VOYAGE EN BALLON

Assis sur le banc de touche de Bernabeú, Zinédine Zidane a décidé de faire du Real une équipe de possession. Radicale. Le début d’une route séduisante, mais pleine d’incertitudes. Heureusement, le guide est un dieu vivant.

Quand il a filmé To Rome with love, Woody Allen n’a pas pris la peine d’insérer le stadio Olimpico dans sa visite amoureuse de la Ville Éternelle. Une injustice réparée par la communion chaleureuse entre Zinédine Zidane et Cristiano Ronaldo après l’ouverture du score madrilène face à la Roma. Comme si le Portugais, pas franchement réputé pour ses célébrations collectives, avait tenu à rendre un peu d’amour à celui qui lui en donne à chaque conférence de presse depuis plus d’un mois.

Dans les bras de Zizou, sur la touche romaine, il y avait aussi Sergio Ramos. Un trio qui symbolise la nouvelle harmonie qui règne dans la Maison Blanche : un coach adoubé par son crack et son capitaine. La prise de pouvoir de Zidane a débuté par des avalanches de buts et des déclarations d’amour. Un mois de Saint-Valentin conclu par de premières disputes, car Diego Simeone n’est pas du genre à jouer les Cupidon.

Ancien commandant de bord de la Casa Blanca, Vicente Del Bosque racontait un jour que  » le football, c’est la technique, l’organisation du jeu… mais la vitalité et l’énergie sont des choses capitales. Pourtant, on les laisse toujours au second plan.  » Zidane a choisi de les mettre sur le devant de la scène. Tous les choix du nouveau pensionnaire du banquillo de Bernabeú semblent dictés par l’installation d’une nouvelle énergie positive dans le vestiaire madrilène. Zizou a jeté la calculatrice de Rafael Benitez à la poubelle, et l’a remplacée par un bouquet de roses.

Les conférences de presse données par le Français à Valdebebas ressemblent à des lettres d’amour, avec un sourire ravageur en guise de stylo pour raconter comment Cristiano  » joue à un niveau incroyable  » et est  » meilleur que Messi « , ou expliquer que Luka Modric  » apporte énormément à l’équipe  » et  » fait des choses impressionnantes avec son extérieur du pied.  » Quelques mois plus tôt, Rafa Benitez expliquait que Ronaldo  » faisait partie des meilleurs « , sans le considérer comme le numéro un, et demandait à Luka Modric d’utiliser moins souvent son extérieur du pied en match.

DE CASEMIRO À KROOS

La confiance est le chantier principal de Zidane. Il ne manque jamais une occasion de rappeler à ses joueurs à quel point ils sont bons, et a installé un style de jeu qui ne peut être pratiqué que par les meilleurs :  » Les gens qui m’ont connu comme joueur savent que j’aime le jeu. J’aime jouer, j’aime avoir la possession. Et quand tu ne l’as pas, la meilleure façon de la récupérer est de presser. Ne pas laisser l’adversaire jouer. L’idée, c’est de toujours jouer dans le camp adverse.  »

Les paroles ressemblent à un discours de campagne électorale. Pourtant, les premiers chiffres lui donnent raison. De 57 % sous Benitez, la possession de balle moyenne en Liga est passée à 63,4 % lors des premiers matches du règne de Zidane. Mieux que le Barça. En Europe, seuls Paris et le Bayern ont de meilleurs chiffres. Pour la première fois depuis le passage de José Mourinho dans la capitale espagnole, la possession est devenue une donnée non négociable à Madrid.

Certes, Carlo Ancelotti avait déjà travaillé la qualité des attaques placées de son noyau, mais le technicien italien n’a jamais contesté le ballon à une équipe qui le voulait vraiment, préférant profiter des brèches ouvertes par l’adversaire. Zidane, lui, ne négocie pas avec l’équipe d’en face. Le sort du ballon ne doit dépendre que de ses hommes. Quelle meilleure façon de leur montrer qu’il croit en eux ?

