© BELGAIMAGE

WALLONS-NOUS ?

Sevré de champions dignes de ce nom, le cyclisme wallon prépare tout doucement l’après- Philippe Gilbert. Un tournant à négocier avec sérieux à l’heure où le cyclisme mondial poursuit son irrésistible mutation.

Quatre semaines après la dernière course wallonne du calendrier et à quelques mois d’une inéluctable retraite du seul vainqueur de classique wallon de la décennie, la question de la succession de Philippe Gilbert n’a jamais semblé aussi préoccupante. Les interrogations ne datent pas d’hier, mais la situation inquiète malgré tout, tant les enjeux du cyclisme mondial apparaissent de plus en plus déconnectés des réalités du quotidien en Wallonie.

On ne fera évidemment pas grand cas de l’absence de coureurs du sud du pays dans le top 20 de Binche-Chimay-Binche le 4 octobre dernier ; celle-ci s’expliquant avant tout par la proximité des championnats du monde de Doha et la présence à Chimay d’un plateau de coureurs particulièrement relevé. On n’oubliera pas non plus de préciser que les champions de la trempe de Philippe Gilbert, Franck Vandenbroucke ou Claudy Criquielion ont toujours constitué les exceptions d’un vivier wallon logiquement moins florissant que son pendant flamand.

Cela explique-t-il pour autant qu’en 2016, le nom le plus régulièrement cité au sein de la formation Wallonie-Bruxelles soit celui de Baptiste Planckaert ? À 28 ans, le seul coureur flamand de la formation de Christophe Brandt a, presque à lui seul, mis en lumière le travail de fond effectué depuis 2011 par la structure mise en place à l’époque par Yves Vanassche ?

Deuxième de la dernière Coupe de France, le natif de Courtrai s’en ira poursuivre sa carrière au sein de l’équipe Katusha en 2017. Un accomplissement pour le coureur, qui ne l’aurait vraiment été pour sa formation que s’il avait concerné un cycliste du sud du pays. Significatif du désert que s’apprête à traverser le cyclisme wallon ? C’est la question que Sport/Foot Magazine a posée à bon nombre de spécialistes de la  » petite reine  » wallonne.

PLUS DE PROFESSIONNELS, MOINS DE CHAMPIONS

Le positif d’abord. D’un point de vue comptable, le cyclisme wallon se porte bien. S’il est, certes, de plus en plus difficile de mettre sur pied des compétitions sur le territoire wallon, le nombre de licenciés auprès de la FCWB (Fédération de Cyclisme officielle en Wallonie et à Bruxelles), lui, ne cesse d’augmenter.  » Il y a eu, à partir de 2008-2009, une réelle volonté politique d’éduquer les jeunes et de les encadrer « , certifie l’ancien manager toujours actif en télévision, Gérard Bulens pour justifier la bonne santé chiffrée du vélo en Wallonie.

 » Ce qui existe aujourd’hui était impensable il y a 10 ans « , confirme Jean-Luc Vandenbroucke, le grand patron des épreuves cyclistes disputées au sud du pays.  » L’appui financier n’a jamais été aussi important.  » De cette prise de conscience politique naîtront les formations Wallonie-Bruxelles (2011) et Idemasport-Biowanze (2012), aujourd’hui devenu Color-Code Arden’Beef. Initialement composée de coureurs wallons engagés en  » contrat Rosetta « , cette dernière a toujours eu pour but d’encadrer la formation des jeunes.

Un coup de pouce politique qui apportera des moyens jamais vus aux cyclistes wallons et qui participera rapidement à renforcer la représentativité de ceux-ci au plus haut niveau.  » Si c’est vrai qu’il n’y a, à l’heure actuelle, pas encore de successeur à Philippe Gilbert, on ne peut pas vraiment parler du marasme du cyclisme en Wallonie « , positive Christophe Brandt, premier directeur sportif d’Idemasport-Biowanze, aujourd’hui passé chez Wallonie-Bruxelles.

 » Certes, nous ne sommes pas devenus en 5 ans l’équivalent de la Flandre, qui reste une vraie terre de vélo, mais il faut relativiser le manque de résultats actuels en se disant qu’il n’y a, en fait, jamais eu autant de Wallons passés pros que sur ces 5 dernières années. « Addition effectuée, ils sont dix à avoir troqué leur statut amateur contre un contrat professionnel depuis 2011. Un premier bilan favorable qui a visiblement donné des idées à Christophe Brandt, puisqu’en 2017, la formation Wallonie-Bruxelles accédera au statut d’équipe continentale professionnelle, l’équivalent de la deuxième division derrière l’inaccessible WorldTour.

