» Wilmots est fantastique mais ne va pas réussir « 

Roger Claessen, Michel Preud’homme, Enzo Scifo, Marc Wilmots : tranches de vie du foot belge par un ex-puncheur qui en a encore sous la pédale….

Télé et foot dans les années 90 rimaient avec Canal +, première chaîne à péage à retransmettre des rencontres de notre championnat. C’était aussi l’apparition d’un duo devenu indissociable formé du journaliste, André Remy, et de son consultant, Jean-Paul Colonval. Ce dernier fut d’ailleurs le premier à lancer cette mode de l’ex-pro venu apporter son expérience des rectangles, Arsène Vaillant ayant toujours été journaliste à part entière.

Colonval a longtemps percuté ; les plus anciens se rappelleront cet attaquant athlétique qui sévissait du côté de Liège et Bruxelles (voir bio). Aujourd’hui, l’ex-joueur-coach-formateur-consultant a 72 ans. Il est rangé des terrains depuis janvier 2007 et sa fin de parcours comme directeur technique de Mons. Malgré des dehors un peu bougons, l’homme reste un véritable passionné du ballon rond, lui qui est toujours attablé aux côtés du président Leone lors de chaque rencontre à domicile de l’Albert. Entretien avec une personnalité qui a gardé le verbe haut et mordant.

Vous restez un conseiller de Dominique Leone. Comment percevez-vous l’homme ?

Jean-Paul Colonval : Quelque part, il a un grain de folie car ce n’est pas possible de signer des chèques indéfiniment. Je serais bien plus optimiste si on voyait l’apparition de loges supplémentaires car je suis sûr qu’elles se loueraient. Mais à l’inverse, Mons possède une tribune qui ressemble à des infrastructures d’un club de 3e Provinciale à laquelle on ne peut même pas accéder. Mons est une Rolls-Royce avec un moteur de 2 chevaux.

Vous avez peur que le président Leone abandonne ?

Certainement. Car je pense qu’il mériterait qu’on l’aide davantage. Il est ouvert, il invite des politiciens à tous ses matches, mais rien n’en sort. Elio Di Rupo fait semblant d’aider, mais ce qui l’intéresse, c’est  » Mons capitale européenne de la culture en 2015 « . Il veut garder tous les subsides pour son bazar. Evidemment, on ne peut pas dire tout ça, c’est du politiquement incorrect.

Vous êtes fier de votre passage à Mons comme directeur technique ?

Quand je suis arrivé à Mons, l’équipe descendait en D2. On avait mis 17 joueurs dehors. Deux ans après, on finissait neuvième de D1 en ayant battu tous les gros poissons. Philippe Collin, qui n’est pourtant pas très loquace, m’a dit après le dernier match face à Anderlecht : – Vous avez rendu une crédibilité à Mons. C’est le plus beau compliment qu’on pouvait me faire. De même que je suis l’invité à vie du président Leone : il sait ce que j’ai réalisé concrètement. Pour autant, je n’éprouve aucune envie d’aller pavoiser avec une plume dans le cul sur la Grand-Place de Mons. Ça ne m’intéresse pas. De même que j’ai refusé des tas de télévisons parce qu’on a assez vu ma gueule. Il y a le discours convenu et celui que vous ne pouvez pas tenir, sinon vous êtes grillé un peu partout.

Riga et son papier d’emballage

Pourquoi aviez-vous quitté ce poste de directeur technique ?

Je n’étais plus d’accord avec la manière dont le club était dirigé, je savais que Riga allait droit dans le mur. Il avait perdu le contrôle des effectifs. Entre parenthèses, j’avais sorti ce type de l’anonymat, je lui avais donné une chance alors qu’il avait été remercié comme T2 au Standard.

Lors de sa première saison, vous étiez plutôt louangeur à son propos…

Bien entendu. Tout le monde a ses qualités et ses défauts et Riga n’échappe pas à la règle. Il y a l’aspect humain et l’aspect du technicien. Je dois dire qu’il était sérieux, qu’il préparait bien ses entraînements, qu’il avait un bon dialogue avec les joueurs. Sur le plan humain par contre… Ce que je ne dis pas au sujet de Riga fait partie de la sphère privée et je ne veux pas la dévoiler. Mais je n’ai jamais compris comment ce type s’est retrouvé au Standard. Pour moi, c’est un total imposteur.

