VOYAGE en eau trouble

Il s’en est passé des choses au Gaverbeek, depuis que Zulte Waregem a failli être champion le 19 mai 2013. Pourtant, le club a toujours réussi à garder la tête hors de l’eau, disputant même la finale de la coupe et se qualifiant pour les Play-offs1. Regard sur une saison agitée.

Il fait beau en ce dimanche de printemps mais le soleil qui inonde le Parc Astrid ne parvient pas à sécher les larmes de Davy De fauw et de ses équipiers. Pendant trois minutes, après l’ouverture du score par Jens Naessens, ils se sont vus champions de Belgique mais il a suffi d’un coup franc mal tiré par Lucas Biglia et malencontreusement dévié de la poitrine par Mbaye Leye pour faire retomber l’euphorie. Le titre dont tous ces joueurs, Mbaye Leye en tête, avaient tellement rêvé, s’envolait.

Le soir-même, pourtant, des milliers de fans accueillent leurs joueurs en héros sur la grand-place de Waregem, atténuant ainsi la déception. Même Francky Dury, d’habitude si sobre, laisse éclater sa joie jusqu’à ce que, vers minuit, Patrick Decuyper le prenne à part.  » Nous sommes passés tout près et un jour, nous serons champions « , dit le CEO avant d’ajouter qu’il veut délocaliser Zulte Waregem pour en faire le nouveau grand club de la ville d’Anvers. Dury tombe des nues, met le projet en doute mais Decuyper réplique :  » Décision mardi.  » Ce soir-là, en effet, il doit rencontrer une dernière fois le bourgmestre de la Métropole, Bart De Wever, et des investisseurs.

Sport/Foot Magazine prend Decuyper de vitesse en annonçant, à 17 heures, le déménagement du matricule 5381. L’administrateur délégué tente de déminer l’information dans un communiqué rédigé en toute hâte et disant qu’on jouerait certainement encore au Stade Arc-en-Ciel la saison suivante mais à Waregem, la bombe explose. Les supporters sont furieux.  » Qu’on pende Decuyper sur la Grand-Place « , dit Luc Millecamps, l’icône du club.

C’est le début d’un feuilleton dont les médias font largement écho et que même les scénaristes des meilleures séries n’auraient pu imaginer. Le lendemain matin, au cours d’une conférence de presse retransmise en direct par plusieurs sites d’information, Decuyper assure qu’il ne joue qu’un rôle de conseiller dans le projet et que Zulte Waregem restera au stade Arc-en-Ciel. Mais personne ne le croit car Dury, entre-temps parti en vacances à Tenerife, confirme à quelques journaux l’entretien qu’il a eu avec le patron pendant la fête.

Un accord sur du papier de toilette

A ce moment, les observateurs ne sont pas encore au courant de son fameux accord sur du papier toilette conclu quelques mois plus tôt avec le président d’Ostende, Yves Lejaeghere, alors qu’il cherchait un club-satellite : un million d’euros pour 95 % des actions d’Ostende. Les Côtiers ont de bonnes chances de monter et Decuyper ne peut, réglementairement, être propriétaire de deux clubs à la fois. Mais pour lui, il s’agit davantage d’une opportunité que d’un obstacle.

D’autant qu’en mai, il apprend que les tentatives de reconstruire un club anversois sur les ruines de l’Antwerp et du Beerschot ont échoué. Il contacte alors Bart De Wever et lui offre un numéro de matricule, puisqu’il en a deux. Le bourgmestre organise une réunion avec des investisseurs et, à deux jours du match à Anderlecht, tout est arrangé : Ostende et le matricule 31 jouera au Gaverbeek (une fusion sous un nouveau nom) tandis que Zulte Waregem et le matricule 5381 déménageront au Kiel, où auront lieu les rencontres de Ligue des Champions ou d’Europa League.

Mais le mardi, lorsque le site internet de notre magazine donne l’information et que la colère populaire se répand, Decuyper et De Wever sortent leur plan B : le matricule d’Ostende jouera à Anvers et celui de Zulte Waregem restera au Gaverbeek. Yves Lejaeghere, que Decuyper a convaincu de fusionner avec Zulte Waregem au début de la semaine, n’est plus d’accord : Anvers, c’est trop loin. Au cours d’une conférence de presse, il dit ce qu’il a sur le coeur et déchire l’accord conclu sur du papier toilette qui, selon lui, n’a aucune valeur juridique. Sous la pression, Decuyper abandonne ses plans de  » visionnaire.  » Rien ne changera.

