Welsh Wizard

Le Gallois entame sa 21e saison à Manchester United, pour lequel il a déjà disputé 838 matches. Portrait du meilleur footballeur européen à n’avoir jamais participé à un Mondial ni à un EURO.

Le 5 septembre 2006, Dunga a sans doute adressé le plus beau des compliments à Ryan Giggs.  » Il ne déparerait pas dans l’équipe brésilienne « , commenta le sélectionneur du Brésil admiratif après un match contre le Pays de Galles.  » Giggs détient la classe mondiale absolue.  »

Giggs est professionnel depuis plus de vingt ans mais on dirait que le temps s’est arrêté, même s’il n’est plus ce dribbleur qui se joue de ses adversaires directs d’une feinte : une atteinte chronique aux ischio-jambiers gauches a ralenti son démarrage et son rôle a changé. Actuellement, c’est un joueur d’équipe, un fin tacticien qu’on peut également aligner au milieu droit ou central. Désormais, il passe moins souvent son homme à la Arjen Robben.

A la veille de sa 21e saison à Manchester United, Giggs n’a plus rien à prouver. Au printemps 2001, le magazine officiel des Red Devils a organisé l’élection du meilleur footballeur de l’histoire du club et les supporters l’ont élu troisième, derrière EricCantona et George Best. Giggs a disputé 838 matches officiels pour les Mancunians, un record de club. Il est suivi par SirBobby Charlton (759) et Bill Foulkes (688). Ses onze sacres nationaux constituent un autre record, loin devant Alan Hansen et Phil Neal, sacrés huit fois chacun. A 36 ans, le Gallois est le plus titré de tous les temps à United.

Père black, rugbyman et violent

Même si la nature a donné une peau blanche à Giggs, son père Danny Wilson est noir.  » Les parents de mon père ont émigré de la Sierra Leone à Cardiff en 1920. J’ai grandi dans un des quartiers les plus pauvres de la ville, au port. Mes parents n’avaient que 17 ans à ma naissance.  » Lynne Giggs a dû combiner deux boulots pendant que son compagnon se consacrait au rugby. Heureusement pour Giggs, ses quatre grands-parents s’occupaient de lui.

Violent, Wilson n’hésitait pas à battre Lynne sous les yeux de leur garçon.  » Je ne suis pas surpris qu’ils ne se soient jamais mariés. Ma mère en a vu de toutes les couleurs. J’admire la manière dont elle a élevé mon frère Rhodri, de trois ans et demi mon cadet, et moi. Mon père était quelqu’un d’agressif, qui ne s’occupait pas de moi. Je l’admirais car il était un héros local en rugby.  » Sa mère étant supporter de Cardiff City, Ryan a pratiqué les deux sports jusqu’à l’adolescence.

A 17 ans, Ryan Giggs déménage dans la banlieue de Manchester, son père ayant signé un contrat professionnel aux Swinton Lions. En 2004, il déclare :  » Je ne suis reconnaissant que d’une chose à mon père : il m’a communiqué son talent en sport. Je lui dois ma vitesse et mon équilibre. Jusqu’à 14 ans, j’étais meilleur en rugby mais ensuite, j’ai manqué de gabarit et j’ai abandonné le ballon ovale en 1988.  » Ses parents se sont séparés cette année-là, après une énième bagarre. Lynne a mis son ami à la porte.  » Il buvait trop, avait des liaisons et la battait. Son départ a été une bénédiction. J’ai réalisé ce que ma mère avait enduré et fait pour nous et j’ai décidé de porter son nom. « 

Quasi citizen

Grâce au rugby et à son équilibre naturel, Ryan devient un maître dans l’art d’éviter ses adversaires. Sa vitesse et son explosivité sont phénoménales, il y adjoint un sens inouï du ballon dans les années 80. A douze ans, il possède déjà les caractéristiques qui le propulseront en équipe fanion de Manchester United quelques années plus tard. Tout va vite, au point qu’il se demande ce qui lui arrive quand Alex Ferguson le découvre.

C’est un laitier de Salford, Dennis Schofield, manager de Dean’s, qui a convaincu Ryan de rejoindre l’équipe à dix ans. L’été 1986, il comprend que son jeune médian peut devenir une étoile sous le maillot de Manchester City, un club pour lequel il travaille comme scout. Giggs s’y entraîne.  » Dennis voulait me voir en bleu mais je détestais cette idée. Le club mettait tout en £uvre pour me séduire mais je préférais United. Tous s’attendaient à ce que je devienne schoolboy à City à 14 ans. C’était la dernière chose que je voulais.  »

Harold Woods, commissaire de match de Manchester United, suit avec plaisir les jeunes de Dean’s et il se fait lyrique à l’égard de Giggs, sans éveiller l’intérêt des scouts. Puis, en décembre 1986, Woods, à bout, s’adresse à Alex Ferguson.  » Un grand talent de Dean’s s’entraîne déjà à City et vous ne faites rien. Voulez-vous le voir éclore à Maine Road dans quelques années ? » Il n’en est pas question. Ferguson dépêche illico un scout et quelques jours plus tard, le joueur est invité à un stage. A 14 ans, Giggs reçoit la visite de Ferguson, qui lui offre son premier contrat.

