concret. L’histoire retiendra toutefois qu’il fut un précurseur. Défenseur formé à Lens et que le Sporting était allé dénicher à Marchienne, il fut le tout premier Français à porter le maillot des Zèbres en première division, durant la saison 1997-1998.

Six ans plus tard, l’Hexagone est le pays le mieux représenté, parmi tous ceux qui ont fourni des joueurs à ce club en D1.

Comment la France a-t-elle pu dépasser en aussi peu de temps les nations qui, lors de pratiquement chaque décennie depuis la fin de la deuxième guerre, avaient pris l’habitude d’expédier de la main-d’£uvre au Mambourg ? Il y eut les afflux polonais, italiens, hongrois, yougoslaves, etc. Depuis un an, c’est la France qui se taille la part du lion. L’effet Mogi Bayat y est pour beaucoup. Il a compris les atouts de ces joueurs : bien formés, dotés d’un sain esprit de compétition et pas trop chers. Aujourd’hui, Bertrand Laquait, Laurent Macquet, Loris Reina et Sébastien Chabaud sont régulièrement û voire systématiquement û dans l’équipe de base. Abdelmajid Oulmers attend d’être délivré d’une sale blessure aux adducteurs pour pouvoir montrer ce qu’il vaut. Et Michaël Ciani est un pari sur l’avenir, à 19 ans seulement. Pour le moment, son décor, c’est presque uniquement le banc de touche.

Ces six joueurs entendent rappeler que le Sporting a parfois eu des raisons de se féliciter de ses transferts français. Aziz Rabbah a laissé un excellent souvenir û et ne serait sans doute pas perdu aujourd’hui dans l’anonymat du championnat israélien s’il ne s’était pas brisé une jambe lors d’un stupide accident avec une voiture du club. Christian Negouai, lui aussi, a valu de belles joies à Abbas Bayat, qui le céda pour un pactole à Manchester City. Deux réussites qui font oublier une liste d’échecs : Stéphane Biakolo, Pascal Dias, Fabrice Kelban, Stéphane Martine.

Que pensent les actuels Zèbres tricolores de leur expérience belge ? En quoi regrettent-ils leur pays d’origine ? Ont-ils l’impression d’avoir fait un pas en arrière en tournant le dos à la Ligue 1 pour la Ligue Jupiler ? Ils abordent, chacun d’une manière différente, leur quotidien carolo.

Bertrand Laquait et la chair humaine

26 ans û né à Vichy û gardien de but û vient de Nancy.

 » J’ai été traité comme un moins que rien par Nancy, qui m’a éjecté au moment où j’étais blessé. C’est le foot actuel qui veut cela. Du pur business. Quand je vois ce qui se passe dans certains clubs belges, je me dis que la situation n’est guère différente ici. Les noyaux B et C, la Belgique connaît aussi. Il faut se rendre à l’évidence : les footballeurs sont aujourd’hui de la chair humaine. On cherche à les monnayer, on ne leur fait pas de cadeaux.

A Charleroi, je n’ai û heureusement û rien remarqué de tous ces excès. Quand je suis arrivé, je n’ai dû m’occuper de rien : les formalités administratives, la recherche d’une maison, le déménagement, le club a tout assumé. A Nancy, j’avais dû me débrouiller. Et, quand je suis arrivé blessé en fin de contrat, on m’a jeté. J’ai été directement victime des nouvelles réglementations touchant les footballeurs français. Il y a quelques années, il fallait avoir disputé une quinzaine de matches en équipe Première pour pouvoir signer un contrat pro. Aujourd’hui, on peut devenir professionnel quand on fait encore partie du centre de formation. Résultat : un club comme Nancy sortait deux ou trois pros par saison il y a dix ans, mais peut arriver jusqu’à 15 par an aujourd’hui. On ratisse très large, et dès que vous n’êtes plus apte, vous êtes victime de l’importance des noyaux.

