Walter Mouse est le meilleur »

Le club marocain a perdu la Ligue des Champions africaine: notre compatriote va-t-il perdre son travail à présent?

Walter Meeuws s’étonne: ses joueurs se présentent à temps au bus, pour le dernier entraînement. « Sans doute parce qu’il a lieu dans un grand stade »…Dans le car, Sigi Meeuws, son fils, et Marcel Veerman, resté son ami depuis qu’il a joué à Tielen. Les deux hommes n’ont encore manqué aucune rencontre à domicile du RAJA Casablanca en Ligue des Champions africaine. Marcel: « L’ambiance est fantastique. En demi-finales contre l’ASEC Abidjan, j’ai vu des gens pleurer de joie. Nous avions perdu 2-0 là et nous avons gagné 4-0 dans les arrêts de jeu. Nous nous rendons au stade trois heures avant le match pour y acheter 20 billets -ils coûtent un euro pièce- et nous les offrons aux enfants démunis ».

Sigi: « Mon père est heureux ici. Où peut-on jouer devant 80.000 personnes, et bientôt 100.000? C’est l’Anderlecht du Maroc, l’élite africaine. D’ailleurs, que le Sporting s’y frotte… Le précédent vainqueur de l’épreuve, Al-Ahly, a été éliminé par le RAJA mais il a battu l’AS Rome 2-1. Il y a deux ans, lors de la Coupe du Monde des clubs, le RAJA s’est incliné 3-2 face au grand Real, de justesse ».

Marcel : « C’est du niveau de la Coupe UEFA. Du soleil, un meilleur salaire qu’en Belgique, deux heures d’entraînement par jour et une antenne parabolique: jamais Walter n’a vu autant de football! »

Le Caire est la plus grande ville d’Afrique, avec 17 millions d’âmes. Les embouteillages sont légion. La séance commence avec une demi-heure de retard et les trois quarts des joueurs doivent d’abord prier. Ils le font dans un coin du terrain. Pas Walter Meeuws. « Le gardien réserve, Bouabdalaoui, est un fanatique. Il m’a dit que, depuis le temps que j’étais ici, je devrais peut-être me convertir… Je lui ai promis d’y réfléchir » (il rit). Ce qui me touche dans leur foi, c’est l’aumône aux pauvres. Je trouve ça bien et je donne régulièrement cinq ou dix dirhams, surtout aux enfants. Je n’aurais pas le coeur de refuser en voyant leur main tendue… Ils le savent, évidemment! Quand je rentre à mon appartement, à 200 mètres du stade, je suis suivi par une dizaine de gamins. Ils portent mon sac etc. Monsieur Walter, monsieur Moss, monsieur Mouse« .

Abdeslam Hannat, le président: « Il est très professionnel. Nous sommes contents de son travail. Depuis son arrivée, à mi-parcours de la saison passée, il a formé une nouvelle équipe, lui a inculqué la rage de vaincre. Evidemment, avec notre public, les entraîneurs sont sur un siège éjectable. En cas de réactions négatives,nous tenterons de le protéger ».

Le premier vice-président, Abdelhamid Souiri: « Il est compétent et a d’indiscutables qualités humaines. Il a bon coeur. Il a su s’adapter et jouit de la sympathie générale. Il travaille à long terme et je pense que ceci n’est qu’un début. Le jour où il partira, je l’imiterai ».

Abdelhazi Razko, journaliste du quotidien arabe Al Ahdath Al Maghribia: « Walter Mouse est sympathique. Il respecte ses joueurs et force leur respect. Il est calme mais a de l’humour. Il fait passer son message sans donner l’impression qu’il s’agit d’ordres, car les footballeurs marocains sont un peu difficiles sur le plan psychologique. Un Louis Van Gaal ne réussirait pas ici. Le RAJA est un des plus grands clubs d’Afrique et ne peut se permettre de mauvais résultats. Après le 2-0 à Abidjan, certains journalistes trouvaient que l’entraîneur…. Son équipe est très jeune et le noyau peu étoffé. A cause de la Ligue des Champions, le RAJA compte trois matches de moins en championnat et n’a encore que deux points sur 12. Je ne pense pas qu’il sera limogé s’il perd: disputer la finale constitue déjà un exploit ».

