» Witsel a le jeu de Defour et la puissance de Fellaini « 

Brillant en Ligue des Champions, quart de finaliste de l’Europa League et placé pour un doublé Coupe-championnat : MPH poursuit sa moisson de succès. Interview.

Ciel bleu, mercure en forme, supporters qui font bronzette, et au beau milieu, des joueurs sacoches en mains qui retrouvent leurs imposantes cylindrées : fin de décrassage pour les hommes de Michel Preud’homme dans une ambiance club de vacances. La veille pourtant, Twente jouait un match couperet à Den Haag qui fut heureusement conclu en happy end grâce au but de Luuk De Jong à la 88e (1-2). Le club d’Enschede a beau avoir de réelles chances de rééditer son titre de champion à seulement 180 minutes du terme du championnat, la tension est difficilement palpable. C’est dans ce contexte paisible que la RTBF et Sport/Foot Magazine ont rencontré l’ex-coach à succès du Standard et de Gand dont la quiétude fut quelque peu interrompue par la cuisinière du club, sommant  » Preud’homme  » d’aller avaler son bol de soupe aux légumes. Une ambiance à mille lieux du zèle de certains clubs belges pour qui une participation en Ligue des Champions suivie d’un quart de finale en Europa League ne serait pourtant qu’utopie….

Vous aviez souvent répété que le titre n’était pas un must en début de saison, on imagine toutefois que la déception serait grande s’il venait à vous échapper…

Michel Preud’homme : Maintenant, il faut essayer d’aller jusqu’au bout. Mais jouer le titre à deux journées de la fin, personne ne s’y attendait. Au début de saison, il a fallu reconstruire une nouvelle équipe ou du moins une demi-équipe. L’objectif était donc de finir troisième, quatrième, d’empocher une place européenne. Et d’essayer de passer l’hiver en Coupe d’Europe sans savoir qu’on allait se retrouver dans une poule avec Tottenham, Inter Milan et le Werder Brême.

Que retenez-vous de cette Ligue des Champions ?

Une superbe expérience, d’autant plus qu’on a montré de belles choses contre des équipes d’un très bon niveau avec qui on a fait jeu égal et même parfois dominé. Avec comme récompense de continuer notre parcours en Europe en laissant un club comme Brême derrière nous. En Europa League, on a encore sorti deux grosses pointures : le Zenit Saint-Pétersbourg, qu’on connaît je pense très bien en Belgique ( il rit), et le Rubin Kazan qui est du même calibre. Mais c’est vrai que la Ligue des Champions, c’est encore autre chose. Mon fils me rappelait il y a pas si longtemps que cette épreuve nous était réservée à la Playstation ou à la télé. Cette fois, on l’a vécue en live ; il était d’ailleurs très ému à l’écoute de l’hymne de la Ligue des Champions.

Vous y avez côtoyé des Harry Redknapp, Rafael Benitez. Ces rencontres vous ont-elles changé ?

Ce qui m’a frappé, c’est que ce sont des monstres sacrés comme coaches et ils restent très simples. C’était ma première en Ligue des Champions, je faisais donc mes premiers pas dans ce cercle où j’ai été superbement bien accueilli. J’ai notamment conversé avec Benitez qui était alors déjà sur la sellette à l’Inter. Il avait comme le besoin de parler. Vous savez, un entraîneur est quelqu’un de seul, il se confiera plus facilement à quelqu’un qui fait le même métier que lui. Cette conversation était même surprenante car elle s’est déroulée juste avant le match. Il me parlait de la popote interne du club, quand à un moment, je lui réponds, et là il me dit : – Mets ta main devant ta bouche. Il fallait éviter qu’on puisse lire sur les lèvres.

Foot batave+ profondeur

C’est aussi grâce à votre parcours en Ligue des Champions (11 buts marqués dans les poules) avec un football ultra positif, que vous avez mis les sceptiques hollandais dans votre poche

Quand on débarque aux Pays-Bas, il faut s’attendre à être critiqué. J’ai remarqué ça très vite : leur équipe nationale venait d’être vice-championne du monde et pourtant ce n’était pas assez. Je me suis dit que moi aussi, j’allais en prendre à un moment ou un autre. D’autant que j’arrivais avec l’étiquette de l’ancien gardien de but, belge de surcroît, donc automatiquement à l’esprit défensif. Ce n’est véritablement qu’avec la Ligue des Champions que j’ai pu rassurer tout le monde et reçu même pas mal de louanges. On me désignait comme un  » Belge qui défend le jeu hollandais « . Cette Ligue des Champions a été très positive pour moi.

