« Zagreb sera un enfer »

A 32 ans, l’ancien meneur de jeu croate du Standard est heureux en Angleterre.

Si les footballeurs de Portsmouth continuent sur leur lancée, les supporters des Pompey Players affirmeront un jour que le célèbre amiral Nelson aurait rêvé de tels succès à bord de son HMS Victory. Leur bataille de Trafalgar à eux, c’est la lutte dans le haut du tableau en Division One, deuxième étage du football anglais. La Premier League est proche et lointaine à la fois. Elle se mérite après 46 matches de championnat. Un programme de galériens: les deux premiers montent, le troisième passager pour le paradis est élu après des playoffs entre les clubs classés entre la troisième et la sixième place.

« Cela ne m’effraye pas car je me sens bien dans ce club », affirme Robert Prosinecki. La presse de la région est très souvent élogieuse à propos de l’ancien meneur de jeu du Standard. Il a mérité deux fois une cote extraordinaire (9/10) lors des huit premiers matches de la saison. Du rarement vu pour son équipe. Portsmouth a retrouvé le chemin de l’ambition. Le transfert de Robert Prosinecki y avait suscité la sensation.

« Je ne me suis pas beaucoup interrogé », avoue Prosinecki. « Pour moi, cette série vaut l’élite du football anglais. Elle compte pas mal de grands clubs d’un pays où le ballon rond est carrément une religion: Manchester City, Crystal Palace, West Bromwich Albion, Coventry, etc. Il règne toujours une ambiance sensationnelle dans ces stades. Je savais que ce football pouvait me convenir. L’Angleterre n’est plus le paradis du jeu aérien ou uniquement des batailles athlétiques. Ce sont des clichés qui ont la vie dure mais qui ne sont plus du tout le reflet des réalités du foot anglais. Il y a longtemps maintenant que les clubs de ce pays s’offrent de bons joueurs étrangers. Leur influence a été positive mais, dans mon club, je découvre surtout de très bons jeunes joueurs ».

Un public de connaisseurs

Portsmouth joue bien au football et marque beaucoup de buts. Terry Brady, le directeur du club l’a déclaré à The News, le journal de la région:  » We are now playing so well. Avec Robert Prosinecki, ce club compte en son sein un joueur qui détient vraiment la classe mondiale ».

Pompey assume ses ambitions dans le wagon de tête de la série et si Prosinecki n’a jamais été un sprinter, ça ne l’empêche pas d’offrir des ballons de conclusion à des attaquants qui profitent de son excellente lecture du jeu.

« Le public de Portsmouth apprécie les petits gestes techniques », affirme Robert Prosinecki. « Ce sont des connaisseurs. Ils savaient exactement qui j’étais, comment je jouais, ce que je pouvais leur apporter afin de réaliser un bon championnat. Quand l’équipe souffre, le public encourage encore plus ses couleurs. Pour les supporters de Portsmouth, si un joueur mouille son maillot, c’est bien et on ne le démolira jamais. Sur le continent, l’amour du club n’est pas toujours de cette qualité. Les Anglais sont crazy de leur club dans le sens noble de cette expression. Au fait, je me sens tout simplement heureux et accepté par tous. Je suis là pour le plaisir, pour rendre service. On m’a demandé d’aider les jeunes de Pompey. Le coach aligne souvent une équipe dont la moyenne d’âge ne dépasse même pas les 23 ans ».

Prosinecki avait eu d’autres offres en été. L’ancien médian de Sclessin avait été cité en Espagne et surtout à Derby County: « En réalité, j’ai rapidement vu très clair dans mes intentions. J’ai eu une conversation avec Milan Mandaric, le président de Portsmouth, à Nice et ça a suffi à me convaincre. Il a bien décrit la situation et l’objectif du club. Portsmouth a vécu des saisons difficiles et le but était de vivre un championnat plus ambitieux. Mandaric apprécie le football bien construit et c’est d’ailleurs pour cela qu’il a un nouveau manager: Harry Redknapp. Pas n’importe qui car il a été un des architectes des réussites de West Ham. Harry Redknapp et l’entraîneur, Graham Rix, sont également des amateurs d’un football aux accents un peu plus continentaux. Je n’ai jamais eu à me plaindre de mon choix et je perçois beaucoup de respect à mon égard ».

Bleu de travail

Le rythme fou du championnat anglais ne le dérange pas du tout: « Je ne crois pas que le Standard battrait Portsmouth. Il y a eu un gros travail foncier en début de saison. Nous jouons normalement deux matches de championnat par semaine. A un moment, avec les rendez-vous des différentes coupes et l’équipe nationale, j’ai pris part à dix matches importants en trois petites semaines. Dans ces conditions-là, les entraînements sont d’abord des séances de récupération entre deux matches ».