A Waregem, pourtant, quelque chose s’est cassé, que ce soit entre les fans et le CEO mais plus encore entre Dury et son patron qui, depuis des mois déjà, entretiennent une relation des plus tendues. Le coach lui reproche plusieurs fois et publiquement de ne pas aimer son club et de ne pas communiquer. Et il craint qu’il n’ait pas retenu la leçon.  » Il est déjà tellement souvent sorti de la piste…  »

Pensant que les choses ne s’arrangeront pas, Dury postule à gauche et à droite. A la mi-juin, Lille s’intéresse à lui et ça tombe bien. Au cours d’un entretien d’embauche, il explique sa vision du football mais finalement, Lille, comme on s’y attendait, opte pour un plus grand nom : René Girard. Dury n’en fait cependant pas mystère :  » Je suis content d’avoir fait parler de moi en France, ça ne fait jamais de tort.  »

L’affaire Malanda

Entre Decuyper et lui, la tension est de plus en plus forte. Surtout lorsque Dury apprend par l’intermédiaire de Sport/Foot Magazine que son adjoint, David Gevaert, protégé de Decuyper, est promu au rang de  » Manager sportif/directeur de carrière « .  » Si c’est le cas, ça pose problème car le département sportif, c’est mon domaine « , dit Dury qui, furieux, téléphone à Decuyper. Ce jour-là, le titre de la fonction sera encore adapté à deux reprises, passant par  » chef du recrutement  » pour finalement être transformé en  » conseiller sportif.  »

La goutte d’eau qui fait déborder le vase, c’est le fait que Decuyper refuse d’augmenter le salaire de Junior Malanda. Lors de la trêve hivernale, déjà, le CEO a fait voler en éclats le rêve du jeune Belge d’évoluer en Premier League, refusant une offre lucrative (4,5 millions d’euros) de Fulham. Tout cela parce que Mogi Bayat lui avait fait miroiter une meilleure proposition d’Udinese… qui n’est jamais venue. Cette fois, c’est Malanda qui perd toute motivation.

Dury tente de recoller les morceaux mais le 1er juillet, le joueur ne se présente pas à l’entraînement et menace de faire appel à la loi de 1978. Neuf jours plus tard, par l’intermédiaire du père de Pelé Mboyo, il atterrit à Roulers, où Didier Frenay fait la pluie et le beau temps. L’agent de joueurs l’accueille à bras ouverts, lui permet de s’entraîner et même de disputer un match amical avec l’équipe première.

Lorsque Jonathan Delaplace part à Lille et que Dury se retrouve à l’entraînement avec des joueurs en test du portefeuille de Mogi Bayat ou de John Bico, tous deux amis de Decuyper, l’inquiétude quant à la qualité des renforts grandit. Début juillet, lors de la présentation de l’équipe et en l’absence de son CEO, Dury s’adresse en ces termes aux sponsors :  » Vous pouvez m’aider : on ne peut pas rouler en F1 sans avoir de bons pneus.  »

Au grand soulagement de Dury, le 30 juillet, jour du premier match européen face au PSV, l’affaire Malanda connaît un dénouement surprenant : le médian signe pour cinq ans à Wolfsbourg qui le loue pendant au moins un an à son ancien club. La somme de transfert est fixée à deux bons millions d’euros, dont un peu plus de la moitié seulement vient garnir les caisses de Zulte Waregem et une bonne partie file dans la poche de Frenay – ce qui était nécessaire si Decuyper voulait gagner quelque chose avec Malanda.

Hazard sans brassard

Deux semaines plus tôt, les supporters de Zulte Waregem avaient déjà poussé un ouf de soulagement lorsque le club avait annoncé fièrement que, malgré l’intérêt du Racing Genk et d’Anderlecht, il pourrait conserver Thorgan Hazard pendant un an. Mais deux jours après la défaite au PSV, il faisait état d’un changement de capitaine, Hazard reprenant le brassard de Davy De fauw. Une décision prise  » de commun accord « , disait-il.