Vous êtes-vous adapté au jeu hollandais que l’on sait traditionnellement tourné vers l’attaque ?

Vous savez quand je suis arrivé à Gand, on m’a dit :- Construis une culture, construis une équipe, comme tu l’avais fait avec le Standard. Ici, j’arrivais chez le champion de Hollande, donc la base était énorme. Et ç’aurait été con de ne pas s’en servir. Je me suis basé sur ce qui existait en y apportant ma marque de fabrique, c’est-à-dire un peu plus de profondeur. Je dois dire que le mélange a très bien fonctionné pendant les six premiers mois. On a connu par après davantage de difficultés car mon jeu demande beaucoup de présence physique et l’accumulation de matches de Coupes d’Europe a rendu tout plus difficile.

Cette dépense physique a notamment permis de transfigurer un joueur comme Theo Jansen, qui réussit peut-être la plus belle saison de sa carrière.

L’an dernier, il évoluait davantage dans le deux défensif du milieu et laissait les offensives souvent aux autres. Je lui ai expliqué qu’avec ses qualités, s’il parvenait à jouer plus haut, il marquerait davantage de buts. On a donc travaillé à son développement et pour la première fois de sa carrière, il est à plus de dix buts sur la saison et a donné encore davantage d’assists.

De façon générale, vivez-vous le football d’une manière plus décontractée qu’en Belgique ?

Disons qu’il y a d’abord eu une demande de la direction de Twente par rapport à l’arbitrage. Et jusqu’ici ça s’est très bien passé sauf une fois à l’AZ où l’arbitre oublie de nous donner trois penalties avec comme conséquence la perte du match. Mais je dois dire que pour le reste, je n’ai pas eu de raison de m’énerver.

L’arbitrage aux Pays-Bas est donc meilleur ?

Je ne sais pas dire s’il est meilleur. Peut-être que j’étais moins énervé parce que je connais moins bien les gens, que j’étais davantage tolérant. Quand on vit longtemps dans le même environnement, comme ce fut le cas en Belgique, il arrive qu’on ait des préjugés.

La pression était-elle plus grande chez nous ?

La presse belge exagérait peut-être la donne. Même si quand je me suis énervé contre l’AZ, je me suis aussi fait massacrer par la presse. Mais ici je ne connaissais pas les journalistes, même si ça évolue, alors qu’en Belgique où j’ai joué, où j’ai entraîné, j’acceptais peut-être moins la critique de personnes que j’avais appris à connaître.

Vous dites ne pas avoir de plan de carrière mais peut-on voir une certaine cohérence entre le Standard-Gand-Twente ?

Il y a une cohérence, je fais ce que j’ai envie de faire. Plus sérieusement, mon luxe à moi c’est d’arriver à me placer là où je fais ce que j’ai envie de faire. C’est pour ça que je travaille beaucoup.

Ne vous faut-il pas à chaque fois un nouveau défi ?

Pas nécessairement, mais il faut du feeling, un contact positif. Avec le Standard, il était là au début, puis je l’ai retrouvé à Gand avec son président, Ivan De Witte, et Michel Louwagie. Un club peut venir avec des millions d’euros, si je n’ai pas ce feeling, je n’irai pas. Même chose au niveau sportif puisque j’ai quitté le Standard qui allait disputer la Ligue des Champions pour Gand. L’été dernier, les dirigeants du club saoudien d’Al Shabab étaient prêts à faire beaucoup de choses, notamment pour la famille. C’était assez impressionnant. Mais j’avais décidé que Twente était ce que je devais accomplir et y aller à fond. Jusqu’à la prochaine fois ( il rit).

Workaholic qui lève le pied ?

Y a-t-il une évolution dans ta façon de travailler depuis vos débuts comme coach ?

On apprend tout le temps. Lors de mon premier passage comme coach au Standard, j’ai appris de Dominique D’Onofrio, de Luciano aussi, car il avait côtoyé de grands entraîneurs. Je suis arrivé à Gand dans un autre environnement, et là aussi j’ai appris. Qui pourrait dire d’ailleurs qu’il sait tout ? Personne. On peut parfois voir un entraîneur de jeunes, des -10 par exemple, qui donne à ses gosses un exercice, et se dire : – Tiens, cet exercice je vais l’adapter à mes joueurs.