Prosinecki éprouve la même joie que naguère à parler de foot. C’est sa raison de vivre. Son visage s’éclaire quand il parle de foot. Il connaît déjà le football anglais sur le bout des doigts, dévore la presse, se souvient de tous les joueurs croisés en Belgique. Il pourrait couler des jours heureux sur une plage de l’Adriatique, fortune faite après une carrière bien remplie. Mais non, Robert Prosinecki n’était pas trop fier afin de mettre un bleu de travail dans les brumes de Portsmouth. Il a su se remotiver après son départ du Standard où certains firent un peu la fine bouche en le suivant.

La rumeur avait affirmé que Prosinecki avait coûté plus de 100 millions de francs belges. Dès lors, les attentes furent assez énormes comme si ce joueur avait encore les jambes de ses vingt ans, quand il quitta l’Etoile Rouge de Belgrade pour le Real Madrid.

« Je ne crache jamais dans la soupe », lance Prosinecki. « Je me suis bien amusé en Belgique. J’ai gardé des amis à Liège et je les retrouverai toujours avec plaisir. Je ne dirai pas que le football belge fait partie de l’élite européenne. Il y a de bonnes choses mais l’organisation prime par rapport à la technique. Ça ne me dérangeait pas du tout. J’ai réussi ma mission au Standard. Qu’avait-on exigé des joueurs? Le but était de retrouver la Coupe d’Europe après des années de disette. Même si ce ne fut pas toujours facile, le Standard a bel et bien rempli son contrat. Je l’ai aidé à y arriver. Avec un peu plus de volonté ou parfois un zeste de chance, il y avait même moyen d’inquiéter un peu plus Anderlecht ou Bruges. Il n’y a hélas que trois ou quatre clubs belges de haut de gamme. Ce n’est pas suffisant. A la fin de la saison passée, Michel Preud’homme m’a dit que je ne faisais plus partie de ses priorités et que je ne cadrais pas avec ses nouvelles options tactiques ».

Prosinecki continue: « Je suis un professionnel et après tant d’années, je peux admettre qu’un entraîneur songe à d’autres formules pour son occupation du terrain. C’est tout à fait son droit. Je ne lui en veux pas du tout. Nous sommes de grands voyageurs. La vérité d’un jour n’est pas celle du lendemain et la valeur du joueur ou du coach n’est pas toujours en cause. Mon départ n’est pas du tout un échec. En Angleterre, je prouve qu’un jeu plus engagé ou très rapide ne me pose pas du tout de problème. Quand il le faut, je tackle aussi. J’aurais beaucoup aimé évoluer en Coupe d’Europe avec le Standard mais ce n’était évidemment pas à moi de définir les caps.

J’avais encore un an de contrat mais un départ ne me posait pas du tout de problème. J’ai réglé le dossier financier en adultes avec Luciano D’Onofrio. Le Standard se déliait d’un accord et j’étais libre. Nous nous sommes quittés bons amis. Je souhaite bon vent à mon ancien club. A d’autres de continuer sur la même voie ».

Le plus patient gagnera…

Si la page du Standard est tournée, il n’en va pas de même pour le foot belge. Si Robert Prosinecki doit citer le nom d’un joueur qui a frappé son imagination en Belgique, il avancera celui de Bart Goor. Pour lui, c’est la classe internationale (et il range aussi Ivica Dragutinovic dans cette galerie).

Le 6 octobre, à Zagreb, la Croatie surveillera spécialement le gaucher d’Hertha Berlin. Prosinecki veut à tout prix prendre part à sa troisième phase finale de la Coupe du Monde. En 1990, il était en Italie avec la Yougoslavie. Huit ans plus tard, la Croatie créait l’exploit en France: médaille de bronze. Ce sont de bons souvenirs qu’il entend revivre. Pour cela, la Croatie devra vaincre la Belgique à Zagreb. La confiance croate est tout de même assez perceptible dans le chef des joueurs.

« Nous sommes des sportifs de haut niveau », dit Robert Prosinecki. « Autrement dit, la gagne est très importante pour nous. Nous savons tous que le résultat dicte tout. La Croatie a intégré cette réalité en la mettant bien en phase avec nos atouts traditionnels. La Belgique peut se contenter d’un nul mais elle se trompe si elle attend une Croatie qui foncera du début à la fin de la rencontre. Un match se gagne aussi à la 90e minute. Ce sera peut-être le plus patient qui s’imposera. Je m’attends à un débat très engagé mais qui se gagnera d’abord avec la tête. Tout le monde sait tout à propos de tout le monde. Si Emile Mpenza joue, je m’attends à de nombreux ballons en profondeur vers lui. Il sera alors aux prises avec Robert Kovac (Bayern de Munich) qui le connaît car il l’a déjà rencontré en Bundesliga. Si Emile Mpenza lui échappe, Igor Tudor et Igor Stimac veillent au grain. Notre défense est assez solide pour bien contrôler Emile Mpenza ».