Pour installer son toque au Bernabeú, ZZ a frappé fort d’entrée en écartant celui qui était devenu le garant de l’équilibre de Rafa Benitez, le Brésilien Casemiro. Depuis l’arrivée du Français sur le banc de touche, le milieu défensif n’a eu droit qu’à vingt minutes à la fin d’une rencontre déjà jouée face à l’Espanyol. À sa place, Zinédine a installé Isco au poste de milieu intérieur gauche de son 4-3-3 très ancelottien, et confié le poste devant la défense à Toni Kroos.

Contrairement à Xabi Alonso, qui occupait cette position de mediocentro lors de la conquête de la fameuse Décima, l’Allemand n’est pas une pièce adaptable. À Munich, Pep Guardiola l’avait déjà installé à cette position, car il voyait en lui un homme capable d’installer sa possession dans le camp adverse, de réguler le rythme du jeu des siens sans jamais perdre le ballon.  » Toni est parfait pour le Real Madrid « , raconte d’ailleurs Zidane à Bild.  » Depuis qu’il est ici, notre style a changé. C’est une pièce qui nous a manqué pendant longtemps, et qui a parfaitement embrassé la philosophie du Real.  »

 » Dis-moi qui est ton mediocentro et je te dirai comment tu joues « , a l’habitude de dire l’entraîneur espagnol Juan Manuel Lillo. En passant de Benitez à Zidane, le Real est aussi passé de Casemiro à Kroos. Et le visage de l’Allemand, systématiquement rouge d’essoufflement en début de saison, semble à nouveau serein. Lors des sept derniers matches du Real, Toni a dépassé six fois les cent touches de balle. Un style simplement résumé par James Rodriguez :  » Le changement a été bénéfique pour tous, parce que Zidane a apporté du jeu. Avec lui, tout le monde joue plus.  »

LA CALCULATRICE ET L’AUTEL

La possession semble faire partie de la stratégie du plaisir mise en place par Zizou. Après un Benitez qui pousse la méthode à l’extrême, les éléments offensifs de la Casa Blanca retrouvent le bonheur de l’improvisation. Isco, qui tourne à 4,5 dribbles par match depuis l’arrivée de Zidane (mieux que Lionel Messi ou Douglas Costa), explique que son nouvel entraîneur lui a donné  » la liberté de jouer au football, de faire ce que je savais faire sur le terrain tout en maintenant une certaine responsabilité défensive.  »

L’Andalou appelle le ballon sans cesse entre les lignes et se démarque à chaque instant pour faire en sorte de pouvoir le recevoir. Un rôle qui le place souvent parmi les cinq joueurs madrilènes à toucher le plus le ballon, et qui permet au Real d’installer sa possession plus haut dans le camp adverse. Contrairement à un Benitez presque allergique à l’incertitude du dribble, Zidane offre beaucoup de liberté créative à ses joueurs. Florentino Perez a remplacé un scientifique par une divinité.

Car l’autre atout de Zidane, c’est évidemment cette indescriptible aura qu’il exerce sur ses hommes. Des joueurs qui ont, pour la plupart, eu leur actuel entraîneur en poster dans leur chambre d’adolescent.  » Quand Zidane parle, tout le monde veut absorber ce qu’il dit « , explique Luka Modric. Lorsque le Français n’était qu’un entraîneur-adjoint, Angel Di Maria admettait déjà que  » ce que te dit Zidane te touche beaucoup plus vite que ce que te dit un autre entraîneur. Parce que c’est Zidane.  »

Un pouvoir mystique détonnant à l’heure où la religiosité semble avoir quitté la société, mais un pouvoir dont Zinédine tire profit pour imposer des méthodes de travail d’un autre temps à un groupe qui avait pris l’habitude de travailler avec les coaches les plus modernes de leur corporation. Les fameux  » entraînements physiques intégrés  » ont laissé leur place à des séances qui sentent bon l’Italie des nineties, avec des sessions physiques de 30 à 40 minutes.

 » On faisait des possessions et des exercices avec le ballon, mais nous savions exactement où nous en étions sur le plan physique « , a récemment raconté Rafa Benitez à BT Sport.  » Maintenant, ils courent, parce qu’il faisait ça à la Juventus.  » Un énorme travail foncier en plein mois de janvier dont les joueurs ne semblent pas se plaindre, à l’image d’un Raphaël Varane qui explique que  » cette composante physique doit nous donner la possibilité de jouer plus haut sur le terrain.  » Une préparation à l’italienne pour mieux pouvoir jouer un football à la brésilienne. Où l’inspiration est reine.