Son talent s’exprime de mieux en mieux, sous la houlette du coach BrianKidd et du responsable du scouting, Joe Brown. Le médian provoque les défenseurs, comme George Best en son temps, et même ballon au pied, il est plus rapide que ses poursuivants. Racé, Giggs n’a qu’à grandir et à acquérir un bagage tactique. A 15 ans, il est déjà en réserves.  » Je jouais contre des gars de 30 ans. Je savais que j’étais bon, sans imaginer toutefois que tout aillait aller si vite.  »

Successeur de Best

Ryan Giggs effectue ses débuts en équipe fanion le 2 mars 1991 contre Everton (0-2). Il entre en deuxième mi-temps, en remplacement de Denis Irwin. Le Gallois ne se distingue pas mais toute l’Angleterre connaît son nom après son deuxième match, le 4 mai. Dans le derby contre City (0-1), Giggs inscrit l’unique but. Il prolonge une passe de Brian McClair, qui rebondit sur Colin Hendry (City).

A 17 ans, sa jeunesse s’est achevée mais Mark Hughes et Clayton Blackmore s’occupent bien de lui. Les internationaux gallois le dirigent dans ce dur monde, ils le protègent.  » Ils ont été fantastiques. Ils m’ont mis à l’aise, conseillé, ils se sont conduits en frères. La promotion de Brian Kidd comme adjoint de Ferguson, l’été 1991, m’a aussi aidé. Il avait été mon maître.  » Giggs prend part à 38 matches de championnat durant la saison 1991-1992. La presse le bombarde successeur de Best. De l’entrejeu, Giggs gicle, feinte et tourmente les défenseurs.

Le modeste footballeur est une star. Il commence à recevoir du courrier de jeunes filles, la presse ne cesse de demander des interviewes. Alex Ferguson et ses amis gallois veillent au grain. L’Ecossais sait que Giggs n’a pas de vrai père et le considère comme son fils. Il lui parle, il est en contact avec sa mère, il l’introduit auprès du manager Harry Swales et il interdit les interviewes.

 » Le 14 février 1993, j’ai reçu 3.000 cartes de filles « , reconnaît Giggs onze ans plus tard.  » Mes coéquipiers m’ont évidemment charrié. A Old Trafford, chaque joueur a une boîte aux lettres mais il y avait de grands sacs pour moi à la réception. Je crois que le courrier est toujours dans le garage de ma mère. Au début, j’essayais de lire un maximum de lettes mais c’était impossible. Heureusement, en 1994, cet intérêt s’est calmé. J’ai accordé ma première interview au Sunday Times en décembre 1993.  »

Cantona le spécial

Giggs a un rôle important dans les premiers succès de Ferguson à Old Trafford, les titres 1993 et 1994. L’équipe est articulée autour de Cantona, qui forme l’attaque avec Mark Hughes et est servi des flancs par Giggs et le Russe Andrei Kanchelskis. Giggs s’entend à merveille avec les deux attaquants. Il sent quand leur passer le ballon, quand le récupérer, quand jouer en profondeur.  » Cantona était fantastique « , insiste Giggs en 2004.  » Je m’entendais bien avec lui sans être son ami. Il était spécial. Aux journalistes, il répondait avec son lourd accent français parce qu’il ne leur parlait pas anglais alors qu’il le maniait parfaitement avec nous. Il était magistral à la finition et son aura rejaillissait sur nous. Son coup de karaté à un supporter de Crystal Palace le 25 janvier 1995 et sa suspension de neuf mois nous ont coûté le titre.  »

Heureusement, Giggs ne considère pas le Français comme un modèle. Ferguson a déjà trop de footballeurs enclins à commettre de graves fautes et à se laisser submerger par leurs émotions. En 1995, Giggs est témoin de la fameuse scène du sèche-cheveux, que Ferguson inflige à Roy Keane, Paul Ince, Mark Hughes et à Peter Schmeichel. En rage, l’Ecossais les tance, planté à quelques centimètres de leur visage : ils doivent se tenir. Ince ne supporte pas ces leçons et il part à l’Inter.  » Quand Ferguson se fâche, mieux vaut ne pas broncher. Le lendemain, il a généralement tout oublié. Je l’avoue, j’ai subi ses foudres aussi. C’est dans le vestiaire qu’elles sont les plus redoutables.  »

1995 est maudite. Giggs se blesse aux ischio-jambiers dans la finale de Cup perdue contre Everton le 20 mai (0-1). Il achève le match vaille que vaille, ce qui, combiné à des années de surcharge, va affaiblir sa jambe gauche de manière chronique. Il perd une partie de son explosivité.  » J’étais en larmes au terme du match, parce que nous avions perdu mais aussi parce que j’avais très mal à la jambe. J’ignorais encore les conséquences de cette blessure, pourtant.  »

But culte

Alan Hansen, le commentateur de la BBC, n’a pas vu Giggs le 19 août suivant et il affirme que Ferguson  » ne gagnera rien avec des gosses « . United, très jeune, a perdu contre Aston Villa (1-3), sans son médian de 21 ans. Le manager lance Phil et GaryNeville, Nicky Butt, Paul Scholes et David Beckham. Cette nouvelle génération va donner tort à Hansen.