L’âme et le coeur de la Belgique

La nouvelle de la blessure et de l’opération au ménisque de Marc Wilmots s’est répandue comme une traînée de poudre en Croatie. « Je sais évidemment que Marc Wilmots a été touché », avoue Prosinecki. « Le joueur de Schalke est l’âme, le coeur et les poumons des Diables Rouges. J’ai vu Ecosse-Belgique à la télé et si l’équipe belge a arraché un point à Glasgow, ce fut d’abord grâce à Marc Wilmots. Sa rage de vaincre a donné une autre dimension à ce match. Un vrai lion et une grosse personnalité. Si la Croatie peut se passer de l’un ou l’autre joueur, la Belgique n’est plus la Belgique sans Wilmots. La tentation de l’aligner à Zagreb sera grande, d’autant plus que Johan Walem est suspendu pour ce choc. Je préfère de loin qu’il joue. Ce serait une excellente affaire pour nous. Nous connaissons les qualités de Wilmots et cela nous éviterait de faire la radiographie d’un autre meneur de jeu. Enfin, et c’est connu, un joueur qui a été blessé et opéré, comme c’est son cas, ne peut pas se donner à fond. Même si son mental est assez exceptionnel, la production n’est pas la même que si le joueur peut miser sur tous ses moyens ».

La Croatie a ses problèmes et le fait que le coach Mirko Jozic ne sera pas en Asie en cas de qualification en est un. « C’est une polémique inutile », affirme Prosinecki. « Les médias croates ont l’art de créer des problèmes où il n’y en a pas et le respect des joueurs à l’égard de Mirko Jozic est total. C’est un homme honnête qui nous connaît tous. Il avait permis à ma génération d’être sacrée championne du monde des Juniors du temps de la Yougoslavie au Chili. Nous lui devons beaucoup. Moi, je ne vois pas du tout qui pourrait prendre sa place en cas de qualification. Mirko Jozic a un palmarès qui vaut le coup d’oeil. J’avais des raisons d’en vouloir à son prédécesseur, Ciro Blazevic. Il était le patron du Dynamo Zagreb quand j’y ai fait mes débuts en Première à 17 ans. Avant un déplacement à Zeljeznicar Sarajevo, il me fit signer un contrat. Je croyais que c’était un accord de pro. J’avais oublié de lire une petite ligne qui me donnait le statut de stagiaire. Mon père s’est fâché, moi de même et Blazevic a dit que je ne jouerais plus et qu’il mangerait ses diplômes de coach si ma carrière était une réussite. Malgré cela, je lui tire mon chapeau. Troisième d’un Mondial avec un petit pays, il faut le faire. Il se débrouille très bien en Iran pour le moment et ce n’est pas donné à tout le monde ».

Le moteur croate

Croatie-Belgique sera plus que probablement un match très fermé. L’intention croate est de placer des joueurs rapides devant la défense belge que les Slaves estiment un peu lente dans son axe. « Il y a un élément de réflexion important », avance Robert Prosinecki. « Les deux pays savent qu’ils auront encore une chance de rattrapage en cas de pépin le 6 octobre. C’est rassurant ».

Prosinecki sera le moteur de cette équipe et tout se passera autour de lui. Ne navigue-t-il pas dans le doute alors qu’ Alen Boksic ne joue pas et que Mario Stanic soigne encore une petite blessure?

« Ce sont des handicaps comme la Belgique a les siens mais la Croatie saura se dépasser à Zagreb », conclut-il. « A part l’Italie, personne n’a jamais gagné au Stade Maksimir. C’est un très gros élément de réflexion. Zagreb sera un enfer pour les Diables Rouges. Balaban, Rapaic, Vlaovic, et d’autres offrent quand même des alternatives et rien ne dit que certains ne sont pas rétablis. A Glasgow, on avait également affirmé que la Croatie ne tiendrait pas le coup sur le plan physique car quelques joueurs n’étaient pas repris régulièrement dans leur club. Or, à Glasgow, la Croatie a facilement imposé son rythme à l’Ecosse. Nous avons gagné tous les duels. Physiquement, la Croatie sera parée pour croiser le fer avec les Diables Rouges. Je veux absolument aller au Japon et en Corée ».

Dia 1

Pierre Bilic, envoyé spécial à Portsmouth.

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