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VOYAGE AU BOUT DE LA NUIT

Le vol 2933 n’atteindra jamais Medellín. Il se trouvait pourtant à une trentaine de kilomètres du but. A son bord, l’équipe de Chapecoense s’apprêtait à réaliser un tout autre objectif : remporter la première Copa Sudamericana de son histoire.

« Mes chers amis, je ne peux me résoudre à vous dire bonjour. Car ce n’est un bon jour pour personne. C’est plutôt un très mauvais jour…  » Galvão Bueno a les yeux humides. Le commentateur de TV Globo ouvre un direct qui doit durer toute la journée. La nuit précédente, celle du 28 novembre, l’avion qui transporte l’équipe de Chapecó s’écrase en Colombie. Les premières informations parlent de seulement sept survivants. L’image contraste fatalement avec la liesse de l’Arena Condá cinq jours plus tôt.

Les Verdão tiennent le zéro contre San Lorenzo suite à un match dantesque. Dans les vestiaires, staff et joueurs dansent et chantent leur joie. Le partage à l’aller (1-1) leur permet d’accéder à la finale de la Copa Sudamericana, équivalent de notre Europa League, mais surtout de la rencontre la plus importante de l’histoire du club. En huitièmes déjà, ils battent un autre grand d’Argentine : Independiente. Le chef d’orchestre est aux anges. Caio Júnior vit sa première saison à la tête de  » Chape « . Il prononce des mots pour le moins prémonitoires… « Si je devais mourir aujourd’hui, je mourrais heureux.  »

6 SURVIVANTS SUR 77 PASSAGERS

L’horloge pointe sur 22h34 quand l’avion de LaMia se crashe dans la localité montagneuse de La Unión. L’aéroport international de José María Córdova se situe à une trentaine de kilomètres. Il dessert Medellín, là où Chapecoense doit affronter l’Atlético Nacional. L’appareil, coupé en deux, n’explose pas. Les mauvaises conditions climatiques et l’endroit, particulièrement boisé, n’aident pas les secours. Alors qu’ils s’apprêtent à interrompre les recherches, ils entendent des cris. Ceux d’Hélio Neto. Le défenseur est secouru vers 4h40 du matin, plus de 6 heures après l’accident.

Au total, les sauveteurs retrouvent 7 rescapés sur 77 passagers et non 81, 4 personnes n’ayant pas effectué le voyage. Parmi elles, le vice-président du club, Ivan Tozzo, qui dit avoir eu  » un mauvais pressentiment « , et le fils du coach, qui a oublié son passeport… La liste des victimes comprend des membres de l’équipage, 20 journalistes, 18 joueurs et l’ensemble de la délégation du club. Quatre joueurs survivent. Transféré d’urgence à l’hôpital, Danilo, portier de l’équipe depuis 2013 et héros de la demi-finale, parvient à téléphoner à sa femme. Avant de succomber à ses blessures et de porter le total à 71 morts.

Premier sauvé, Alan Ruschel souffre de lésions à la colonne vertébrale. Son opération réussie de la moelle épinière devrait lui permettre de remarcher. Jackson Follman ne devait, lui, pas se trouver dans l’avion. Il remplaçait Marcelo Boeck, le Belgo-Brésilien habituel deuxième gardien, dispensé pour son… anniversaire. Follman subit une amputation de la jambe droite. Atteint d’un traumatisme crânien et de fractures ouvertes, Neto devrait pouvoir rejouer au football. L’hôtesse Ximena Suárez, le technicien Erwin Tumiri et le journaliste Rafael Hanzel, qui souffre d’une fracture de la jambe, sont saufs.