Ryan s’entend aussi bien avec Scholes qu’avec Cantona. Ils ont vista et positionnement, ils se trouvent sans peine. Sans créer un schéma prévisible, United se forge une foule d’occasions à chaque match, rien qu’avec ce duo. En 1997, il a la meilleure attaque d’Angleterre avec Andy Cole, le froid finisseur, son lieutenant TeddySheringham et le Norvégien Ole Gunnar Solskjær, mais le titre lui échappe, partiellement à cause de la blessure aux ligaments croisés de Roy Keane, le capitaine. Arsenal en profite.

Giggs vit sa plus belle saison en 1998-1999, au retour de Keane. Ses ischio-jambiers ne lui permettent pas de disputer plus de 24 matches de championnat mais ses assists et ses buts cruciaux sont décisifs dans le triplé titre- Cup-Ligue des Champions de United. Par exemple, le 7 avril 1999, Giggs égalise in extremis contre la Juventus en demi-finales de la Ligue des Champions et une semaine plus tard, il marque le plus beau but de sa carrière. Le 14 avril, Arsenal et United disputent un replay en demi-finales de la Cup, après un nul blanc. Giggs raconte les prolongations de ce replay :  » A 1-1, j’avais gaspillé quatre ou cinq occasions puis j’ai intercepté une passe de Patrick Vieira dans mon camp. J’ai suivi mon instinct, franchi la ligne médiane, évité le Français d’un mouvement d’épaule avant de dépasser à toute allure Lee Dixon et Tony Adams pour me retrouver devant le gardien, David Seaman. Ayant perdu toute vision du terrain, j’ai tiré en force. Mon but nous a propulsés en finale.  »

Joueur de la décennie

Le but de Giggs est entré dans l’histoire comme un des plus beaux de la Cup. Pourtant, le médian osait à peine sprinter à fond, par crainte de s’occasionner une déchirure des ischio-jambiers.  » On me demande fréquemment pourquoi je n’use pas davantage de ma vitesse. C’est plus facile à dire qu’à faire ! Les gens ignorent que mes ischio-jambiers sont raides comme un morceau de bois pendant les 24 heures qui suivent un match. Je peux à peine m’entraîner. Le deuxième jour, je peux courir et après, je suis rétabli mais le match suivant se profile déjà à l’horizon. Dès 1999, j’ai commencé à beaucoup soigner mon corps.  » Depuis quelques années, Giggs joue avec plus de retenue, il a l’air moins dynamique, même s’il ne perd jamais ses véritables qualités. Il a réédité ses dribbles en 2001 et en 2003 tout en multipliant les assists de la jambe gauche.

Le renouveau d’Arsenal en 2002 et en 2004 ainsi que la manne de Roman Abramovitch, le propriétaire de Chelsea, ont mis à mal la suprématie d’United jusqu’en 2007. Le premier club de Manchester remporte trois titres d’affilée. En été 2008, le club y ajoute une seconde victoire en Ligue des Champions, aux tirs au but contre Chelsea, dans la finale de Moscou. Sir Ferguson considère Giggs comme le garant de la culture du club, il le juge même plus précieux encore dans le vestiaire que sur le terrain. L’Ecossais place le Gallois au repos pour les petits matches mais il l’aligne dans les joutes à enjeu, où son intelligence de jeu est décisive. Le dribleur d’antan est devenu le cerveau des Mancunians. La saison écoulée, le médian a encore disputé 32 matches officiels. Avec un total de 548 joutes, il est le joueur de champ le plus actif de la Premier League. Le 31 décembre 2009, Ryan Giggs a été élu Joueur de la Décennie de Manchester United. Deux semaines plus tôt, il avait remporté la prestigieuse élection de BBC Sports, devenant Personality of the Year en récompense de sa longue carrière, dénuée de scandales.

Le Gallois semble bien parti pour améliorer ses records. Le 18 décembre 2009, il a reconduit prématurément son contrat à Manchester United, auquel il est désormais lié jusqu’en juin 2011. Ceux qui l’ont vu en action ces derniers mois sont certains qu’il va continuer à évoluer à un très haut niveau par la suite. Il entretient la souplesse de ses muscles par des exercices de yoga et Alex Ferguson le ménage. Dans ces conditions, les adieux du Welsh Wizard (magicien gallois) ne sont pas pour tout de suite.

par martijn horn

« Mieux vaut laisser Ferguson se calmer. Le lendemain, tout est oublié. « 

« Mon père était quelqu’un d’agressif. Mais je l’admirais car il était un héros local en rugby. « 

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