WALTER CITY

Bruno Govers

Dans sa ville natale et auprès de sa famille, le médian en délicatesse avec son club demeure un dieu vivant et personne ne le remet en cause.

S’il n’est plus prophète à Anderlecht, où on le pousse allégrement vers la porte de sortie, Walter Baseggio (27 ans) jouit toujours d’un prestige intact à Clabecq, l’entité brabançonne qui l’a à la fois vu naître, s’épanouir et se solidariser au football au sein du Sporting Club local.  » Ici, il fait vraiment vivre pas mal de monde « , observe sa s£ur cadette Marianna, gérante du snack pizzeria LePetit Délice, sur la place JosseGoffin. Dans la famille, elle n’est pas la seule, au demeurant, à bénéficier des largesses de Walt. De l’autre côté du monument dédié au fondateur des Forges locales, le frère aîné, Antonio, de même que le beau-frère du médian du RSCA, Salvatore, se relayent journellement derrière le comptoir de la brasserie taverne Le Privilège.

 » Il y a quelques années, c’était le désert « , poursuit la frangine.  » La crise dans le milieu de la sidérurgie avait plombé l’atmosphère dans toute la cité. L’ex-Diable Rouge Michel De Wolf, originaire du coin lui aussi, avait été le tout premier à raviver la flamme par l’intermédiaire du Sunset, le troisième et dernier établissement bordant le square. Il a passé, par la suite, le témoin à Walt, qui y a installé un gérant. Moi-même, je peux compter sur l’aide de deux de ses amis de longue date : le pizzaïolo Pino Pittito et le cuistot Philippe Vray. Il n’y a toutefois pas que les proches et les connaissances de Walt qui sont concernés par son implication. En raison du véritable pôle d’attraction que constituent les trois commerces, d’autres, comme la librairie et l’épicerie ont connu un nouvel essor également. A des titres divers, chacun lui est reconnaissant, somme toute « .

Agée de 21 ans, la petite dernière a toujours été gâtée par ses deux frérots, et Walt en particulier.  » Quand il remportait une médaille avec les jeunes, il se faisait toujours un malin plaisir de me l’offrir « , raconte-t-elle.  » Je ne compte plus le nombre de souvenirs. Ces dernières années, il a fait profiter aussi ses jeunes neveux Filippo, Giovanni et Nicolas, qui accusent respectivement 7, 5 et 2 ans de son extraordinaire générosité. Depuis le 14 décembre, la concurrence s’est accrue suite à la naissance de la petite Doriana, le premier enfant de Walt et de son épouse Rosalba. La petite est tout simplement magnifique et Walt a de quoi en être légitimement fier. Je suis heureux pour lui car la venue au monde de ma nièce aura été, pour lui, le seul moment vraiment réjouissant de l’année 2005. Pour le reste, ce fut la misère d’un bout à l’autre. Sur le plan sportif, du moins « .

 » Au même titre que la plupart des clients, je ne comprends absolument pas ce qui s’est passé avec Walt au Parc Astrid  » poursuit-elle.  » Pendant des années, mon frère a vécu un bonheur sans nuages là-bas. Puis, subitement, et sans qu’il comprenne réellement pourquoi, le temps est passé à l’orage. Aujourd’hui, il s’en est fait une raison, une fois pour toutes : son avenir n’est plus à Anderlecht. Deux personnes ont mis tout en £uvre pour le dégoûter du football. Je ne les citerai pas, elles se reconnaîtront aisément. Ce sont d’ailleurs les mêmes qui ont chassé entre-temps Nenad Jestrovic comme un malpropre. Le buteur serbe a eu raison cent fois plutôt qu’une en affirmant qu’avec un autre entraîneur et un autre manager, il aurait plus que vraisemblablement toujours fait partie des plans de bataille du Sporting. Walt n’est pas une machine : comme tout professionnel, il a quelquefois traversé une moindre passe. Il a dû, par moments, se racheter une bonne conduite auprès du coach ou de la direction. Quand il s’agissait d’ Aimé Anthuenis et de Michel Verschueren, il n’y avait quasi jamais de problèmes. Il suffisait d’une discussion franche entre quatre-z-yeux pour que l’affaire soit entendue. Depuis quelques mois, c’est différent : tout est déballé sur la place publique, parfois même sans qu’il y ait eu rencontre entre les diverses parties. Les reproches, Walt les a le plus souvent appris par l’intermédiaire des journaux mais à aucun moment lors de face-à-face. Est-ce digne d’un grand club ? Poser la question, c’est y répondre « .