Ce que Karel D’Haene démentait le lendemain en conférence de presse, confirmant ce que Sport/Foot Magazine avait écrit le matin même sur son site internet : ce changement de capitanat n’était pas du tout du goût des joueurs. De fauw, profondément touché, envisageait de partir, Leye voulait boycotter le match contre Courtrai et affirmait sur Twitter que cette saison était, à coup sûr, sa dernière au Gaverbeek.

Le nouveau rôle de Hazard résultait d’une exigence de son agent, John Bico, qui voulait également voir le joueur évoluer dans l’axe. Selon lui, ce n’est qu’à ces conditions qu’il avait pu convaincre Chelsea de le prêter à Zulte Waregem pour une saison supplémentaire. Selon Decuyper et Bico, Francky Dury aurait marqué son accord au cours d’une réunion à Zaventem mais aujourd’hui encore, l’entraîneur conteste : il avait juste dit qu’il parlerait de cela en temps voulu avec De fauw.

Le 27 juillet, pour le premier match de championnat, Hazard est titulaire mais c’est De fauw qui porte le brassard. Bico est furieux. Le lendemain, il menace clairement : si Hazard n’est pas capitaine au PSV trois jours plus tard, il s’en ira. Le matin même du match, Dury se voit obligé d’annoncer la nouvelle à De fauw, le rassurant toutefois : ce soir-là, c’est encore lui qui portera le brassard. Ce timing malheureux n’est sans doute pas pour rien dans une défaite (2-0) qui aurait pu être plus lourde encore.

Deux jours plus tard, De fauw et D’Haene se réunissent avec Decuyper et Bico. Ce dernier, encore plus furax qu’après le match au Lierse, n’en démord pas. De fauw craque sous la pression, les joueurs ne sont pas contents mais le club officialise la nouvelle. Quelle n’est pas, dès lors, la surprise du public de voir que le samedi, contre Courtrai, ce n’est pas Hazard mais bien De fauw qui porte le brassard. Avant la théorie, Thorgan a parlé à son équipier puis à Dury et au groupe, annonçant qu’il ne voulait pas de ce brassard et élisant De fauw en véritable capitaine.

Le scalp du Standard

Entre-temps, entre Dury et Decuyper, c’est la guerre. Furieux, le CEO accuse devant quelques collaborateurs Dury d’avoir fomenté un coup d’Etat au sein du noyau, ce qui constitue une faute professionnelle. Il contrôle le GSM du coach, le convoque par recommandé devant le conseil d’administration (le lendemain) et ne manque pas de lui faire porter le chapeau auprès des joueurs, des supporters et des journalistes. Sans succès car, après la victoire face à Courtrai (1-0), les supporters acclament Dury et sifflent Decuyper. Même l’étonnant soutien apporté par Leye et De fauw à Decuyper – pour les joueurs, le coach est coupable également – n’y change rien.

Lors de la réunion du conseil d’administration, qui a eu lieu avant le match, on constate que le fossé entre Dury et Decuyper est énorme. La question qui se pose désormais est celle-ci : qui démissionnera le premier ? La réponse tombe plus vite que prévu : le vendredi, le CEO s’en va, mis sous pression par Willy Naessens et le conseil d’administration car, selon des sources proches du club, Decuyper n’aurait jamais démissionné de lui-même. Un peu plus tôt dans la journée, une réunion  » constructive  » avec Dury a eu lieu.

Toutes ces histoires ont un impact sur le vestiaire. Hazard, dont la période de préparation a été écourtée, manque de fond. De fauw n’est que l’ombre de lui-même tandis que Leye et Franck Berrier, les frères ennemis de la saison précédente, veulent partir. Un club propose 500.000 euros pour le Sénégalais qui, fin août contre Ostende, se blesse gravement au genou.

Encore un sale coup pour Zulte Waregem qui n’atteint que rarement son niveau mais refuse de baisser les bras : 1-0 face à Courtrai après l’affaire du brassard, une égalisation en fin de match après une excellente première mi-temps au Club Brugeois (1-1) et, quatre jours après la blessure de Leye (1-1 à Ostende), une qualification pour les poules de l’Europa League à Apoel Nicosie (1-2, but de Naessens à la 90e).

C’est le signal d’un changement de cap car le dimanche suivant, après un come-back spectaculaire, Zulte Waregem bat Anderlecht (4-3) avec un but inscrit à la 91e minute par… Berrier, qui dispute son dernier match avant son départ pour Ostende.