Mais vous y avez cru puisque vous êtes allé le chercher…

J’y croyais, c’est vrai. Ce garçon est intelligent. Il n’a jamais joué à un haut niveau mais avait été project manager chez AXA et était donc habitué à conduire des équipes. C’est un planificateur. Mais je me suis rendu compte assez vite que son discours était un magnifique papier d’emballage. Au fond, c’est un opportuniste doublé d’un manipulateur. Il aime bien s’entourer de béni-oui-oui qui sont à sa solde comme le préparateur physique Bernard Smeets. Le duo travaillait déjà ensemble à Mons. Il était hors de question de s’occuper des joueurs en revalidation après l’entraînement, alors que c’est pourtant la moindre des choses quand on est préparateur physique. Dès 12 h 30 : c’était retour Cité Ardente. Riga fut une déception énorme. Et c’est surtout pas un type pour le Standard, faut quand même pas rire ! Il peut être un bon contremaître, mais pas plus. Je l’appelais toujours J.R., vous devinez pourquoi…

 » J’ai été chercher Benjamin Nicaise à Amiens pour 0 franc, 0 centime « 

Ce n’est pourtant pas l’image publique voire médiatique qu’il dégageait.

Ils sont tous tombés dans le panneau. Jean-François de Sart est un type très gentil, trop gentil même, mais quelqu’un d’intelligent. On peut tromper quelqu’un pendant un mois-deux mois, après ça devient plus difficile. Quand de Sart a vu à qui il avait à faire, il en tiré ses conclusions.

Êtes-vous satisfait de votre passage montois ?

J’ai ma fierté et donc je ne me suis jamais vanté. Mais on a réussi à Mons ce qui n’avait encore jamais été réalisé par le club. Être champion de D2 et enchaîner par une neuvième place grâce à un superbe deuxième tour. J’ai été notamment chercher Mohamed Dahmane pour 2.000 euros. J’ai été chercher Benjamin Nicaise à Amiens pour zéro franc, zéro centime.

Aujourd’hui, vous en pensez quoi de Nicaise ?

C’est un type très intelligent mais un écorché-vif qui a horreur de l’injustice et qui est psychologiquement un peu fragile.

Comment évaluez-vous son travail de consultant ?

Je dois avouer que je ne regarde pas beaucoup. Je ne regarde pas les effets de certains journalistes qui sont là pour se mettre en valeur et non mettre le foot en valeur. Un truc comme La Tribune, c’est une réunion de pisseurs de comptoir. Ça ne m’intéresse mais alors pas du tout ! Il y a trente ans, il y avait déjà ce type d’émission mais avec la présence d’un journaliste intelligent : Philippe Henry. Quand je vois qu’il y a maintenant des intervenants féminins, je me demande où on va…

Les femmes dans le foot, ça vous dérange ?

Quand des femmes épaisses comme des brindilles nous donnent des leçons de tactique, je pisse de rire dans ma culotte ! On voit très bien que c’est du prêt-à-porter journalistique : on a bien appris sa leçon, on a bien écouté ce que les autres ont dit. Ça n’exclut pas un gros travail mais la sensibilité footballistique vient des footballeurs. Et plus on a évolué à un haut niveau, meilleure est la sensibilité. Quand vous êtes sur le terrain, il y a des choses que vous sentez. Quand vous n’avez jamais joué au football et que vous ne connaissez pas la différence entre un chapeau buse et un ballon, il y a un problème. Tout ça en fin de compte pour dire : nous sommes £cuméniques et nous ouvrons le football aux femmes.

Perbet est inouï

Qu’avez-vous pensé de l’arrivée d’Enzo Scifo à Mons ?

Enzo à Mons, Enzo à Charleroi, Enzo à la Louvière, c’est dans la nature normale des choses. Enzo à Anderlecht ? Pourquoi pas. Même si on est dans un pays où l’on adore brûler ce que l’on a adoré. Pour ça, on est les champion du monde. Enzo est une icône. Partout où il va à l’étranger les gens tombent en pâmoison. En Belgique, ce n’est pas le cas ou trop peu le cas. Son seul problème, c’est sa capacité à gérer les conflits entre joueurs, c’est là qu’on doit l’attendre. Mais Enzo est une vitrine magnifique pour Mons.

En tant qu’ancien attaquant, vous pensez que Jérémy Perbet a les qualités pour évoluer à un haut niveau ?

