Vrai MALADE

Champion d’Espagne pour la deuxième fois en trois ans, cet entraîneur peu médiatisé a aussi conduit Valence en finale.

Il ne peut pas compter sur un Florentino Perez qui lui offre des vedettes à la pelle, mais est très satisfait de son président. Rafa Benitez, né à… Madrid le 16 avril 1960, vient d’offrir deux titres en trois ans au FC Valence. Le premier, en 2002, avait été obtenu après 31 ans de disette. Le second, conquis voici dix jours à peine, a laissé le tout-puissant Real Madrid sans le moindre trophée cette saison. Rafa Benitez a aussi propulsé le FC Valence en finale de la Coupe de l’UEFA, qu’il disputera ce soir face à Marseille. Découverte d’un entraîneur méconnu.

On dit que vous êtes un malade du football ?

RafaBenitez : Je connais des entraîneurs qui sont plus malades que moi, mais avant la naissance de mes deux filles, je ne vivais que pour le ballon rond. J’étais capable de visionner jusqu’à huit ou dix matches sur un week-end. Aujourd’hui, c’est différent. Je ne peux pas encore consacrer toute l’attention que je voudrais à ma famille, mais mes deux filles se chargent de me rappeler à mes devoirs. Parfois, alors que je visionne une cassette, l’une d’elles éteint la télévision.

Vous voulez avoir tout sous contrôle, non ?

C’est impossible, mais il faut essayer de réduire la part de hasard au strict minimum. Pour ce faire, il faut s’entourer de professionnels compétents. La politique d’amis ne mène à rien. A la longue, on en paie les conséquences.

Au cours de la saison 2001-2002, le FC Valence avait été éliminé de la Coupe du Roi sur le tapis vert, parce que vous aviez aligné quatre joueurs extra-communautaires…

Chacun a sa part de responsabilités. J’étais plongé dans le match. Il restait cinq minutes à jouer et l’équipe de Novelda lançait ses dernières forces dans la bagarre. Un tir s’échoua sur le poteau, les corners se succédèrent. J’ai demandé un changement pour casser le rythme. Dans mon esprit, j’ai simplement retiré un joueur pour un autre. Je n’ai pas fait attention au passeport.

Le délégué de l’équipe, Sol, en a fait les frais.

Oui. Nous, les entraîneurs, sommes plongés au c£ur de la bataille.

Vous ne direz jamais à vos joueurs :  » Montez sur le terrain et amusez-vous  » ?

Non. Peut-être lors d’un match amical, et encore. Le football, à ce niveau, ne se limite pas à un jeu. On peut prendre du plaisir lorsqu’on a bien fait son boulot. La seule manière de gagner des matches et d’atteindre ses objectifs, est de travailler.

Les joueurs définissent la tactique

A quelles sources puisez-vous vos options tactiques ?

Un peu partout. Je me suis rendu en Angleterre pour étudier le travail de Sir Alex Ferguson. J’ai analysé les méthodes de Johan Cruijff au FC Barcelone. Celles d’Arrigo Sacchi à l’AC Milan. Je me suis entretenu avec Claudio Ranieri et Fabio Capello. J’admire le système défensif italien, j’appréciais la manière dont la belle équipe du Barça utilisait les flancs et également le jeu entre les lignes du Real Madrid de John Toshack.

La combinaison de toutes ces qualités représenterait votre image du Valence idéal ?

Oui, mais il faut toujours s’adapter aux footballeurs que l’on possède dans son noyau. Ce sont les joueurs qui définissent la tactique. Si Valence possède une bonne défense, il faut l’exploiter et essayer d’améliorer le rendement offensif.

Vous aimeriez posséder un attaquant supplémentaire ?

Je n’exige rien. C’est le club qui réalise les transferts. De préférence, en accord avec le directeur technique et l’entraîneur. J’accepte que le club refuse d’engager des mégastars, parce que les finances ne le permettent pas. Mais si l’entraîneur propose de jeunes joueurs de qualité, et n’obtient pas satisfaction, il réagit.

Vous avez eu des polémiques avec des joueurs comme Salva ou Kily Gonzalez, dans le passé…

Aucun entraîneur n’est parfait. Et aucune équipe n’est parfaite. L’harmonie ne sera jamais totale lorsqu’au sein d’un noyau de plus de 20 joueurs, l’entraîneur est amené à en choisir 11. Que l’entraîneur ne soit pas apprécié de tous, c’est normal. Ce qui l’est moins, c’est qu’à Valence, tout se sait. L’un des problèmes de ce club est que les portes de la cuisine interne demeurent trop souvent ouvertes.

Le public ne comprend pas toujours que vous placiez certains joueurs importants sur le banc…

S’il y avait de grandes différences de qualité entre les différents joueurs, personne ne s’en offusquerait. Mais à Valence, le noyau est homogène. Si ce n’est pas un joueur qui fait la différence, c’est un autre. On est obligé de travailler beaucoup au niveau collectif, et d’effectuer des rotations, afin que les joueurs importants puissent bien négocier les grands rendez-vous. Cela, le public ne le comprend pas toujours, effectivement. Mais, ce qui me surprend plus, c’est que certains joueurs eux-mêmes font mine de ne pas comprendre mon raisonnement et critiquent parfois pour le simple plaisir de critiquer.