Des poux dans la tête

Pino Pittito abonde dans le même sens que la frangine.  » Tout bien considéré, Walt aurait mieux fait de partir en beauté il y a cinq ans « , estime-t-il.  » A l’époque, il avait brillé avec le Sporting en Ligue des Champions, face à la Lazio notamment, et le club romain et d’autre clubs Calcio étaient désireux de l’embrigader. Walt avait 22 ans à peine et, conscient des difficultés d’ Enzo Scifo à un âge à peu près similaire à l’Inter Milan, il n’avait pas voulu franchir le pas. De toute façon, Anderlecht ne l’y aurait pas autorisé. Car après avoir perdu Jan Koller, Tomasz Radzinski, Bart Goor et Didier Dheedene, il se serait ni plus ni moins suicidé, sous l’angle purement sportif, s’il avait dû composer en outre sans Walt. Avec le recul, il y a peut-être lieu de nourrir certains regrets. Walt a beaucoup perdu depuis qu’Anthuenis n’est plus aux commandes. Et il n’est pas le seul : Alin Stoica, pour ne mentionner que lui, n’a plus jamais été le même non plus. Est-ce franchement la faute des joueurs ou bien l’entraîneur doit-il être mis en cause ? Désolé mais, à mes yeux, c’est le coach qui a tout bonnement foiré « .

 » Walt a eu quelquefois maille à partir avec Anthuenis, surtout au tout début de leur collaboration. Beaucoup se souviendront sans doute qu’il avait une préférence, au cours des premières semaines, pour Oleg Iachtchouk en tant que demi récupérateur. Mais il a suffi que Walt lui prouve son savoir-faire dans ce registre pour qu’il change dare-dare son fusil d’épaule. Avec la suite heureuse que l’on sait puisque c’est sous ses ordres que Walt a livré les meilleurs matches de sa carrière. Par après, quand Hugo Broos et Frankie Vercauteren ont pris le relais, plus rien n’a jamais été pareil. Dès le départ, ils lui ont cherché des poux dans la tête. L’un s’arrêtait à son poids, l’autre mettait en exergue son manque de volume de jeu. Que je sache, Diego Maradona était un petit gros aussi. Et cela ne l’a jamais empêché de bien jouer au football. Quant à l’activité entre les lignes, elle est relative aussi. A Séville, il a suffi d’une passe tranchante de Walt pour cisailler toute la défense et offrir le seul but du match à Vincent Kompany. Hormis Pär Zetterberg, et encore, aucun autre joueur anderlechtois n’est capable du même geste. Walt a plus de talent dans son petit orteil gauche que les trois quarts des Sportingmen dans leurs deux pieds. Il faut être aveugle pour ne pas s’en rendre compte. Ou bien de très mauvaise foi. Voire carrément incompétent. Et c’est là que le bât blesse chez Vercauteren. Pour moi, un grand entraîneur est celui qui sait tout faire : mettre ses ouailles en condition, imprimer un style de jeu à l’équipe, être fin psychologue. Cette dernière dimension, surtout, manque chez le coach actuel. Il doit d’ailleurs en être pleinement conscient lui-même, sans quoi il ne ferait pas appel aux compétences de Johan Desmadryl pour encadrer les joueurs ou pour faire du team-building. Le problème, ce n’est pas tant Walt que le coach lui-même. Il a eu la peau de Lukas Zelenka, puis celle de Jestrovic et tout porte à croire que Walt suivra le même mouvement. Le Tchèque est pourtant devenu titulaire, par la suite, au Sparta Prague et Jestrogoal marquera toujours des buts partout, parce qu’il possède l’instinct. Walt lui aussi retrouvera sa plénitude ailleurs, c’est certain. Et ce jour-là, beaucoup s’en mordront les doigts au RSCA. Ils réaliseront qu’ils auraient été nettement mieux inspirés en continuant à jouer la carte du joueur plutôt que celle d’un mentor qui fera de toute façon long feu à son poste. C’est une honte, en tout cas, qu’avec le matériel humain dont il dispose, Vercauteren soit réduit à la course-poursuite aujourd’hui. Normalement, ses joueurs devraient compter dix points d’avance. Sa méthode est un véritable gâchis « .

