WASEIGE La star, c’est maman

Le sélectionneur national au travers du regard de ses trois fils.

Trois fils, trois rencontres, trois hommes fascinants. Thierry Waseige est l’aîné: « C’est moi qui ressemble le plus à mon père ». A 16 ans, il rejoint Bruxelles pour suivre des cours de théâtre. Il a déjà été 1.200 fois sur les planches, généralement seul. « Autant de matches, en duel direct avec le spectateur. Chaque fois, je dois me remettre en question ».

Frédéric est le second. Ex-footballeur professionnel, il joue encore en Provinciale, à Beringen. Il cherche toujours la voie de sa reconversion. William est le cadet, le plus flamboyant. Footballeur puis antiquaire, il entame maintenant une carrière de manager. Trois témoignages sur un homme, le sélectionneur.

La poignée de main à De Wilde

Frédéric: « Pour le typer, j’aime prendre l’exemple de l’EURO, que les Belges ont raté, de l’avis de beaucoup. Après le match contre la Turquie, mon père aurait pu dire: -Qu’y puis-je? Mon gardien a fait la gaffe de sa vie. Après l’exclusion de De Wilde, mon père lui a serré la main. Il savait très bien ce qu’une élimination lui vaudrait comme critiques mais il a eu ce geste envers un homme terrassé. Mon père est un homme fidèle, en amitié, à ses principes. La mode, c’est de changer d’avis, de s’adapter. S’il fallait écarter un joueur après chaque mauvais match… Tout le monde a droit à l’erreur. A terme, les joueurs sont reconnaissants et en font plus pour un entraîneur qui ne les laisse pas tomber. Mon père récolte ce qu’il a semé ».

William: « Après l’EURO, j’ai lu dans le courrier des lecteurs de journaux et de magazines que Waseige était un hypocrite. Non. Cette poignée de mains, ce n’était pas du cinéma, ça venait du coeur. Mon père est calme, raisonnable, simple. Il pourrait s’acheter une grosse voiture mais il utilise celle de la fédération. Mes parents habitent une maison simple, dans une rue banale mais calme ».

Thierry: « Il prend rarement un PV. Une fois, j’ai dû faire appel à un avocat en son nom. C’était le jour du match d’ouverture de l’EURO. Une marque de whisky avait fait une publicité avec sa photo sans son autorisation. Il ne voulait pas être utilisé par une marque d’alcool. Lorsqu’il est devenu sélectionneur, il a cessé de fumer sur le banc. Il ne s’énerve que quand il est confronté à l’incompétence. Plus on est ambitieux, plus les détails comptent. Il ne supporte pas les maillons faibles. Il est perfectionniste. Sa voiture n’est jamais sale, la maison n’est jamais en désordre. Il a tout au plus une dizaine de cassettes. Il ne conserve pas d’archives. Le football n’est présent, symboliquement, que dans son bureau ».

Esprit club

William: « La publicité à laquelle il participe, en kimono, donne une autre image de lui. Ça sape son image de grand-père sérieux. Un grand’père capable d’être dur. Il ne mâche pas ses mots. Ce n’est pas négatif, à condition que ça ne sorte pas du groupe. Ces derniers mois, il a eu des frictions avec la presse mais il ne veut pas enfreindre ses principes: il dit ce qu’il estime devoir être dit. La qualification pour le Japon a fait taire les critiques mais elles reviendront ».

Frédéric: « C’est une belle revanche pour lui. Certains jeunes entraîneurs trouvaient qu’il fallait attaquer davantage contre la Tchéquie en seconde période, mais il a sûrement dit: -Vamos, mais conservez le contrôle du match. Mon père n’est pas un aventurier. C’est un professionnel qui tient compte de tous les détails, qui s’appuie sur son expérience. Il a évolué techniquement et tactiquement mais sa philosophie reste identique, dans la vie comme au travail. C’est quoi, la nouvelle génération? Le moi d’abord? Mon père a conservé l’esprit de club. Au détriment d’un palmarès plus riche ».

Thierry: « Sa gloire personnelle passe après le succès de l’équipe. Il ne se prend pas au sérieux ».