Vendredi 13

Le match se joue le vendredi 13. « C’est le match de l’année, retransmis dans tout le continent », explique Walter Meeuws, le matin, en sirotant son café, au Sheraton Heliopolis. « Zamalek est favori. Il a réalisé un nul blanc à Casablanca à l’aller. Il a de l’expérience au plus haut niveau. Il a décortiqué notre jeu face à l’ASEC. Pendant 90 minutes, nous avions pressé notre adversaire. Ce fut notre meilleur match depuis que je suis arrivé. A l’aller, Zamalek a joué pour ne pas encaisser de but. Nous ne nous sommes créé que des demi-occasions. Ils sont grands, solides, malins et fins techniciens. Ils savent casser le rythme, intimider l’adversaire, le provoquer. Nous sommes plus jeunes, nous jouons le jeu alors que notre rival mise sur les infiltrations de ses éléments offensifs, tandis que le reste de l’équipe est parfaitement organisé. A l’aller, elle a même pratiqué la couverture individuelle.

Pour conserver une chance, nous devons ouvrir la marque. Or, c’est notre problème. Nous dépendons d’ Aboucherouane, le meilleur buteur de la Ligue des Champions avec sept goals. Marseille, Lens, le PSG, Southampton et les Blackburn Rovers s’intéressent à lui. Il n’a que 21 ans et c’est sa première saison dans le onze de base. Gaucher, il est capable de tout mais il a ses jours. Espérons qu’il soit bien dans le match aujourd’hui ».

Le vendredi est le jour de la prière. Le capitaine, Jrindo Abdelatif, demande la permission d’emmener les autres à une mosquée toute proche. « Oui, mais revenez à midi », rétorque Meeuws. « Midi dix, midi quart », opine le capitaine. L’entraîneur accepte. « Il faut respecter leur foi. Il leur arrive de prier à la mi-temps ». Ici, sans souplesse et créativité, il est impossible de travailler. « Certains arrivent souvent en retard et sont très inventifs dans leurs excuses mais je ne peux pas leur coller d’amendes: ils gagnent trop peu. Cela fait partie intégrante de leur culture. C’est pour ça que nous allons au vert avant chaque match. Je tiens compte de leur culture dans les exercices. Ils doivent s’entraîner en fonction des matches, de manière très tactique. Pour eux, ce qui compte, c’est l’action en elle-même: dribbler, faire un petit pont. Les gens attendent ça. Les changements doivent donc être très progressifs. Peut-être ai-je été trop brusque à Gençlerbirligi. Le jeudi, ils avaient l’habitude de disputer un match à 11 contre 11 sur le grand terrain. En arrivant,j’ai instauré des petits jeux de position, des exercices de démarquage et de tir dans des espaces réduits ».

Le même slip

Sigi Meeuws porte des bas verts. La couleur du RAJA. « Ils n’ont pas encore perdu quand j’ai ces bas ». Son père ne vaut pas mieux: il porte le même slip le jour des matches. « Avant, j’étais encore plus superstitieux », avoue-t-il. « J’ai d’autres tics mais je n’en parle pas, sinon, ils ne marcheraient plus. Dans le passé, quand je me rendais au match, le feu devait toujours être vert quand je le passais. Pas question de m’arrêter, quitte à ralentir pour arriver au moment où il passait au vert! Cette semaine, durant l’entraînement à Casablanca, un supporter m’a montré une photo de lui, à côté de Bassir, un ancien avant du RAJA, de Lille et du Deportivo. Ils tenaient la Coupe de la Ligue des Champions africaine, qu’ils venaient de gagner. Sachant l’importance des photos ici, mon premier réflexe a été de l’emmener au Caire: peut-être pourrai-je prendre une photo similaire avec mes gars ».

Le stade ouvre ses portes le matin. Trois heures avant le match, qui débute à 19 heures, il est comble: plus de 100.000 personnes. Jamais nous n’avons vu autant de drapeaux. Des rouge et blanc, aux couleurs de Zamalek. Aujourd’hui, le RAJA affronte 30 millions d’Egyptiens. Ce match est une affaire d’Etat. On attache des portraits du président égyptien et du roi du Maroc à des ballons qu’on libère. Il y a un show laser, une fanfare et un concert rock.

Le match est rapide. Zamalek gagne méritoirement, sur un but inscrit dans les arrêts de jeu de la première mi-temps, sur un tir à distance. Le gardien a tergiversé. Zamalek a plus de maturité. Le RAJA est crispé, précipité et perd trop de ballons. Il s’impatiente au fil des minutes. Aboucherouane n’en touche pas une. « C’est dans la tête », estime Youness El-Kherrachi, du journal arabe Assabah. « C’est dommage, mais c’est le foot. Nater n’a pas été bon. Je vais demander à Walter Mouse pourquoi il l’a aligné ».