Une eau ou un ristretto

En cette après-midi du jeudi 5 janvier, c’est Salvatore Salvaggio, le frère aîné de Rosalba, qui est de faction à la brasserie taverne. Actif au sein de la firme Puratos, à Grand-Bigard, il a demandé une pause carrière afin de pouvoir aider son beauf.

 » Depuis son ouverture le 26 novembre 2004, Le Privilège est un beau succès « , dit-il.  » L’endroit ne désemplit jamais. Il est vrai que Walt y fait acte de présence à intervalles très réguliers. S’il se montre, il ne boit cependant pas. Ou alors de l’eau, voire un ristretto, un petit café bien serré. Mais sûrement pas de la limonade ou de la bière. On ne le surprendra jamais, non plus, à tremper ses lèvres dans une grappa. Car quoi que certains en disent ou en pensent, il surveille son poids. Chez sa s£ur, même si une pizza porte son nom, vous ne le verrez jamais en consommer une. Il se contente le plus souvent d’un steak salade. Ici, vous ne le croiserez jamais aux petites heures non plus. Le repos, pour lui, c’est sacré. Et sa carrière est toujours passée avant toute autre considération « .

Aux murs, des maillots encadrés de Michaël Ballack, Johan Micoud et Stefano Fiore constituent autant de souvenirs d’adversaires de renom rencontrés en Ligue des Champions. A côté de la porte, une photo de l’équipe de football en salle qu’il sponsorise, La Mairie, a été prise, au cours de l’été 2004, à Trévise. Une ville et un club qui pourraient, au demeurant, faire figure de point de chute pour lui.  » Son père, Gianni, surtout n’y serait pas du tout indifférent « , observe Salva.  » Quoi de plus normal, puisqu’il est originaire de cette ville située non loin de Venise. La maman, Doria, elle, vient de Naples. Ce club-là a toujours interpellé Walt au plus haut point. S’il avait pu conserver son statut dans le Calcio, je suis persuadé que mon beau-frère aurait mis tout en £uvre pour aboutir un jour là-bas. A présent, la situation est évidemment tout autre. Le cercle cher à Diego Maradona est singulièrement rentré dans le rang. Dans le même temps, Trévise, de son côté, a vu sa cote grimper en flèche. Quelque chose me dit que si Walt y aboutit dans un avenir plus ou moins proche, il mettra tout en £uvre aussi pour rallier Naples à un stade ultime de sa carrière. Ce serait la plus belle manière, pour lui, de contenter ses parents auxquels il tient énormément. Sa future destination est de son ressort. Ici, personne ne songe à l’influencer. Tout ce que ses proches veulent, c’est qu’il soit à nouveau heureux sur un terrain. Le football, c’est sa vie. Compte tenu de tout ce qu’il a apporté aux Mauves, il ne mérite pas d’être traité de la sorte. Le public ne s’y trompe d’ailleurs pas, qui continue à le soutenir. Quand les supporters se sont mis à scander son nom lors du dernier match contre La Gantoise, il en a eu les larmes aux yeux. D’ailleurs, les messages de sympathie ne cessent de lui parvenir : tant ici, au café, que sur son GSM ou dans son courrier à Anderlecht. Moi, je lui souhaite de rebondir. Que ce soit à Charleroi, à Heracles ou dans un autre entourage encore. Même si, pour des raisons aisément compréhensibles, ma préférence va au football italien. Et à Trévise, pourquoi pas. S’il en est ainsi, la compagnie aérienne Ryanair est assurée de réaliser de bonnes affaires avec le tout Clabecq. Car sa liaison sur Venise sera prise d’assaut tous les 15 jours, chaque fois que Walt sera amené à jouer à domicile avec Trévise. Mais on n’en est pas encore là, bien sûr. Tout est encore possible même si une prolongation à Anderlecht semble exclue. Là-bas, l’histoire d’amour entre les deux parties semble révolue. C’est dommage car, personnellement, j’aurais bien aimé que Walt fasse toute sa carrière au Parc Astrid. Cette perspective ne lui aurait probablement pas déplu non plus. Certaines personnes en ont malheureusement décidé autrement. C’est lamentable « .