UNE ÉQUIPE WALLONNE SUR LE TOUR DANS LES CINQ ANS ?

Une évolution qui n’ira pas sans une certaine émancipation de ses racines wallonnes, selon Gérard Bulens.  » Il est à parier qu’un sponsor du nord du pays interviendra pour soutenir le passage en continental pro. Une aide qui apportera, de facto, une certaine mixité dans l’équipe de Christophe (Brandt, ndlr) qui devra aussi, maintenant, répondre de certains résultats.  »

Si les noms de coureurs flamands confirmés comme Roy Jans ou Maxime Vantomme sont, en effet, d’ores et déjà cités pour venir renforcer la formation wallonne, Wallonie-Bruxelles préfère justifier son ascension dans l’antichambre du WorldTour par sa volonté de devenir la porte d’entrée principale des cyclistes wallons vers l’élite.

 » C’est ce qu’il manquait à l’heure actuelle « , détaille Christophe Brandt.  » L’idée, c’est de permettre aux coureurs wallons de parfaire leur écolage dans une structure qu’ils connaissent et dans laquelle ils se sentent bien, tout en respectant un programme de courses mesurées. Ce n’est pas parce qu’on passe continental pro qu’on aspire à postuler pour le Tour en 2017, ce n’est pas notre ambition immédiate.  »

Pas encore de grand Tour au programme en 2017, mais une kyrielle de courses Pro Tour dont l’Eneco Tour ou la Flèche Wallonne. Un programme plus musclé et une volonté affirmée de mettre fin à l’exode des talents les plus prometteurs pour éviter que ne se répètent trop souvent des scénarios similaires à ceux d’un Boris Vallée (passé pro chez Lotto en 2014) ou tout récemment du jeune et talentueux Rémy Mertz (qui passera cet hiver chez Lotto).

 » C’est super pour Rémy et, personnellement, cela ne me pose aucun problème s’il est en mesure de franchir directement le pas « , assure Christophe Detilloux, ancien coéquipier de Philippe Gilbert à la Française des Jeux, aujourd’hui directeur sportif de Color-Code.  » Mais c’est toujours la même problématique et, évidemment qu’entre le Real et le Standard, un coureur a rapidement fait son choix, mais je ne peux m’empêcher de penser que c’est une erreur d’intégrer si rapidement le circuit Pro Tour.  »

LA CONCURRENCE MALSAINE DU WORLDTOUR

Ce qu’évoque Christophe Detilloux, c’est cette étape intermédiaire si importante dans le développement d’un coureur. Ce qu’en football on se plaît souvent à appeler la post-formation.  » C’est entre ses 18 et ses 21 ans qu’un coureur se teste. C’est à ce moment-là qu’il convient de lui donner les moyens de sa réussite « , certifie JeanLuc Vandenbroucke.  » En cas d’échec chez les espoirs, le coureur devient alors élite sans contrat. C’est à ce moment-là qu’il lui faut faire son autocritique et peut-être se réorienter. Mais, au moins, il pourra se dire qu’il a tenté sa chance.  »

Le monde du cyclisme ne pardonne pas plus l’échec qu’un autre. Beaucoup sont donc recalés au bout de leur quatrième année chez les espoirs et ils ne sont généralement qu’un ou deux sur une vingtaine à se diriger vers une carrière professionnelle.

Un bon début, pas encore une fin en soi à entendre Rik Verbrugghe, directeur sportif en fin d’aventure chez IAM qui occupera l’an prochain un rôle de coordinateur pour la formation en Wallonie.  » Je ne suis pas convaincu qu’un coureur est prêt à 21 ans pour intégrer une équipe WorldTour. J’espère que ce sera le cas pour Rémy Mertz mais, pour la plupart, c’est beaucoup trop tôt. Pour la simple et bonne raison qu’un coureur d’une équipe continentale ne côtoie actuellement presque plus les grands champions en compétition.  »

La faute, on le sait, à un calendrier WorldTour surchargé obligeant les  » World Teams  » à participer à des courses aux quatre coins du monde, inaccessibles pour les formations aux plus petits budgets. La création, l’an dernier, de la Belgian Cycling Cup en est le dernier exemple en date pour le vainqueur de la Flèche Wallonne 2001.