Je m’en suis bien tiré grâce à Charleroi, mais j’ai vu des drames autour de moi, des joueurs qui avaient laissé tomber un tas de choses pour une carrière professionnelle puis se sont retrouvés à la rue dès la première baisse de forme. Ils n’ont pas su rebondir et jouent actuellement en quatrième ou en cinquième division. Devoir se dire, un jour, qu’on est condamné à faire définitivement une croix sur le professionnalisme, c’est terriblement dur quand on a touché au rêve. Dès mon arrivée ici, je me suis juré de remercier le Sporting à ma manière. J’ai déjà posé un premier geste en prolongeant mon contrat au début de cette saison alors que j’aurais pu attendre des offres plus intéressantes d’ici la fin du championnat. La suite du programme, c’est enchaîner les bons matches « .

Laurent Macquet et la liberté d’expression

24 ans û né à Marcq-en-Bar£ul (Nord) û médian û vient de Cannes.

 » Je prends beaucoup plus mon pied en Belgique qu’en France, il n’y a pas photo. Le football français a fort évolué depuis quelques années. Autant le jeu était ouvert autrefois, autant les coaches sont prudents et calculateurs aujourd’hui. Les claques prises en Coupe d’Europe sont la principale explication de cette évolution. Les Français ont compris que, s’ils voulaient rivaliser avec les Italiens et les Espagnols, ils avaient intérêt à changer leur fusil d’épaule. Le résultat, pour le public, c’est une grande baisse du spectacle. On essaye de ne pas perdre plutôt que de viser la victoire. Et, donc, il y a plein de matches qui se terminent par 0-0 ou 1-0. Presque toutes les équipes de la deuxième moitié du classement procèdent en 4-5-1 et ne misent que sur la contre-attaque. On fait tourner le ballon pendant cinq ou six minutes d’affilée. Résultat : le public ne voit rien.

Pour un joueur créatif, ce n’est pas agréable. Je n’ai joué qu’en D2 dans mon pays, mais même à ce niveau, j’avais deux ou trois joueurs sur le dos dès que j’héritais du ballon. Alors, ici, je m’éclate. J’ai des espaces. Beaucoup d’équipes jouent vers l’avant et ne considèrent pas la neutralisation des créateurs adverses comme une absolue priorité. Je n’irai pas jusqu’à dire que le foot belge est plus naïf, mais il y a moins d’équipes bien en place tactiquement. Et le 4-4-2 est l’arme de la plupart des entraîneurs. Robert Waseige a imposé ce système dès son arrivée à Charleroi. Sur le papier, cela me convient mieux que le 4-5-1, vu que j’ai été éduqué dans cette culture. Mais je n’ai pas encore trouvé mes marques. Depuis quelques semaines, je ne suis pas bon. Je sais que le nouveau coach a confiance en moi. Mais je suis aussi conscient que sa patience a des limites : je ne suis pas le seul joueur du noyau susceptible de jouer derrière les attaquants. Alors, j’ai intérêt à me reprendre en mains au plus vite « .

Loris Reina et le petit Marseille

23 ans û né à Marseille û défenseur ou médian û vient de l’OM.

 » Quand j’ai débarqué à Charleroi, on m’a dit que c’était un petit Marseille. C’est un peu vrai… toutes proportions gardées. Ici comme là-bas, la presse est fort présente. Et les supporters sont chauds. Une semaine après avoir attendu notre bus sur le parking pour nous dire leur façon de penser, à notre retour de Westerlo, ils nous ont fait une grande fête pour notre victoire contre Heusden-Zolder. Ces gens passent rapidement du noir au blanc, comme les Marseillais. Là-bas, j’ai vu quelques voitures de joueurs démolies par le public. En France, il y a un public très chaud à Lens et à l’OM, mais dans les autres clubs, c’est beaucoup plus calme et contrôlé.

J’ai fait un séjour d’une saison au Servette Genève : point de vue ambiance, c’était mortel. Nous avons joué en Coupe de l’UEFA, contre Valence, devant 6.000 personnes. Aucune passion, aucun enthousiasme. Genève n’est pas du tout une ville de foot. A choisir, je préfère de loin les réactions parfois extrêmes des Marseillais et des Carolos, de gens qui montrent qu’ils vivent pour leur club. Je trouve les Belges plutôt chauvins, autant que les Français. Il suffit d’écouter les commentaires en Ligue des Champions sur Club RTL « .

Michaël Ciani et le banc des lamentations

19 ans û né àParis û défenseur û vient du Racing de Paris.