L’entourage de Valence est-il conflictuel ?

Valence est un club particulier. Il possède un public exigeant. Mais, ce qui le différencie surtout, c’est qu’on n’a pas de président qui dirige parce qu’il possède la majorité des actions ou parce qu’il a été élu. A Valence, pour diriger, il faut réunir une coalition qui possède au total plus d’actions que les autres. Il en résulte une lutte de pouvoir qui se reflète dans les médias et parmi les socios. Cela porte préjudice au club, car le monde extérieur a toujours l’impression qu’il y a des conflits.

Avez-vous des ennemis dans les médias de Valence ?

J’essaie de maintenir une bonne relation avec tout le monde. Le problème est que certains journalistes se croient tout permis. Ils pensent qu’ils ont énormément de pouvoir et j’ai horreur des calomnies. Parfois, le journaliste diffuse des informations inexactes, sans se préoccuper des répercussions que cela peut avoir sur le groupe et l’ambiance de travail.

Vous semblez désormais intouchable après les titres que vous avez offerts au club ?

Aucun entraîneur n’est intouchable, car la monde du football a la mémoire courte. Un titre récompense le travail effectué durant toute l’année. C’est vrai qu’après le titre de 2002, mon travail a été davantage respecté et que j’ai bénéficié de plus de soutien.

Petit joueur, grand entraîneur

Comment un entraîneur quasi inconnu comme vous a-t-il débarqué au FC Valence ?

Je n’avais pas une très grande aura, mais ceux qui se sont penchés sur mon travail en ont déduit que ma trajectoire avait été intéressante. Je sais que beaucoup étaient sceptiques. Si j’avais été un ancien joueur de renom, on m’aurait considéré d’un autre £il. Un entraîneur méconnu paie les pots cassés à la moindre contre-performance. L’ancienne star bénéficie toujours d’une sorte d’idolâtrie. Une anecdote : un ancien grand joueur avait été appelé à entraîner un club de D2. Comme entraîneur, ce fut un désastre. La première saison, son équipe s’est sauvée par le chas de l’aiguille. La seconde, elle n’a pu éviter la descente et la cessation d’activité. Alors que je circulais en voiture, j’ai entendu le commentaire suivant à la radio : – Malgré tout le génie qu’il avait démontré sur les pelouses, ballon au pied, il n’a pas pu sauver son équipe. Ridicule. Jouer et entraîner, ce sont deux métiers différents. C’était un sexagénaire qui n’avait aucun don d’entraîneur, mais comme il avait été un grand joueur, on s’était fait des illusions…

Vous-même, vous n’avez jamais été un grand joueur…

J’ai fait toutes mes classes dans les équipes de jeunes du Real Madrid, et arrivé à l’âge adulte, j’ai été intégré à Castilla, qui était à l’époque l’équipe filiale. Je me suis blessé au genou lors des Universiades de Mexico, en 1979, et j’ai perdu le rythme. On m’a cédé à Parla, un club de D3, puis à Linares. Mon genou a continué à me jouer des tours. L’idée d’entraîner m’a alors effleuré l’esprit. J’avais un diplôme de professeur d’éducation physique et j’ai intégré le staff des entraîneurs de jeunes du Real Madrid. En ce temps-là, Luis Molowny était manager général et Vicente Del Bosque était coordinateur du centre de formation. Un moment, après le limogeage de Benito Floro, je me suis même assis sur le petit banc de l’équipe Première, comme adjoint de Vicente Del Bosque. Je ne m’étais pas mal débrouillé, mais au moment de définir mon avenir, je me suis rendu compte que mes perspectives étaient fort limitées, car je n’avais pas été un ancien grand joueur du Real Madrid.

Au stade Santiago Bernabeu aussi, le passé de joueur a son importance ?

Plus que partout ailleurs. Un CV prestigieux vous ouvre beaucoup de portes. Je suis donc parti à Valladolid.

Valladolid, Osasuna, Extremadura et Tenerife : tel fut votre parcours avant Valence et ces deux titres de champion d’Espagne en trois ans. Incroyable, non ?

Durant l’été 2001, lorsque mon nom était cité en rapport avec Valence, je ne me faisais pas trop d’illusions. D’autres entraîneurs, au passé plus prestigieux, semblaient tenir la corde. Mais, lorsque les choses ont commencé à se préciser, j’ai demandé à mon manager de ne pas tenir compte de l’aspect économique. L’important, pour moi, était de recevoir une chance dans un grand club. C’était un risque, car les exigences allaient forcément être très élevées à mon égard. Et, si l’on n’a pas un contrat en béton, on a de grandes chances de passer à la trappe après quelques semaines à peine, si les résultats ne suivent pas. Les dirigeants ont été très corrects avec moi. Ils n’ont pas cédé à la pression des médias et des supporters, qui réclamaient ma tête après un début de saison difficile : l’équipe n’avait récolté que 3 points sur 15.

Votre contrat arrivera à échéance la saison prochaine. Comment envisagez-vous votre avenir ?

Je ne m’en préoccupe pas encore. Mon seul souci est d’accomplir mon travail correctement. Et si je peux rester de longues années à Valence, j’en serai très heureux. On vit bien, ici.

Toni Casals, ESM

 » Il ne faut pas que LES PORTES DE LA CUISINE restent ouvertes « 

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