Tumiri donne même une interview à Caracol Radio. Il dit devoir sa survie au protocole de sécurité :  » Je me suis mis en position foetale.  » Il cale une valise entre ses pieds, geste qui sauve ses membres inférieurs. Suárez dit, quant à elle, simplement se souvenir d’une  » coupure d’électricité puis, plus rien…  » Ce que confirme Tumiri :  » La coupure a provoqué une panique générale. Beaucoup de gens se sont levés de leurs sièges par désespoir et se sont mis à pleurer. C’était affreux…  » Les experts avancent donc d’abord l’hypothèse de  » pannes électriques « .

L’AUTONOMIE DE L’AVION DÉPASSÉE

Mais si l’on retrouve rapidement la boîte noire, une telle investigation dure des mois. Certains éléments permettent néanmoins d’affirmer que l’autonomie de l’avion a été poussée au-delà de ses limites. A l’approche de Medellín, la tour de contrôle de l’aéroport refuse au vol 2933 d’atterrir en urgence. Elle demande au pilote, Miguel Quiroga, de tourner dans les airs. Un autre avion en défaillance occupe déjà la piste.

Mais Quiroga veut et doit atterrir. Il avoue  » un problème de carburant « , sans pour autant s’être déclaré en état d’urgence. Ce qu’il finit par faire, puis perd son sang-froid :  » Nous sommes en panne électrique complète ! Aidez-nous ! Autorisation pour accéder à la piste !  » Quelques instants plus tard, l’avion disparaît des radars et la communication est rompue.

Les spécialistes planchent alors sur un hypothétique manque de combustible. L’équipe, qui venait de perdre contre Palmeiras (1-0), devait rallier directement Medellín depuis São Paulo à bord d’un A320 bolivien. Mais des accords internationaux interdisent un tel périple, qui doit être fait au sein d’un appareil immatriculé dans son pays d’origine ou d’arrivée. Comme le directoire de  » Chape  » a noué des liens avec LaMia, il décide d’une escale au camp de base de la compagnie, en Bolivie, à Santa Cruz de la Sierra.

De là, ils sont rejoints par les invités et les 21 journalistes. LaMia n’a plus qu’un appareil en circulation : le fameux Avro RJ85, RJ signifiant  » Regional Jet « . Son autonomie se limite à 2965 kilomètres, soit une dizaine de moins que l’itinéraire. Le plan de base comprend donc logiquement deux arrêts possibles : à Cobija, en Bolivie, ou à Bogotá.

Mais le vol prend du retard et Quiroga, aussi co-propriétaire de la compagnie dont le père est déjà décédé lors d’un crash, décide de ne pas se ravitailler… Reste à savoir pourquoi. Si l’avion n’explose pas, c’est parce qu’il n’a plus de carburant. Deux semaines plus tôt, il transportait encore l’Albiceleste de Leo Messi. LaMia s’est spécialisée dans ce type de services.

Dans un publireportage des Boliviens de Gigavision, tourné juste avant le décollage, l’un des membres du staff de Chapecoense rappelle que le même appareil les a conduits vers la victoire sur Barranquilla en quarts.  » C’est avec joie que nous reprenons cet avion aujourd’hui « , lance-t-il, innocemment jovial.  » En espérant qu’il nous porte chance comme la dernière fois !  » Après 2h55 de vol, l’effet inverse se produit…

UN LEICESTER BRÉSILIEN

Chapecó ne vit plus qu’au rythme des oraisons funèbres. Les cierges allumés dans les églises ou les chapelles de fortune tentent tant bien que mal de réchauffeur les coeurs meurtris. Le gouvernement brésilien décrète trois jours de deuil national. Le Brésil, qui voue un culte sans faille au ballon rond, tourne au ralenti.

 » Chacun d’entre eux était une partie de nous. Ils nous représentaient nous, notre passion, notre amour « , pleure une supportrice au micro d’Infosport +, vareuse des défunts Verdão sur les épaules.  » Les perdre dans ces circonstances a détruit la ville et chacun d’entre nous…  » Les 170.000 pensionnaires de la bourgade de l’État de Santa Catarina, à 450 kilomètres de Porto Alegre, vivent une véritable tragédie.