Frédéric: « Mon père a reçu des offres de grands clubs au mauvais moment. Je trouve ça génial, maintenant. Les gens disent qu’ils n’a pas de palmarès. Il en aurait eu un s’il avait accepté de rejoindre Bruges ou Anderlecht mais non, il était à Winterslag. Il y a 20 ans, il a rencontré le président du club dans un café et il lui a donné sa parole. Quand il est rentré, ma mère lui a annoncé que quelqu’un d’Anderlecht avait téléphoné et voulait discuter. Mon père a rappelé: -Excusez-moi, Monsieur Vanden Stock. Je viens de donner ma parole à Winterslag. A l’époque, nous lui avons dit qu’il était fou. Beaucoup d’entraîneurs sont des nomades. Ils ont raison, quelque part. J’ai joué en Allemagne et en Suisse. C’était génial. Mon père est différent. Il aime aussi s’entourer de personnes qu’il connaît, qui ont sa confiance, comme Vince Briganti. Il ne place pas ses amis mais veut être entouré par des gens compétents. Il me paraît évident qu’il ait eu des problèmes avec des dirigeants. A chacun son boulot. Il est le responsable sportif. S’il se laisse marcher sur les pieds, il perd sa crédibilité. Parfois, ce sont les présidents qui composent une équipe. C’est dommage pour le club et l’entraîneur. Mon père ne se contente pas de penser à son salaire. Un jour, après une défaite, Roger Petit a surgi dans le vestiaire: -Entraînement demain, ça suffit. Mon père était jeune mais il a répondu: -Non, demain, c’est congé. Dix ans plus tard, Roger Petit lui a donné raison. Il peut être très dur. Je l’ai eu comme entraîneur… Mieux valait donner le meilleur de soi. Gare à ceux qui prenaient des allures de vedettes ».

Thierry: « Je suis pareil, je dis ce que je pense, sans me dissimuler derrière les autres. Mon père n’a jamais voulu non plus être intéressé dans un transfert. Il a eu des problèmes avec les dirigeants de Liège mais n’est-ce pas normal quand vous dites le fond de votre pensée pendant neuf ans? Ce fut pareil à Charleroi mais n’avait-il pas raison, quand on voit ce que ce club est devenu? Mon père n’aime pas que l’aspect extrasportif prime. Et au Standard! C’est lui qui fait l’équipe, personne d’autre. Jadis, il a repris le brassard de Gerets. S’il avait appris que son club avait acheté ou vendu un match, il aurait démissionné ».

Et le père, dans tout ça?

William: « Il n’était pas un tyran. Il n’était pas colérique comme il pouvait l’être dans un vestiaire. Nous avons été assez libres mais nous devions être corrects et respecter les autres. Nous ne sommes pas devenus des voyous. Je suis le cadet et je reste à la traîne car je n’ai pas encore vraiment réussi dans la vie. J’ai touché à tout. Je m’intéresse aux antiquités et à la brocante, j’ai couru les foires, voyagé à New-York pour y acquérir des objets que j’ai revendus ici. J’ai été fonctionnaire. Au bout d’un an, j’ai démissionné car je m’ennuyais ».

Thierry: « Maman était la figure centrale de notre vie, car le football absorbait notre père. Il nous suivait mais nous faisions ce que nous voulions. Il ne nous a imposé aucune étude. En football, je n’étais pas assez bon, il me l’a signifié. Ma passion pour le théâtre est née spontanément et j’ai tout planté là ».

Fréderic: « Mon père a dormi une nuit dessus et lui a dit de foncer. Ce n’est pas formidable, cette confiance? Il n’y a rien de plus beau pour un enfant que de savoir qu’il est libre d’agir à sa guise mais qu’en cas de pépin, il ne sera pas seul. C’est une éducation de rêve ».

Thierry: « J’espère être comme lui ».

Frédéric: « Nous le voyions peu: il jouait à Bruxelles et travaillait pour une compagnie d’assurances. Ensuite, il a été représentant d’une marque d’articles de sport. Il sait ce que travailler veut dire. Son univers ne se limite pas au football. Son père a travaillé dans la mine avant de devenir militaire. Il a amélioré son statut mais il est resté lui-même, il a conservé ses amis. A Winterslag, les entraînements avaient lieu le soir. Nous étions au lit quand il rentrait. En fait, ma mère est la star de la famille. Elle assume beaucoup de choses. Ce n’est peut-être pas bon à écrire mais papa n’est pas très adroit avec la vidéo et la commande à distance. Nous avons deux abonnements à Canal+, national et international. Avec la TV et la vidéo, ça fait quatre télécommandes. Ma mère est donc directeur technique de l’audiovisuel ».

Un humour assez spécial

Thierry: « Il est un peu cynique, c’est héréditaire. Attention ce n’est pas négatif : mon père est positif ».

William: « Son humour me laisse des sentiments mitigés. Je n’aime pas ça au restaurant ou pendant un match, mais j’adore certaines phrases dans les journaux. A cause de la distance? Peut-être. C’est bien trouvé. Quand nous sommes ensemble, ça m’énerve, ça ne me fait pas rire. Il ne joue pas avec les pieds des gens mais je peux comprendre que certains, les intelligents, se le demandent parfois ».

Frédéric: « Il est peut-être cynique mais il a de l’humour. Peut-être évite-il ainsi de dire des choses qui feraient de la peine ».

