WELCOME TO VANCHESTER

La semaine dernière, pour la première fois depuis la nuit des temps, c’est sans Manchester United qu’a été donné le coup d’envoi de la saison européenne. King Louis van Gaal s’apprête à relever le plus gros challenge de sa carrière.

D’habitude, il est le premier à se manifester lorsqu’il estime que son travail n’est pas reconnu à sa juste valeur. Mais à Manchester, ce ne fut pas nécessaire. Avant même d’être présenté aux fans, il était déjà certain d’être chaleureusement accueilli. Welcome to VANCHESTER, pouvait-on lire en plein centre-ville. Accrochée au mur d’une usine désaffectée, la banderole rouge faisait plusieurs dizaines de mètres de long et ne peut échapper à personne.

Manchester, c’est l’épicentre du football anglais, la ville qui a trusté les trois derniers titres (deux pour City, un pour United). Cette rivalité fait les affaires de l’agence de paris Betfair, qui a imaginé la banderole. L’arrivée de Van Gaal confère encore une dimension supplémentaire à cette dynamique. All hail King Louis (Tout le monde vénère le Roi Louis) titrait le Daily Telegraph au lendemain de ses débuts à domicile face à Valence.

Jamais encore il n’avait été mis autant en valeur qu’à Manchester. En tout cas pas aussi tôt dans la saison. Sur cette banderole rouge qui faisait de lui le symbole de Vanchester, on le voyait les bras tendus, formant le V de la victoire, hurlant sa joie tout en puissance. Une situation surréaliste, quand on y pense bien : la saison dernière, City a été champion et United a terminé septième. Et pourtant, c’est lui qui criait victoire !

L’oeuvre d’un génie

La couverture de l’édition du mois d’août du magazine anglais FourFourTwo représentait sept hommes en noir et blanc : les managers des plus grands clubs anglais. Parmi eux, un seul citoyen de Sa Majesté. Les six autres étaient dans l’ombre de Louis van Gaal. Sur pratiquement toutes les photos des sept premiers mois de 2014, Van Gaal semblait plus jeune qu’il ne l’est en réalité. Son visage respirait l’insouciance. Comme si la réalisation de ses deux rêves faisait de lui un coach accompli. Il avait conduit les Pays-Bas en demi-finale du Mondial au pays du football et était devenu manager du plus grand club du monde. Cela lui donnait confiance et Van Gaal ne ressentait plus le besoin de se vendre.

On était bien loin de 1997, lorsqu’il effectuait ses débuts au FC Barcelone et qu’il lançait, en pleine séance de présentation : La star, désormais, c’est Louis van Gaal. Ici, à Manchester, ce sont les médias qui en avaient fait une vedette, avant même qu’il ait pu inculquer sa vision ou son savoir-faire au club. Ce qu’il avait réussi au Brésil avec l’équipe des Pays-Bas était considéré comme l’oeuvre d’un génie. Un coach capable d’opérer autant de bons changements tactiques devait avoir quelque chose de surhumain. Personne ne disait que ces idées avaient souvent été dictées par la nécessité, parce que le premier système qu’il avait imaginé n’avait pas fonctionné.

En proie à des problèmes d’identité, l’Angleterre ne comprend pas pourquoi sa culture footballistique ne suffit plus à gagner et elle se réjouissait, dès lors, d’accueillir un manager réputé sur le plan international. Beaucoup de supporters se demandaient comment Van Gaal allait s’y prendre pour mener au titre cette équipe moyenne et à peine renforcée. Le club avait basé toute sa communication médiatique sur son arrivée. En période de préparation, toutes les activités avaient pour thème la réunification (Reunited). La première année de l’ère post-Ferguson avait laissé des traces. Van Gaal ne devait pas seulement reconstruire une équipe, il devait rendre une légitimité à toute la partie rouge de la ville. C’était même peut-être plus important encore que la conquête d’un trophée.

Au feu pour lui

En Angleterre, on a coutume de dire que nul n’est plus important que le club mais on peut se demander si Van Gaal est en accord avec cette maxime. Il aimerait tant laisser un héritage au sein d’un club ou d’une fédération… Il n’y est cependant pas encore arrivé, même s’il est indéniable qu’il a marqué le Bayern de son empreinte. Cela aurait pu faire de lui un héros en Bavière mais comme les gens en place n’aimaient pas sa façon de faire, ils l’ont limogé. A Barcelone aussi, son attitude a énervé et on n’y était pas disposé à changer d’identité pour suivre les idées d’un Hollandais sévère et inflexible. Van Gaal manque tellement de modestie qu’il considère Pep Guardiola, José Mourinho et Frank de Boer comme ses élèves. Et il est possible qu’il ait en partie raison.

Mais, même à 63 ans, lorsqu’il s’agit de reconnaissance et d’appréciation de son travail, il éprouve toujours des difficultés à se contrôler. A Manchester aussi, il a déjà crié haut et fort que  » Louis van Gaal devrait sans doute un peu s’adapter au club mais que le club devrait également s’adapter à Louis van Gaal.  » Il est toujours capable de creuser sa propre tombe. A Manchester, il a cependant la chance que le club est tombé bien bas, au point de ne pas pouvoir participer à une compétition européenne cette saison. Il apparaît donc que, même pour Van Gaal, chaque inconvénient présente aussi des avantages.

Avec Van Gaal, on se demande toujours quel est l’argument qui le pousse à avoir besoin de tout chambouler. Est-il convaincu que c’est absolument nécessaire ou veut-il à tout prix laisser son empreinte ? Jamais encore il n’a poursuivi le travail entamé par son prédécesseur. Contrairement à ce qu’il prétend, pour changer, il a bien besoin du soutien des médias. Il méprise la presse mais l’utilise pour contribuer à former une bonne image de ce qu’il veut. Après deux semaines de stage aux Etats-Unis, il déclarait déjà que  » les joueurs étaient prêts à aller au feu pour lui « . Un constat qui implique davantage de questions que de clarté mais qui, surtout, interpelle.

Car il y a tout juste 20 ans, alors que l’Ajax était dans une situation difficile, il avait dit exactement la même chose des jeunes joueurs de ce noyau. En déclarant cela, il définit lui-même le rapport de forces entre lui et ses hommes : ne s’entendront bien avec lui que ceux qui sont prêts à aller au feu pour lui et rien que pour lui. Son approche psychologique impressionne souvent les jeunes. Il respire le professionnalisme par tous les pores de la peau et prépare chaque entraînement ou chaque match de façon minutieuse. En matière de connaissances et de pratique, il a une longueur d’avance sur ses joueurs et cela les fascine.  » Tout ce que l’entraîneur avait prédit s’est produit « , les entend-on souvent dire. Ce fut même le cas l’été dernier au sein de l’équipe nationale.

Une défaite pour débuter

Van Gaal est passé maître dans l’art de mettre les jeunes dans sa poche et de les emmener sur le chemin du rêve. Cela lui a valu pas mal de succès mais il sait aussi que, ces derniers temps, pas mal de ses rêves ont échoué. A Barcelone, les mouchoirs blancs lui ont montré à deux reprises la voie de la sortie. Il a loupé la Coupe du monde 2002 avec les Pays-Bas, a failli se faire virer à l’AZ, l’a été au Bayern parce que la direction ne voulait plus continuer avec lui. Et il y a trois ans, à l’Ajax, ce fut la révolution lorsqu’on apprit qu’il allait devenir directeur général. Les bons résultats obtenus lors de la dernière Coupe du monde l’ont réhabilité mais cela ne constitue pas du tout la garantie qu’il puisse diriger un club du calibre de Manchester United.

Lors du point presse précédant le premier match de championnat face à Swansea City, quelque chose de remarquable s’est produit : pour la première fois en trente ans, aucun journaliste n’a demandé au manager de Manchester United à combien il évaluait ses chances d’être champion. Van Gaal s’est montré honnête et a calmé les ardeurs.  » Il est logique qu’on veuille gagner, nous devons nous y faire car nous sommes Manchester United. Mais j’ai également dit que nous ne pourrions pas tout changer d’un seul coup. Nous sommes au début d’un nouveau processus.  »

Sur papier, le début de calendrier de Manchester United pouvait sembler facile mais, pour la première fois depuis 1972 (2-3 contre Ipswich Town), il perdait à domicile son premier match de championnat. C’était aussi la première fois que Van Gaal commençait dans un nouveau club par une défaite. L’équipe, avec les jeunes Tyler Blackett et Jesse Lingard faisait preuve de beaucoup de naïveté. La défense à trois ressemblait à un trio d’éclusiers insuffisamment préparés à affronter la crue. Un fameux coup de semonce pour l’héritier de Sir Alex Ferguson, sous les yeux de celui-ci. L’équipe de Van Gaal semblait complètement désorganisée alors que c’est justement la marque de fabrique aux Pays-Bas. Vouloir changer, c’était bien mais en Premier League, les règles sont différentes : chaque équipe, sans exception, dispose de joueurs expérimentés qui ne laissent pas un mètre, pas une seconde à l’adversaire.

Changements en douceur

A 0-1 au repos, Van Gaal repassait au 4-4-2 mais rien ne changeait. En Premier League, il ne suffit pas d’un claquement de doigts pour que les choses rentrent dans l’ordre. Van Gaal a souvent répété au cours des dernières semaines qu’il voulait entraîner  » la tête de ses joueurs et pas les jambes « . Il avait rapidement constaté que plusieurs joueurs jouaient « à l’instinct » au lieu de réfléchir. Il voudrait que tous les joueurs pensent comme lui mais en Angleterre, la norme est différente. L’intelligence de jeu – aussi limitée soit-elle aux yeux de Van Gaal – y va toujours de pair avec une puissance physique énorme. Cela fait 150 ans qu’on y joue au football de la même façon. Bien entendu, cela a un peu évolué au cours des dix dernières années, avec l’arrivée de grandes stars étrangères. Mais fondamentalement, rien n’a changé et rien ne changera. C’est indéracinable.

Au cours des derniers jours du mercato, King Louis a vu arriver des joueurs de talent. Lorsque Radamel Falcao monta sur le terrain pour la première fois, la semaine dernière contre Queens Park Rangers, ce fut la fête dans les tribunes. Et celle-ci se poursuivit lorsqu’Angel Di Maria démontra que lui aussi valait bien la somme dépensée pour acquérir ses services. Ce fut également la toute première victoire de Manchester United en championnat cette saison (4-0) et Van Gaal conclut :  » Nous sommes en plein apprentissage et le plus important, c’est la trajectoire. J’espère qu’au bout, il y aura le titre. Si ce n’est pas pour cette saison, ce sera pour la prochaine ou celle d’après.  » On penche plus pour celle d’après suite ou nouveau revers concédé samedi dernier à Leicester (5-3) avec une défense-passoire encore et toujours.

Van Gaal sait qu’il va devoir changer les choses en douceur. Il peut, lui aussi, apporter quelque chose à la culture du jeu anglais mais ce groupe de joueurs n’est pas encore suffisamment mûr pour se soumettre à des choix radicaux. Il est clair que l’entraîneur a attendu la fin de sa carrière pour relever son plus grand défi.

PAR FRANS VAN DEN NIEUWENHOF

Avec Van Gaal, on se demande toujours quel est l’argument qui le pousse à avoir besoin de tout chambouler.

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