Les joueurs auraient sans doute mené la fronde si ces sessions éreintantes avaient été dirigées par un nobody. Mais là, c’est Zidane.  » Parfois, quand je le regarde, je reste avec la bouche ouverte « , avance Alvaro Arbeloa. Le groupe rechigne d’autant moins qu’il profite de cette nouvelle liberté qui lui est offerte sur le terrain. Zidane préfère l’inspiration à la méthode. Oubliées les  » triangulations de pression offensive  » d’un José Mourinho aux airs de Pythagore, et place au flair :  » J’essaie de ne pas étouffer Luka (Modric, ndlr) avec beaucoup de consignes. Il sait quoi faire avec la balle et sait ce qu’il doit faire sur le terrain. Avant le match, je lui parle seulement de deux ou trois détails défensifs.  »

RONALDO CONTRE LE TEMPS

Mais la liberté zidanesque a ses limites. L’Atlético de Diego Simeone les a affichées au grand jour, asphyxiant la possession madrilène pour la priver de solutions. Un style de jeu aussi exigeant dans le pressing est complexe à installer au coeur de l’hiver, là où les candidats à la Champion’s sortent généralement de leur phase de rodage pour enfin tourner à plein régime. Zidane lutte contre le temps, et son combat est perdu d’avance pour installer un pressing cohérent et une possession plus réfléchie.

Varane semble souvent en quête de solutions qui devraient être automatiques à la relance, et les moments où Kroos sort seul au pressing sans être suivi par un mouvement collectif sont trop fréquents pour ne pas être punis quand le niveau de l’adversaire lui permet de regarder le Real dans les yeux sans trembler.

Ce Real souffre encore de plusieurs maladies que même les pouvoirs mystiques exercés par Zidane ne suffisent pas à soigner. L’équipe manque de profondeur, car  » la plupart des joueurs ne demandent le ballon que dans les pieds « , explique Jorge Valdano sur la Cadena Ser. Seul Dani Carvajal propose des courses de rupture en l’absence de Gareth Bale, car Marcelo aime conduire le ballon comme un numéro 10.

Isco, lui, fait plus de décrochages que d’appels en profondeur, Karim Benzema est un meneur de jeu placé en pointe et Cristiano a métamorphosé son jeu pour devenir plus complet, perdant ainsi un peu des capacités qui faisaient de lui le meilleur contre-attaquant du monde sous la houlette de José Mourinho. Et Keylor Navas, souverain sur sa ligne,manque de personnalité et de justesse balle au pied pour être le dernier rempart d’une équipe qui a érigé la possession en dogme.

Le travail à accomplir reste colossal, mais Zidane dispose d’armes assez puissantes pour gagner des matches sans être prêt. Et celui qui gagne des matches gagne du temps. Parce que les éléments offensifs du Real sont capables de faire quatre ou cinq fois par match des combinaisons ou des actions individuelles que certains ne peuvent réaliser qu’une fois sur une saison. Et parce qu’il y a Ronaldo.

 » Sa constance et son rendement nous ont permis de surmonter plusieurs moments critiques dans l’organisation de notre jeu « , écrit Carlo Ancelotti à propos du Portugais dans ses Secrets d’entraîneur.  » Cristiano a atténué les difficultés que l’équipe rencontrait en début de saison en nous maintenant toujours dans la course au sommet grâce à ses exploits.  »

Depuis son arrivée à Madrid, CR7 tourne toujours à plus d’un but par match. Un atout dans la course contre le temps. Un grain de sable qui remonte sans cesse vers le haut du sablier.

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Quand Zidane parle, tout le monde veut absorber ce qu’il dit.  » – LUKA MODRIC

 » L’équipe manque toujours de profondeur, car la plupart des joueurs ne demandent le ballon que dans les pieds.  » – JORGE VALDANO

De 57 % sous Benitez, la possession du ballon moyenne du Real en Liga est passée à 63,4 % avec Zidane. C’est mieux que le Barça.

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