Jouer à Chelsea, faut pas non plus rigoler. Mais il pourrait évidemment jouer dans n’importe quel club belge. Il me fait penser au niveau du style à Erwin Vandenbergh. Techniquement, c’est du haut de gamme et puis ce type cadre neuf tirs sur dix : c’est inouï ! Inouï ! Il n’a pas un tir foudroyant mais il cadre et son jeu de tête n’est pas mal non plus car il a un sens du placement aiguisé. Je suis Anderlecht, Standard ou Bruges, je le prends directement. Quand je pense que Genk paye 2, 5 millions d’euros pour Derrick Tshimanga qui est un arrière et qu’on pinaille pour le meilleur buteur du championnat alors que le prix est moindre…. Qu’il vienne de Mons, de Grimbergen ou de Houte-Si-Plou, c’est le meilleur buteur du championnat et un meilleur buteur, ça se paye ! Effectivement, vu qu’il vient de Mons, on fait la fine bouche alors qu’il a marqué des buts contre toutes les équipes du top. J’avais déjà essayé de le prendre quand j’étais directeur technique de Mons.

On évoque souvent la perte d’identité du Standard. Avez-vous aussi ce sentiment ?

Bien sûr. Ça reste mon ancien club. Je me rappelle encore quand je suis arrivé au Standard, j’ai ressenti le poids de la tradition, les obligations liées à cette histoire, le niveau de jeu qu’il fallait atteindre et qu’il fallait conserver. Quand on a un Léon Semmeling, un Christian Piot ou un Wilfried Van Moer derrière, c’est tolérance zéro. Il faut être au minimum à 100 %. Ça fait partie de cette identification aux couleurs. Aujourd’hui, c’est à mourir de rire.

 » Ça fait dix ans que j’attends le déclic de l’équipe nationale « 

On peut comprendre qu’un Axel Witsel ou Steven Defour ne s’éternisent pas quand des grands clubs portugais viennent les chercher…

Semmeling est resté 20 ans au Standard alors que le Real Madrid le voulait. C’était en 1959 et le club espagnol offrait 10 millions de francs belges (250.000 euros). Mais Roger Petit a mis son véto. Si ça se reproduit aujourd’hui, et comme les contrats ne servent plus à rien, le joueur va bouder et le club va plier car il voudra toucher de l’argent. Le football a beaucoup changé, c’est une évidence. Avant, on défendait une casaque noir-jaune-rouge comme si la vie en dépendait. Aujourd’hui, c’est : -On va jouer et si ça va pas, on fera mieux la prochaine fois…

C’est pas un discours un peu cliché ?

Non, parce que ça fait dix ans que j’attends le déclic de l’équipe nationale. Alors, j’ai décidé de ne plus m’y intéresser. Porter le maillot, c’est important. J’adore ses couleurs. Quand je vois la légèreté avec laquelle certains les défendent, c’est lamentable. Et j’en ai ras-le-bol d’entendre : – Oui mais qu’est-ce qu’on a été bons, oui mais on a pas eu de chance. J’adore Marc Wilmots parce que c’est un type fantastique. J’ai essayé de le faire venir à Mons. Il est venu avec sa femme, sa toute petite fille, pour négocier les conditions financières dans le bureau du président Leone où se trouvait aussi Alain Lommers. Et je crois que le président n’a pas eu un bon feeling. Il marche à l’instinct : c’est comme un fauve.

Vous êtes donc content de la nomination de Wilmots ?

Evidemment. Mais d’après moi, malgré son vécu et ses grandes qualités, il ne va pas réussir. A cause de l’état d’esprit des joueurs belges et le fait qu’en attaque c’est le néant. Loin de moi l’idée de critiquer Marc mais l’équipe belge qui a joué à Wembley, j’ai cru voir un entraînement. Ça jouait à du trois et demi à l’heure. A 30 mètres du but, il aurait quasi fallu mettre un panneau de signalisation : -Le but, c’est par là. Quand je vois ces équipes qui font un coup derrière, un coup sur les côtés, sans avancer, je zappe.

Vous zappez l’Espagne donc ?

Attention : à 30 mètres du but, il y a une accélération fulgurante. C’est une grande différence. L’équipe belge est une caricature de l’Espagne.

Pourquoi ne prend-on pas Bob Peeters ?

Pas très optimiste tout ça…

Si, les grands clubs belges ont enfin compris l’importance des jeunes. Le nouveau centre de Neerpede, l’Académie Robert Louis-Dreyfus, à Genk où l’on travaille bien, etc. Aujourd’hui, les jeunes sont bien encadrés et peuvent bénéficier de parfaites installations pour se développer. A contrario, le grand scandale, c’est l’état de délabrement dans lequel la Ligue pro laisse la Division 2. On laisse mourir ces clubs. En D1 aussi, beaucoup de clubs vivent au-dessus de leurs moyens. Sans des types comme Leone ou Roger Lambrecht, de nombreux clubs n’existeraient plus.