 » C’était déjà dur de rassembler des têtes d’affiche cette saison, mais je peux déjà vous dire que ce sera pire l’an prochain avec l’arrivée de dix nouvelles épreuves dans le calendrier WorldTour.  »

Le WorldTour, comme symbole de cette mondialisation à outrance d’un cyclisme à deux vitesses, qui renierait ses bases au profit d’une médiatisation toujours plus importante ? La rengaine est connue de bon nombre de directeurs sportifs. Récemment, le coup de gueule de Marc Madiot, manager général de la FDJ, sur le plateau d’une célèbre émission du service public français avait suffi à comprendre que le mal dépassait largement les frontières de notre plat pays.

 » Cela n’empêche pas que cela va faire trois ans qu’il n’y a plus eu un bon cycliste wallon qui est sorti du lot « , tacle le directeur sportif de Wanty-Groupe Gobert, Hilaire Van der Schueren.  » Pour moi, il y a Loïc Vliegen et il y avait malheureusement Antoine Demoitié (décédé le 27 mars dernier, ndlr). Derrière, c’est un peu le néant chez les jeunes et, cette année, je n’ai pas vu de coureur avec des qualités susceptibles de les amener un jour au plus haut niveau. Normalement, chaque saison je vais chercher quelques coureurs wallons. Cette année, je ne sais même pas qui prendre.  »

UN PHÉNOMÈNE CYCLIQUE

Loïc Vliegen (22 ans), un nom malheureusement trop isolé quand on évoque l’avenir du cyclisme en Wallonie. Débarqué en 2013 dans l’équipe réserve et formatrice de BMC après avoir fait ses classes avec Christophe Brandt chez Idemasport-Biowanze, le vainqueur de la Flèche Ardennaise 2015 serait actuellement ce qui se rapproche le plus d’un successeur à Philippe Gilbert. Derrière, le réservoir de jeunes et bons coureurs wallons donne une étrange impression de vide.

 » Il y a un problème à rendre le cyclisme sexy en Wallonie « , constateJean-François Bourlart, Directeur général chez Wanty.  » Un jeune Flamand préférera souvent monter sur un vélo qu’aller taper dans un ballon, c’est l’inverse en Wallonie. Ce que je constate depuis plusieurs années, c’est qu’on met des moyens pour travailler avec les espoirs dans le but d’en faire des champions. C’est très bien d’essayer de faire fructifier au maximum ce qui existe, mais on ne pense pas à la suite. C’est une réflexion à moyen terme inquiétante. Que fera-t-on lorsque l’on aura épuisé le réservoir ?  »

Pour l’instant, le vivier du cyclisme wallon perdure grâce au succès de ses champions, qu’ils soient wallons ou flamands. Un peu comme quand l’AFT surfait sur les succès de Justine et Kim pour voir le nombre de ses adhérents grimper. Car jusqu’à preuve du contraire, la passion de la petite reine n’a pas encore de frontière linguistique. Une aubaine pour les jeunes Wallons, qui n’empêche pas le coup de sang de Jean-François Bourlart.

 » On parle du prochain Gilbert, mais vous avez déjà trouvé le nom du prochain TomBoonen ou du prochain GregVan Avermaet, vous ? « , contre-attaque Gérard Bulens. Les avis divergent en Flandre sur les successeurs potentiels des deux précités, mais le réservoir semble, là, inépuisable. Pour s’en convaincre, une statistique : il se dit qu’un coureur devient réellement professionnel le jour où il termine son premier grand Tour de trois semaines.

Cette année, ils étaient 7 novices du nord du pays à arriver au bout du Giro, de la Grande Boucle ou de la Vuelta pour une moyenne d’âge de 24,8 ans. En Wallonie, le seul Jonas Van Genechten (30 ans) a bouclé son premier Tour d’Espagne. Suffisant pour comprendre que le virage que négocie aujourd’hui le cyclisme wallon est avant tout une histoire de choc générationnel.

Un phénomène cyclique qui a toujours suivi le départ à la retraite d’un grand champion. Attendu au lendemain des championnats du monde 2018 à Innsbruck, l’après-Philippe Gilbert a d’ores et déjà peu de chances d’échapper à la règle.

PAR MARTIN GRIMBERGHS – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Normalement, chaque saison je vais chercher quelques coureurs wallons. Cette année, je ne sais même pas qui prendre.  » HILAIRE VAN DER SCHUEREN, DIRECTEUR SPORTIF DE WANTY-GROUPE GOBERT

 » Il n’y a jamais eu autant de Wallons passés pros que sur ces 5 dernières années.  » CHRISTOPHE BRANDT, DIRECTEUR SPORTIF DE WALLONIE-BRUXELLES

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire