WANTED dès ses 10 ans

Pierre Bilic

Un artiste s’est arrêté à Sclessin : le rouge sera-t-il une des couleurs marquantes de sa galerie d’exploits ?

Avec sa palette de talents, Milan Rapaic aurait pu devenir le Paul Gauguin du football international. Sa carrière est intéressante et il a inventé un style bien à lui, mélange d’influences différentes, ailier gauche, penseur, passeur ou buteur. Son calme tranche par rapport à la grinta de Sergio Conceiçao.

Mais si le peintre français est devenu un des génies les plus marquants de son art, c’est aussi parce qu’il est passé entre autres par Pont-Aven, en Bretagne, où il fit des rencontres importantes pour la définition de son talent. A un moment, Milan Rapaic (31 ans) fut approché par la Juventus, qui aurait pu être son Pont-Aven à lui. Le président de son club de l’époque, Pérouse, préféra l’aiguiller vers Fenerbahçe. L’institution d’Istanbul représenta une étape importante dans son évolution mais on imagine parfaitement le niveau que ce magnifique technicien aurait atteint s’il avait pu porter le maillot de la Vieille Dame.

Il avait 15 ans au moment de prendre ses habitudes à Hajduk Split.  » Milan Rapaic arrivait d’un petit club de Nova Gradiska, près d’Osijek « , se souvient Zdrvako Raic, journaliste de Sportski Novosti qui suit à la trace le grand club dalmate.  » Dès le premier coup d’£il, il fut évident que cet adolescent irait loin. C’était la classe avec un grand C. Avec Ivica Mornar et Tonci Martic, Rapaic dominait sa génération. A mon avis, d’ailleurs, si on retient le critère technique, Milan est ce qu’on a fait de mieux à Split. Or, Hajduk en a vu passer des grands joueurs. Rapaic est un technicien à part avec sa lecture du jeu, ses passes décisives et ses frappes, notamment sur balles arrêtées. Il a été à la base, entre autres, d’un titre et d’une très belle campagne en Ligue des Champions. Milan Rapaic est doué mais il a surtout l’art d’améliorer la production de ses équipiers. Si Dado Prso s’est imposé en équipe nationale croate, c’est grâce à Milan qui s’amusa à le fournir en bons centres. C’est simple : Milan a fait Prso. Rapaic n’est actuellement pas repris par le coach national et Prso a perdu le fil de ses idées. Pour un pivot, c’est un bonheur de jouer avec Milan. Si Cédric Roussel lie son sort à celui du Standard, il verra ce que cela signifie. Même si les techniciens ont la réputation d’être fragile, Milan, lui, est rarement blessé. C’est un garçon réservé qui n’a pas besoin de se faire mousser pour être heureux. Le football est son théâtre d’expression. En dehors de cela, il passe son temps avec son fils, Boris, et sa femme, Zana, qui, par ailleurs, possède un institut de beauté à Split « .

Milan se souvient très bien des belles années passées sur les rives de l’Adriatique. Split sera à jamais son port d’attache.  » A dix ans, mes parents avaient repoussé les offres de tous les grands clubs de l’ex-Yougoslavie « , se souvient-il.  » J’étais trop jeune pour me débrouiller au Dynamo Zagreb, à l’Etoile Rouge ou au Partizan Belgrade, à Hajduk Split, etc. Mon père est ingénieur et ma mère comptable. J’ai un frère qui ne joue pas au football. A force d’être retenu dans toutes les sélections nationales de jeunes, j’ai entretenu l’intérêt des clubs en vue. A 15 ans, en 1988, j’ai répondu positivement à l’offre de Split. C’était, pour moi, le meilleur choix. Hajduk Split était évidemment réputé pour son école de jeunes. J’avais l’impression que la technique y était un facteur plus important que partout ailleurs en Croatie. Je ne me suis pas trompé : c’était le club idéal pour moi. Là, une trouvaille technique fait rêver le public mais cela n’empêche pas aussi de bien travailler le volume physique. L’un ne va d’ailleurs pas sans l’autre. Il faut avoir les jambes afin de réaliser ce qu’on a dans la tête. Avec Ivica Mornar, Tonci Martic et Hari Vukas (j’ignorais qu’il avait joué à Charleroi), entre autres, j’ai eu la chance de travailler avec de bons entraîneurs de jeunes. C’est primordial. Une carrière dépend de la qualité de la formation. A Split, c’est le top et ce club ne cesse de lancer des jeunes de son cru. J’ai bénéficié des conseils de coaches comme Stanko Poklepovic, Ivan Katalinic ou Mirko Jozic. J’ai finalement passé cinq ans en équipe Première à Split de 1991 à 1996. A 23 ans, j’avais fait le tour du problème (trois titres de champion, deux Coupes de Croatie) et il était temps, pour continuer à progresser, de découvrir un autre championnat. Je voulais progresser dans ma lecture du jeu, physiquement aussi, tout en ayant la chance d’évoluer dans un grand championnat. Le choix de l’Italie était assez évident « .

Equipier de Marc Emmers à Pérouse

Là, il se retrouva notamment avec deux joueurs belges : Marc Emmers et Bruno Versavel. Les Belges et le Croate étaient animés par une culture footballistique très différente. Emmers avait gagné la Coupe des Coupes en 1988, à Strasbourg, face à l’Ajax Amsterdam : 1-0, but de PietDen Boer à la 52e minute de jeu. Les secrets d’Emmers, qui gère aujourd’hui une librairie à Hamel-Achel dans le Limbourg, étaient le travail, l’engagement et le collectif. Emmers (38 ans, 37 fois Diable Rouge) n’était pas une star mais bien un grand joueur et un redoutable compétiteur. La gagne passait avant tout que ce soit à Malines où à Anderlecht où il joua aussi avec Bruno Versavel.

 » Je suis arrivé à Pérouse en 1997 « , raconte Marc Emmers.  » Rapaic y jouait déjà depuis un an. J’ai fait la connaissance d’un excellent joueur. Le mot star est trop souvent utilisé. Milan était tout simplement un des meilleurs joueurs de Pérouse : pied gauche, frappes et centres parfaits. Mais j’avais aussi été frappé par son caractère. Le bonhomme était quand même très spécial. Il était là pour faire son travail, disons même rien que son travail. Le reste, c’est-à-dire le collectif, c’était moins sa tasse de thé à cette époque. Sa motivation pour le travail d’équipe était quand même moins évidente à l’époque. J’avais l’impression que Milan était avant tout un soliste. L’ambiance du Calcio lui allait comme un gant. Malgré tout ce qu’on dit, dans le Calcio, c’est chacun pour soi. A ce jeu-là, il avait des arguments. Je n’ai finalement joué que quatre mois avec lui avant de revenir en Belgique. Il me fait penser à Elie Ohana. L’Israélien était aussi un très grand joueur. Mais, pour réussir, il faut se dépasser à chaque match. Il ne suffit pas de briller de tems en temps. Or, ce fut le problème d’Elie Ohana. Rapaic peut briller au Standard. Son talent ne se discute pas. Ce sera une affaire d’envie au quotidien. A mon avis, il faudra que le coach du Standard, Dominique D’Onofrio, et son staff technique, le motivent tous les jours « .

Rapaic ne regrette nullement ce passage à Pérouse de 1996 à 2000 :  » J’y ai découvert une autre planète. En Croatie, l’improvisation est quotidienne. C’est un atout et cela fait partie de la mentalité, de la façon de vivre. En Italie, rien n’est laissé au hasard. Les matches sont préparés jusque dans les derniers détails. Chaque joueur reçoit une masse d’informations sur son adversaire direct, les problèmes spécifiques de chaque rencontre. Tout est placé sous le signe de l’efficacité sans entraver le potentiel de chacun. Un joueur qui abat son travail est libre, aussi, d’avancer ses arguments. Je suis devenu un joueur beaucoup plus complet en Italie. Pérouse fut un bon choix. En 2003, j’ai eu une offre de Fenerbahce « .

En Turquie, Rapaic s’envola, devint un des piliers de l’équipe entraînée par Mustafa Denizli.  » J’ai découvert des ambiances enfiévrées « , dit-il.  » Il faut au moins avoir vécu un Fenerbahce-Galatasaray dans sa vie. Istanbul est une ville énorme où tout le monde s’intéresse au football. J’ai eu la joie d’y fêter un titre de champion de Turquie en 2001. L’essor du football turc ne m’a pas étonné car les clubs sont à la pointe du progrès et bâtissent de merveilleux centres d’entraînement. Mais l’ambiance turque, et ses exigences, use. Après trois ans d’incessantes mises au vert, je suis revenu à Split en 2003 « .