Tout au long de la saison, le club prendra des coups, se relèvera et en donnera également. Il le doit au caractère fort de gars comme De fauw, D’Haene, Skulason et même Leye, bien qu’il soit blessé. La meilleure preuve en est fournie lors des matches à Kazan et face au Standard, début octobre. Le jeudi, en deuxième mi-temps, les Russes balayent Zulte Waregem (4-0). Les joueurs sont abattus mais quand Francky Dury tente de les remotiver avant la venue du Standard, ils répondent spontanément : -Coach, on va les battre. Et 90 minutes plus tard, ils infligent au leader sa première défaite de la saison.

Un contrat de 10 ans pour Dury

Le même scénario se produit un mois plus tard : le 1-3 face à Maribor et la quasi-certitude d’une élimination européenne est suivi d’une victoire en Slovénie (0-1). Thorgan Hazard, qui en est déjà à neuf buts et autant d’assists en championnat, marque pour la première fois en Coupe d’Europe. Preuve de la bonne ambiance qui règne dans le groupe : à l’aéroport, il achète trente pizzas pour ses équipiers et le staff.

Dans les couloirs, après le départ de Decuyper, le calme est revenu. Naessens l’a remplacé au poste de CEO, Carl Ballière est devenu président et, à la mi-octobre, Dury signe un contrat de dix ans comme responsable sportif. La direction veut éviter tout risque de voir son coach partir du jour au lendemain. Et à en croire ce qu’il déclare la semaine suivante à Sport/Foot Magazine, cela ne risque pas de se produire de sitôt.  » Si un club me veut, il va devoir racheter mon contrat à Zulte Waregem. Je ne pense pas que quelqu’un dépense autant d’argent. Et je ne crains pas non plus d’être limogé même si, un jour, nous terminons onzièmes.  »

L’équipe ne joue pas très bien en déplacement mais elle se montre intraitable à domicile. Le Gaverbeek coule à nouveau des jours heureux lorsque, à la mi-décembre, John Bico réapparaît. Après l’affaire du brassard, il a un vieux compte à régler avec Francky Dury. Il approche Herman Van Holsbeeck et lui demande si Hazard intéresse encore Anderlecht. Celui-ci répond par l’affirmative et Bico, avec un coup de pouce du journal Het Laatste Nieuws et la collaboration de Mogi Bayat ainsi que de l’avocat Laurent Denis, fait tout pour pousser Hazard vers Bruxelles pendant la trêve.

Le joueur affirme également vouloir partir mais Zulte Waregem s’en tient au contrat signé avec Chelsea et valable jusqu’en fin de saison. Aucune clause ne permet aux Blues ou à un autre club de disposer du joueur avant cela.  » C’est Zulte Waregem qui a le dernier mot « , confirme Marina Granovskaya (personnage le plus important de Stamford Bridge après Roman Abramovich), que Ronny Schelfout joint par téléphone. Malgré des manoeuvres d’intimidation de Bico et de Bayat et un nouveau feuilleton médiatique, Zulte Waregem ne change pas d’avis. Anderlecht en a marre et, au lendemain de la remise du Soulier d’Or à Hazard, le joueur lui-même annonce qu’il terminera la saison au Gaverbeek.

Zulte Waregem est applaudi de partout mais paye la note de ce nouveau tsunami. Les joueurs sont éprouvés mentalement et physiquement (aucune équipe n’a disputé plus de matches qu’eux), Malanda est parti à Wolfsbourg, Habib Habibou joue désormais à Gand et Hazard connaît fort logiquement un passage à vide. Résultat : 12 sur 27 après la trêve. La qualification pour les play-offs I n’est cependant jamais remise en cause et, pour la deuxième fois de son histoire, Zulte Waregem se qualifie pour la finale de la Coupe de Belgique. C’est la récompense des guerriers qui, tels le roseau, ont souvent plié mais jamais rompu.

PAR JONAS CRETEUR – PHOTOS: BELGAIMAGE

Zulte Waregem aura le dernier mot dans l’affaire Hazard malgré les manoeuvres d’intimidation de John Bico, Mogi Bayat et Laurent Denis.

 » Qu’on pende Patrick Decuyper sur la Grand-Place.  » Luc Millecamps, icône du club, au plus fort de la tourmente

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