Si le club fondé en 1973 accède à la Série A dès 78, il retombe aussitôt dans les divisions inférieures. Un retour en Série D en 2009, trois saisons en C, un titre de vice-champion de l’antichambre et revoilà  » Chape  » parmi l’élite après une remontée fantastique orchestrée en cinq printemps. Mieux, des coopératives locales le sauvent de la faillite en 2003.

La région de Chapecó, fortement rurale, se solidarise autour de l’équipe. Les maintiens des deux précédents exercices, dont celui de l’année passée pour 5 unités, le qualifient pour la Copa Sudamericana. Sa première dans l’édition 2015 se solde déjà par un exploit, stoppé en quarts par River Plate.

 » Ils étaient de véritables héros, aussi bien dans leur ville, où ils étaient restés très proches des habitants, que dans tout le pays, qui s’était passionné pour leur épopée dans cette épreuve internationale « , regrette Marcia Vieira, du quotidien O Dia pour RMC Sport. Elle perd plusieurs amis dans le drame.

 » C’était une équipe de jeunes, modestes, admirés pour leur courage et leur enthousiasme… La symbolique ajoute à la dramaturgie.  » Chapecoense était devenu leur  » Leicester « , ce petit poucet auquel on s’attache de manière folklorique.

LE TITRE EN GUISE D’HOMMAGE

Depuis leur escale bolivienne, les Verdão adressent un message à leurs fans :  » Ça part de là, on y est ! On va gagner pour vous !  » La vidéo, postée par Felipe Machado, ami de Dante croisé lors d’un essai à Charleroi, constitue les dernières images de la bande. Quelques jours plus tôt, le capitaine Cléber Santana s’exprime par le même biais.

L’ancien de l’Atlético Madrid déclare sa flamme pour  » Chape  » :  » Peu importe le nombre de vies que j’ai à vivre, je t’aimerai dans chacune d’elle…  » Parti réaliser son  » rêve  » au Qatar en 2014, Bruno Rangel ne tient pas six mois.  » Je retourne là où je suis vraiment heureux « , déclare le revenant, futur meilleur buteur de l’histoire du club. Quant à Tiaguinho, il apprend sa future paternité une semaine avant l’accident qui les voit tous périr.

 » Il y a trois jours, j’étais à côté d’eux sur le terrain et je leur souhaitais bonne chance pour cette grande finale qu’ils allaient disputer. Ce sont des amis qui resteront dans nos coeurs jusqu’à la fin de nos jours.  » Fabiano Leismann ne peut contenir son chagrin. Formé au club et originaire du coin, le désormais défenseur de Palmeiras tient la main des joueurs, membres du staff et proches des défunts restés à quai.

Ensemble, ils forment un cercle au milieu de l’antre bondé des Verdão. L’endroit résonne de chants et rayonne de briquets brandis par les supporters. Une veillée plus grandiose encore se tient dans l’enceinte de l’Atlético Nacional de Medellín. 45.000 personnes à l’intérieur, 100.000 autres dans les rues adjacentes.

A l’initiative des Colombiens, la Copa Sudamericana va revenir à Chapecoense. Toutes sortes d’hommages pleuvent depuis plus d’une semaine. Ivan Tozzo, devenu président malgré lui, refuse de jouer la dernière journée du championnat prévue dimanche (voir encadré). Le club, neuvième, est déjà sauvé.

Les funérailles des victimes se déroulaient samedi au stade, plein à craquer malgré une pluie battante. Dans un dialecte indien, Chapecó signifie  » le modeste endroit d’où le chemin de la ferme s’aperçoit « . Espérons que  » Chape  » y trouve la force de cultiver les semences d’un avenir plus radieux…

PAR NICOLAS TAIANA – PHOTOS BELGAIMAGE

Le vol ayant pris du retard, le pilote aurait décidé de ne pas procéder à un ravitaillement. Une erreur fatale.

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