Journaliste à Fanatik, Mehmet Demirsan se souvient parfaitement de cette patte gauche :  » Milan Rapaic, c’était un plaisir pour les yeux. Je dirai que c’était un grand joueur mais pas une star dans la définition turque de ce terme. GheorgheHadji était une super-vedette car il avait un charisme énorme et tout tournait autour de lui, que ce soit sur le terrain ou au quotidien. Rapaic n’a pas besoin de tout cela. Il vit son football, a son univers et cela lui suffit. Je me souviens d’un de ces matches de légende contre Gaziantep. Fenerbahce était mené 0-3 quand Milan Rapaic décida de dérouler son compas. A la fin de la rencontre, le marquoir indiquait 4-3 pour Fenerbahce. Rapaic était passé par là avec ses passes, ses assists, un déboulé victorieux de plus de 60 m au cours duquel il élimina une demi-douzaine d’adversaires. Rapaic a laissé un très grand souvenir en Turquie « .

Le 1er décembre prochain, il n’aura pas la joie de jouer avec le Standard à Besiktas en Coupe de l’UEFA. Le renfort du Standard ne prendra pas part à ce voyage.  » Je ne serai qualifié pour la Coupe de l’UEFA qu’à partir du mois de janvier « , rappelle-t-il.  » Je trouve cela un peu absurde. J’ai eu l’autorisation de signer au Standard, de prendre part au Championnat de Belgique mais pas à la Coupe de l’UEFA : difficile à comprendre « . En 2003, Rapaic fut cité au Glasgow Rangers et au Standard. La rumeur affirma que son salaire s’élevait à un million d’euros par saison. Rapaic signa finalement à Ancône qui chuta en Serie B avant de sombrer dans une faillite retentissante. Ancône lui doit encore pas mal d’argent, qu’il ne verra probablement jamais. Entre le dépôt de bilan et le nouvel intérêt liégeois, Rapaic s’est entraîné à Split :  » J’avais envie de rejouer en Italie mais je tire un trait sur cette aventure « .

Mornar regrette que Rapaic n’ait pas joué à la Juve

La saison 2003-2004 ne fut pas un échec sur toute la ligne. Rapaic (41 fois international A) participa à la phase finale de l’EURO 2004, marqua un but sur penalty face à la France et Ivica Mornar se distingua à ses côtés. Personne ne connaît aussi bien Rapaic que l’attaquant de Rennes. Ce sont deux grands amis.

 » Nous avons joué ensemble durant des années parmi les jeunes et en équipe Première à Hajduk Split « , se souvient Ivica Mornar.  » Lui à gauche, moi à droite : la presse parlait du duo Moka-Miki. C’était amusant. Milan est un aristocrate du beau jeu. Je ne l’ai jamais vu en difficulté technique. Quand il a la balle, on sait qu’il en fera un très bon usage. Ses passes sont d’une précision diabolique. En 2000, le président de Pérouse refusa de le transférer à la Juventus. Cela aurait constitué un tournant décisif. S’il avait eu la chance d’un Zlatan Ibrahimovic, il aurait acquis une nouvelle dimension. Milan serait devenu un monument de l’histoire du football. Milan a largement contribué à la qualification de la Croatie pour le Portugal. Il a donné le mal de mer à la défense des Diables Rouges à Zagreb. C’était un in-contournable comme Stipe Pletikosa, Robert Kovac ou Dado Prso. Or, il ne fait plus partie des cadres de l’équipe nationale actuellement. Ce n’est pas normal. On lui manque de respect. La moindre des choses aurait été de lui expliquer les raisons de cette mise à l’écart momentanée et l’obligation pour lui de retrouver un club. Je suis certain que Milan peut encore jouer plusieurs années en équipe nationale. Le Standard l’aidera à revenir à la une, à retrouver sa place et à prendre part à la phase finale de la Coupe du Monde en 2006. Les Liégeois vont se régaler « .

Rapaic habite dans le centre de la Cité Ardente, parle avec admiration de ce stade rempli jusqu’à la gueule face à Anderlecht.  » Le football est évidemment très engagé « , avoue-t-il.  » Physiquement, je n’avais pas arrêté de travailler en été. Il me faut encore quelques matches afin de retrouver le rythme, mon toucher de balles, mes sensations, les automatismes. La Belgique est un paradis. En Italie et en Turquie, les mises au vert étaient interminables, que ce soit en début de saison ou avant chaque match. J’en avais assez de ces retraites inutiles. Un footballeur professionnel sait ce qu’il doit faire pour être prêt. Ici, on rentre rapidement à la maison : quel bonheur. L’outil de travail est de très haute qualité : terrains, vestiaires, soins, etc. Je suis très confiant pour la suite des événements. C’est pour cela que j’ai signé jusqu’en 2006. Le Standard a les moyens de réaliser un très bon championnat « .

Pierre Bilic

 » Milan Rapaic n’était là QUE POUR SON TRAVAIL  » (Marc Emmers) » Milan est UN ARISTOCRATE du beau jeu  » (Ivica Mornar)

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