Le titre avec le Standard

Parmi les habitués de la taverne figure Nino Averoldi, un septuagénaire alerte dont le patronyme atteste lui aussi une ascendance italienne. L’homme a quitté la Botte en 1947 pour s’établir à Clabecq où, comme bien l’on pense, il a travaillé toute sa vie aux Forges. D’abord comme ouvrier puis en tant que contremaître dès les années ’70. Pour avoir élu domicile à la rue du Château, en face du Sporting Club local, il a vu pas mal de jeunes. Dont Walt pour qui il s’est pris très tôt d’une grande affection.

 » Michel De Wolf, c’était déjà quelque chose « , se souvient-il.  » Mais Walt, lui, c’était le meilleur. J’allais voir jouer les Préminimes rien que pour lui. Il évoluait à l’attaque, à cette époque, et sa frappe de mule faisait des dégâts. Un jour, je l’ai vu inscrire 16 buts. Incroyable ! Quinze années ont passé depuis lors et, durant tout ce temps, le garçon est resté le même. Sa notoriété n’a rien changé. La grosse tête, très peu pour lui. C’est le gars qui n’hésite pas à traverser la rue pour aller saluer quelqu’un. Je ne pense pas que, dans le même cas de figure, beaucoup de ses coéquipiers à Anderlecht adopteraient la même attitude. A l’image de toute la communauté, ici, je suis peiné par ce qui lui arrive au Sporting. Durant des années, il a été loué pour ses qualités de footballeur. A 27 ans, en pleine fleur de l’âge, il ne les a quand même pas subitement perdues ? Je me fais fort qu’il aura sa revanche ailleurs. Mais à sa place, je n’opterais quand même pas pour un club italien de deuxième zone, comme Trévise. Même si, sentimentalement, je peux comprendre que cette perspective fasse vibrer certaines personnes dans sa famille. Je peux me tromper mais j’ai l’impression que tout n’est jamais très clean dans ces petits clubs. Il y a beaucoup de chipotages, pour ne pas dire plus. Moi, je le lui ai déconseillé en tout cas. S’il est vrai que le Standard a des vues sur lui, je privilégierais cette piste. Je suis devenu fan d’Anderlecht à cause de la présence de Walt. Mais à l’instar de bon nombre de concitoyens, qui ont la fibre wallonne malgré tout, je l’imagine quand même bien sous la vareuse des Rouches. Avouez que ce serait un magnifique pied de nez : Walt qui offre le titre aux Liégeois, après plus de vingt ans d’attente et ce, au nez et à la barbe du RSCA. Ce serait mérité. Depuis qu’on fait des misères à Walt, je ne me rends plus au Parc Astrid. Et pas mal de gens m’ont imité. Aujourd’hui, je vais voir Tubize pour faire plaisir à un autre joueur qui n’a pas eu les adieux qu’il aurait mérités au Sporting : Enzo Scifo. Mon v£u le plus cher en ce début d’année, c’est que comme le Louviérois, qui a eu la chance de prendre un deuxième envol grâce à Guy Roux, Walt puisse travailler sous peu sous la coupe d’un coach qui le remette complètement en selle. Et je vois fort bien Dominique D’Onofrio être celui-là. Voilà une figure paternaliste, pleine de bon sens et d’origine transalpine lui aussi, de surcroît. Ces deux-là seraient faits pour s’entendre, j’en suis persuadé « .

BRUNO GOVERS

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