 » Je ne peux pas être satisfait de mon début de saison. J’ai dû me limiter à quelques apparitions en cours de match : c’est beaucoup trop peu. Je ne me sens pas membre de l’équipe à part entière et ce n’est pas facile à vivre quand on avait l’habitude d’avoir des responsabilités. Au Racing de Paris, j’étais capitaine. A Charleroi, je suis chaque week-end dans le groupe mais je dois le plus souvent rester sur le banc. Je commençais à me décourager un peu au moment où le nouvel entraîneur est arrivé. Aujourd’hui, je suis animé par une nouvelle motivation parce que je me dis que les compteurs ont été remis à zéro. Mais je sais évidemment que rien ne sera simple car j’ai plusieurs handicaps : mon jeune âge, mon absence de vécu en D1 (avec le Racing, je n’ai connu que la troisième et la quatrième divisions), mon manque d’expérience par rapport à mes deux concurrents directs dans l’axe de la défense ( Frank Defays et Mustapha Sama) et certains manquements dans mon jeu comme mes problèmes à la relance. En plus, ce n’est pas facile d’entrer dans une ligne arrière qui ne prend pas beaucoup de buts. Je m’accroche, je donne tout pour pouvoir jouer plus régulièrement. Mais je devrai peut-être reconsidérer mon avenir si ma situation ne change pas. Malgré mon contrat de trois ans « .

Sébastien Chabaud et la précocité

26 ans û né à Marseille û médian û vient de Nancy.

 » Les Français qui sont passés par un centre de formation ont de l’avance sur les joueurs d’autres nationalités dans plusieurs domaines. Pendant toute leur adolescence, ils ont énormément travaillé la tactique et la technique. Mais ils ont aussi appris à devenir très vite des hommes. Moi, j’ai quitté ma famille et mes amis à l’âge de 14 ans pour entrer au centre de formation de Cannes. J’ai été obligé de me prendre en mains si je voulais percer et réaliser mon rêve. On est obligé de se responsabiliser, sous peine de devoir quitter très vite le circuit. Une fois qu’on débarque dans l’univers pro, on profite de ces acquis.

Tout le monde doit être conscient de ce qu’on attend de lui. Robert Waseige achève actuellement un travail qui n’était pas terminé dans le noyau : il nous parle plus que Dante Brogno. On sent que ce n’est pas un entraîneur qui vient de débarquer dans le foot de haut niveau. Brogno était fort impulsif, Waseige est plus calme : finalement, le duo est peut-être parfaitement complémentaire « .

Abdelmajid Oulmers et l’insécurité ambiante

25 ans û né à Meknès (Maroc) û médian û vient d’Amiens.

 » J’ai fait deux séjours à Lens et le parallélisme entre Charleroi et cette ville est frappant. Ce sont deux régions ouvrières, dont le travail dans les mines est une partie de l’histoire. Je vois les mêmes maisons en briques rouges, les mêmes pièces de charbonnage délabrées mais toujours debout, les mêmes terrils. Je trouve également que les gens de Charleroi et ceux de Lens ont un accent comparable. Les stades aussi se ressemblent : ils sont implantés au c£ur de la ville. Le Stade Bollaert est une exception en France, de ce point de vue. Ici, il y a des hôpitaux à quelques dizaines de mètres. C’est chouette pour les joueurs qui se blessent en plein match, mais bon, ça doit être moins agréable pour les personnes hospitalisées (il rit).

Entre Lens et Charleroi, je constate toutefois une grande différence. On se sent en sécurité dans le Nord de la France, alors que j’ai parfois peur ici. Je suis sidéré quand je vois qu’une aussi petite ville peut être le théâtre d’autant de faits de délinquance. Istvan Dudas a été cambriolé récemment. Moi, on a essayé de me car-jacker. Ils m’ont filé pendant une semaine sans que je m’en rende compte, mais heureusement, ils ont échoué quand ils sont passés à l’acte. J’avoue que j’évite de sortir le soir. Je n’ai pas l’impression que la ville soit vraiment surveillée. Et la justice me semble beaucoup trop clémente. Si vous commettez une petite infraction en France, il n’y a pas de pitié. Ici, on est beaucoup plus permissif et ça doit expliquer le taux de criminalité « .

Pierre Danvoye

 » Ici, je m’éclate  » (Laurent Macquet)

 » Aussi chauvins que des Français  » (Loris Reina)

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