La presse marocaine est accablée. Le drapeau vert a disparu dans les sacs. « Etes-vous pour le RAJA? », demande l’un d’eux. « Vous essayez d’être objectif? Ah, non, hein ! L’objectivité n’existe pas! Il faut choisir. D’ailleurs,vous n’êtes pas contre l’Amérique? »

Embrasser les joueurs et les dirigeants

Le match s’achève dans le chaos. Walter Meeuws est pris à partie et tout son staff monte sur le terrain. Un des attaquants de Zamalek gifle l’entraîneur des gardiens. Quand l’arbitre libyen siffle la fin du match, un homme épais qui se tient derrière le but de Zamalek donne un coup à deux joueurs du RAJA. Un footballeur de Zamalek déchire un maillot du club marocain, qu’il vient d’échanger, devant le millier de supporters qui ont accompagné leur club. Ceux-ci réagissent, évidemment

Le vestiaire du RAJA est calme. Walter Meeuws livre ses premières réactions: « Zamalek était dans un grand jour… Nous avons perdu le ballon trop facilement et il en a profité… Nous avons fait de notre mieux… Ma jeune équipe a appris beaucoup aujourd’hui. Je n’ai rien à lui reprocher. Peut-être aurions-nous pu espérer mieux si nous avions joué le match-clef à domicile ».

Il lui reste le championnat et la Coupe de la CAF. Dimanche, le RAJA affronte Agadir, le champion en titre. « Un match important », rit Meeuws. « Ici, chaque match peut être le dernier. Tout se règle en une heure et demie. Tout se passe en arabe. Je ne sais donc jamais ce qui se trame. Le club préfère des entraîneurs étrangers car, pour un Marocain et sa famille, la pression serait insoutenable. Après 14 ans en Belgique, je suis heureux d’être confronté à des situations inimaginables chez nous. Je dois rester sur mes gardes, faute d’être renvoyé au bout d’une semaine. L’implication est mentale et physique. Le contact corporel est important dans cette culture. Il faut enlacer les joueurs et les dirigeants, les embrasser. Ils sont chaleureux. C’est positif et parfois négatif ».

Le lendemain, une visite des pyramides de Gizeh est au programme. Un homme répond présent. Walter Mouse. Les dirigeants ont changé. Leur sourire s’est effacé. Ils discutent le coup, la mine sombre. S’arment-ils en prévision des critiques, au Maroc? Discutent-ils de l’avenir de l’entraîneur?

Jrindo Abdelatif, le capitaine: « J’espère que non. Il est un professionnel et un père pour nous. Le meilleur entraîneur qu’ait eu le RAJA. Nous l’aimons, sans exception. Un changement ne serait pas bon pour les jeunes. C’est avec Walter Mouse que nous avons le plus de chances de réussir le doublé titre-championnat. Dans dix jours, nous serons en tête, je vous le jure ».

Mohammed Khrbouch : « Je ne suis pas titulaire mais j’espère que Walter Mouse restera. C’et un homme bon. Qu’on le laisse travailler ».

Jrindo: « Qu’on ne se mêle pas de son travail! Le problème, c’est que les dirigeants n’y connaissent rien en football. Nous avons beaucoup de talents mais la plupart sont brisés, faute de soutien. Ce qui intéresse les dirigeants, c’est leur belle villa et leur grosse auto ».

Khrbouch: « Le public est le détonateur ».

Jrindo: « éa commence dans les cafés. Les gens n’ont pas de travail ni de revenus et veulent que les footballeurs, qui gagnent plus qu’eux, l’emportent toujours. Avec Casablanca, ils en ont l’habitude mais ils oublient qu’il ne reste que le gardien et moi-même de l’équipe qui a remporté la Ligue des Champions en 1997 et en 1999. Les autres ont moins de 23 ans. La pression des journalistes, des supporters et des dirigeants leur a joué des tours contre Zamalek, surtout ici, face à 11 internationaux et à 100.000 Egyptiens. Ils ont besoin de temps, de travail et de sérieux. Walter Mouse est le meilleur entraîneur possible ».

Christian Vandenabeele, envoyé spécial au Caire

« Le club préfère des entraîneurs étrangers car, pour un Marocain et sa famille, la pression serait insoutenable »

« Ici, sans souplesse et créativité, il est impossible de travailler »

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