Vu votre réussite ces dernières années, peut-on dire qu’un poste plus administratif comme celui de président de l’Union belge dont il fut question, aurait été du gâchis ?

Si l’on m’avait élu président de la fédération suite au projet que j’avais mis en place, j’y serais toujours. Je m’y serais investi et je ne serais jamais devenu entraîneur.

Vous n’avez pas ce besoin du terrain ?

Non, parce que je donne mon énergie dans ce que je crois.

Vous n’avez parfois pas le sentiment d’en faire même trop ? Ici on vous décrit comme un workaholic. Au Standard, on évoquait même des problèmes de santé liés au stress, à votre métier…

Je prends du repos quand c’est nécessaire. Mais vu que cette année, on a été très loin en coupes d’Europe et que notre programme comptait un match tous les trois jours, j’ai parfois passé des nuits à préparer ces confrontations. Et donc sauter mes plages de repos. Je crois surtout que vu la structure de ce club, je dois apprendre à davantage déléguer.

Vous n’avez pas peur qu’un jour vous vous dites que vous avez négligé votre santé, la famille, etc ?

Ma famille est aujourd’hui avec moi ici à Twente. Elle a dû s’adapter, ça n’a pas été facile, donc j’essaie d’être plus présent. Il arrive que je parle avec eux de mon métier et de l’éventualité que je dise stop. Dans deux ans, cinq, dix ans, je ne sais pas. Si je n’ai plus cette passion, je ne vais plus prolonger les frais pour prendre encore un an de contrat. J’ai arrêté de jouer alors que j’étais encore en condition, mais l’envie avait disparu.

Vous avez le bonheur aussi d’être un coach qui n’a pas connu les affres d’un limogeage.

C’est vrai, touchons du bois. J’essaie d’être un coach honnête. Lors de mon premier passage au Standard, j’ai donné ma démission à Luciano D’Onofrio aux alentours de février-mars. On était passé du top à la cinquième place. Je lui ai dit : -Tu es venu me chercher, tu me dois rien mais c’est fini, j’arrête. Et là il m’a répondu : -Tu crois que je vais crever tout seul, on va crever ensemble ! A Ivan De Witte, j’ai donné deux fois ma démission. Il m’a répondu : – Ne me dis plus jamais ça, tu n’es pas un type qui abandonne.

Pays-Bas vs Belgique

Après quasi une saison à la tête de Twente, quelle différence faites-vous entre la Belgique et les Pays-Bas ?

Ici il y a des infrastructures superbes. On trouve des stades de 10.000 places comme des stades de 50.000 mais toutes ces enceintes sont fermées, près du terrain, avec des vestiaires espacés, ce qui n’est pas toujours le cas en Belgique. Tout est bien organisé. Au niveau technique, on travaille beaucoup la base, les gammes, les passes, les contrôles. A Gand et au Standard, on faisait la même chose, même si au départ, les joueurs me disaient que c’était des trucs pour enfants. Je leur répondais que s’ils savaient le faire, on arrêterait. Et on n’a jamais arrêté. Vous savez, toutes les équipes espagnoles font tous les jours pendant 20 minutes ce type de passes, on voit ce que ça donne au niveau technique. Quant au jeu, il y a beaucoup de construction à partir de l’arrière même si parfois c’est excessif.

Du point de vue de la formation, les lacunes en Belgique sont-elles criantes par rapport à ce que l’on peut voir aux Pays-Bas ?

Je ne suis pas un spécialiste au niveau formation mais je vois que les moyens ne sont pas les mêmes. A Twente, tous les entraîneurs de jeunes sont pros et ont un adjoint. C’est un peu ce que j’avais proposé à la fédé : avoir de bons entraîneurs de jeunes qui soient justement rémunérés. Mais on constate qu’en Belgique, les coaches sont toujours des gens qui travaillent en journée et viennent donner leur entraînement en soirée. Ce n’est pas une question de qualité des gens mais bien de disponibilité. Et ce qui est malheureux c’est que ces personnes compétentes finissent par aller entraîner en troisième ou quatrième provinciales pour gagner beaucoup plus…

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS: REPORTERS/ GYS

 » J’ai parfois passé des nuits à préparer les matches. Je dois apprendre à déléguer…  »  » Je parle avec ma famille de l’éventualité de dire stop. « 

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