Méfiant, il supporte mal la critique

William: « Sans sombrer dans la paranoïa, mieux vaut être prudent. On le dit susceptible mais je pense qu’il a raison. On essaie souvent de lui faire dire ce qu’il ne veut pas ».

Thierry: « C’est quoi, bien supporter la critique? Il attache de l’importance à ce qu’écrivent les journaux car l’homme de la rue s’en inspire pour se faire une idée. Toutefois, si vous avez remis mon père en question après Zagreb, Monsieur tout le monde n’a pas changé d’avis. Son capital-sympathie n’a pas été atteint. Ce qui énerve mon père, c’est la légèreté avec laquelle un article peut être écrit. Blanc ou noir, une photo. Ça, ça le touche. Les caricatures ne le dérangent pas, à condition qu’elles figurent dans les pages réservées à l’humour, pas dans les pages sportives. A petit pays, petit esprit. Je le vis en théâtre. S’il y a cinq bonnes critiques et une mauvaise, c’est celle-là qu’on retient ».

William: « Je n’ai pas le même vécu du football que mon père mais je trouve ce manque de respect typique du milieu. Il est fataliste, de ce point de vue ».

Thierry: « Nous avons été surpris qu’il démissionne de Lisbonne. Il ne pouvait y travailler et il a préféré arrêter. Il aurait pu attendre son renvoi ».

William: « Le Sporting Lisbonne a été un échec… Son point fort, c’est la motivation. Il discute avec les gens, il les encourage, les console. Avec un interprète, on ne sait jamais si chaque mot, chaque intonation sont bien retransmis. Le Sporting était troisième à cinq points du premier, il venait de gagner le derby contre Benfica (1-0) mais il a jeté l’éponge. La vie était impossible, avec ces fous. Même la nuit, on lui téléphonait. Ces gens ne respectent rien. Pour bâtir une carrière de 40 ans sans interruption, vous devez avoir certaines dispositions. Il est positif, il respecte sa parole et les gens, il est professionnel. Il n’a été limogé qu’une fois, par Liège. Ce club a vécu tant de bons moments grâce à lui et il a profité d’un petit passage à vide pour le jeter dehors. On le dit rancunier? Il l’est sans doute à l’égard de certaines personnes, à juste titre. Il ne s’agit pas de haine mais d’une certaine rancune. Pourquoi rendre service à des gens qui vous ont fait du mal? On peut pardonner mais il faut parfois du temps ».

Thierry: « Il a une bonne mémoire mais il n’est pas du tout rancunier ».

Sélectionneur à 60 ans

William: « On racontait que Michel D’Hooghe ne voulait pas de lui mais c’est lui qui l’a engagé. Lui donner sa chance était normal, vu son âge, son expérience et son succès. Jusqu’à présent, à part l’EURO, tout s’est bien passé. Il obtient des résultats et il entretient un certain esprit, de la cohérence et de la discipline. Les Belges ont éliminé la Tchéquie, qui est plus forte que la Croatie, en principe. Les résultats sont réguliers, à l’image de l’entraîneur. Il n’y aura pas de problème à la Léonard dans ce groupe. Là, mon père a commis une erreur. Il a cru pouvoir le contrôler ».

Frédéric: « Il était libre quand la fédération a engagé Leekens. Nous pensions que c’était le moment ou jamais. Non qu’il en ait parlé. Enfin, c’est arrivé juste avant ses 60 ans et nous avons fêté le double événement ».

William: « Je suis étonné que son contrat ne soit pas encore prolongé. Ce sera pour l’été mais Jan Peeters affirme qu’il continuera avec lui. Si ça le gêne? Je ne sais pas ».

Thierry: « On verra. Mon père n’est pas de ceux qui se ruent dans le bureau de la direction en cas de succès. Un contrat n’est pas un objectif en soi, la parole de Jan Peeters suffit ».

Thierry: « Nous ne craignons pas du tout ce long déplacement au Japon après une opération au coeur. Il effectue une marche quotidienne de six à dix kilomètres, suit méthodiquement son programme ».

Frédéric: « Cette opération nous a causé un choc. Nous ignorions qu’il passait régulièrement des examens. C’est la première fois que j’ai été confronté à la maladie d’un de mes proches. J’ai vu mon père allongé, inconscient, avec des tubes partout. On nous a dit qu’il s’agissait d’un entretien mais le coeur, quand même… Il a été un précurseur, au vu de tous ceux qui ont été victimes d’un problème cardiaque ».

Thierry: « Il ne faut pas lui dresser de statue, je ne veux pas le glorifier non plus mais qui peut reprocher quelque chose à mon père? Pas tellement de gens, non? »

Peter T’Kint

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