Quel regard portez-vous sur Roland Duchâtelet ?

Je ne vois pas ce qu’il veut faire. La première saison, il avait encore du crédit. Mais cette année, il ne peut plus se louper. Amener un entraîneur hollandais qui ne connait pas un mot de français ou alors des balbutiements, c’est méconnaître l’histoire du Standard. Jamais un coach hollandais n’a réussi à Sclessin. Arie Haan est l’exception mais il avait joué au Standard et avait été champion. Je ne discute pas de la qualité de technicien des Van den Brom, Jans ou Koster mais est-ce que leur présence se justifie ? Il n’y a que des mauvais chez nous ?

Qui sont les bons coaches belges ?

Bob Peeters par exemple. Il est intelligent, a une grande expérience du foot, il connaît les langues. Pourquoi ne pas lui avoir donné une chance ? Les Hollandais ne viendraient pas chercher du belge comme on le fait avec eux. Les Hollandais méprisent les Belges, il faut le savoir. J’avais dit à Michel Preud’homme de faire gaffe en signant à Twente. Il m’a dit : -Te tracasses pas, je sais tout ça. Voilà aussi pourquoi il n’est resté qu’un an, on l’attendait au tournant. Michel a prouvé qu’il était un excellent coach et pourtant, je me rappelle qu’en 2002, il avait le choix entre continuer comme coach ou passer directeur technique au Standard. Je lui avais posé la question de son futur lors d’un partie de golf. Il m’avait répondu : – Entraîneur, c’est pourri comme métier. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’avait pas une grande appréciation du groupe.

Michel Preud’homme qui part en Arabie Saoudite alors que sa cote est au plus haut, vous le comprenez ?

C’est la société actuelle qui veut ça : on en veut toujours plus. On voit bien des joueurs italiens qui vendent des matches alors qu’ils ont déjà de très gros salaires. Le calcul de Michel est très simple : je reste trois ans, je gagne autant de millions d’euros et puis…. ( il sifflote).

Le salaire d’Hazard par exemple, vous choque-t-il ?

Non puisqu’on le lui a offert. Il serait bien con de refuser. Mais je peux comprendre que pour les ouvriers d’Arcelor qui sont en chômage partiel, c’est choquant.

Le bal du bourgmestre

Les footballeurs font partie d’une caste ?

Quelles sont les préoccupations d’un footballeur : s’entraîner, bouffer et baiser. Voilà à quoi ils passent leur temps.

A votre époque, ce n’était pas la même chose ?

Bien sûr, même s’il y avait moins d’argent en jeu, moins de médiatisation. Mais il existait de fameux personnages. Roger Claessen m’avait raconté que Roger Petit (l’ex-homme fort du Standard) voulait mettre la moitié de ses émoluments sur un compte épargne car il avait entendu qu’il gérait mal son argent. Il lui a répondu : -OK, mais vous demanderez à ma mère de jouer la deuxième mi-temps. Claessen était un type extraordinaire, je pourrais écrire un livre sur lui tant j’ai des anecdotes. Comme celle au bal du bourgmestre à Waremme. Edmond Leburton, (ex-Premier ministre de 1973 à 1974) avait fait venir Roger à sa table. L’ambiance était terrible, les gens dansaient, s’amusaient. La soirée se prolonge, et sans doute par politesse, Roger invite Madame Leburton à danser. Quelque temps après, ils disparaissent de la circulation. Avant de réapparaître chacun de leur côté… Et puis, au milieu d’un parterre totalement abasourdi, Roger sort de sa poche la petite culotte de Madame Leburton et l’a fait tourner. C’était incroyable ! Il a fait des coups, celui-là !

Au même titre que Claessen, vous étiez considéré comme un joueur cultivé. Quel jugement portez-vous sur l’actuelle génération ?

La plupart des joueurs ont une instruction minimum et un discours formaté. On sait déjà à l’avance les réponses. C’est d’un total désintérêt pour moi. Et s’il y a bien quelque chose de paradoxal avec l’âge, c’est qu’on a beau avoir moins de choses à faire, j’ai horreur de perdre mon temps. Et une interview d’un footballeur après un match est la pire des pertes de temps…

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Mons est une Rolls-Royce avec un moteur de 2CV. « 

 » Un truc comme La Tribune, c’est une réunion de pisseurs de comptoir. « 

 » Riga n’était pas un type pour le Standard, faut quand même pas rire ! Il peut être un bon contremaître, mais pas plus. « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire