VOYAGE AU BOUT DE L’ENNUI

Paradoxal : les Belges ont gagné leur deux matches mais ils en sortent fragilisés, tant le jeu était mauvais.

Six sur six. Objectif atteint. Il ne nous manque plus que de valider notre ticket pour l’EURO 2016 à Andorre et on retrouvera une compétition à laquelle on n’a plus goûté depuis 2000 et pour laquelle on ne s’est plus qualifié depuis 1984 puisqu’on l’organisait au changement de millénaire. Bref, une formalité. La Belgique devrait donc baigner dans la félicité d’une qualification toujours plus compliquée à atteindre en pratique qu’en théorie.

Et pourtant, ces deux victoires ont généré davantage de questions que de certitudes. En fait, de certitude, nous n’en avons qu’une : ces joueurs ont bien beaucoup de talent. Mais à force de se reposer dessus, il n’y a pas beaucoup de projet collectif. Mais qu’est-ce qui manque à cette équipe pour enthousiasmer ?

UN STATUT À FAIRE VALOIR

Joue-t-on tellement moins bien que lors des qualifications précédentes qui avaient généré autant de ferveur ? Il faut d’abord replacer le débat dans son contexte. Avant le Mondial, la Belgique ne connaissait pas encore sa valeur réelle. Les joueurs étaient inexpérimentés sur le plan international, n’avaient connu que des désillusions avec l’équipe nationale ; le peuple belge, sevré de tournoi pendant 12 ans, s’en foutait du jeu. Il ne regardait que le classement.

Aujourd’hui, cela ne suffit plus. Cette 2e place mondiale, sournoise parce que trompeuse, a renforcé les attentes. Les adversaires de ce groupe qualificatif aussi. La Belgique a sans doute obtenu un des groupes les plus faciles de son histoire. Enfin, la reconnaissance grandissante de nos joueurs au sein de leurs clubs respectifs nous pousse à toujours en vouloir plus. Alors qu’ils battent des records en somme de transferts et qu’ils évoluent véritablement dans les meilleurs clubs du monde, on est en droit de rêver et d’analyser ces éliminatoires différemment des précédentes.

A cela s’ajoute également le style de jeu. D’outsiders, nous sommes devenus favoris. Là où on pouvait profiter des espaces en contre – et cela avait prodigieusement bien marché en Serbie et en Croatie -, on doit désormais contourner des défenses renforcées. Les succès pénibles acquis contre l’Ecosse ou la Macédoine lors des éliminatoires pour la Coupe du Monde auraient déjà dû nous ouvrir les yeux. Dans cette configuration, les Diables peinent à trouver la faille et cela s’est vérifié durant toute la campagne actuelle.

C’était un des défis du sélectionneur national il y a un an : transformer le jeu de son équipe pour répondre à cette domination. Comme cela ne se fait pas en un jour, Marc Wilmots avait bénéficié d’une certaine mansuétude après les partages en Bosnie (1-1) et contre le Pays de Galles (0-0). Un an plus tard, son chantier n’a pas beaucoup avancé. Et à part les résultats, rien ne démontre qu’il est parvenu à faire de cette équipe de contres une équipe dominante.

Alors, après le contexte, revenons-en maintenant à la réponse : oui, on joue moins bien qu’il y a deux ans. Les déplacements en Ecosse, en Croatie ou en Serbie avaient généré bien plus de jeu. Lors de cette campagne, personne ne peut ressortir un match-référence. Seul l’amical face à la France permet d’être enthousiaste pour l’avenir.

UN MANQUE DE RYTHME ET D’ENVIE FLAGRANTS

Pourtant, ce qui frappe le plus les esprits depuis plusieurs mois, c’est le manque d’envie. Cette foi qui soulève les montagnes nous avait permis de réaliser un parcours quasiment parfait avant la Coupe du Monde. Elle nous avait également conduits à renverser la situation face à l’Algérie, ou à y croire jusqu’au bout face à la Corée, la Russie ou les Etats-Unis.

Cette force collective a disparu. La faute à qui ? Un peu à Wilmots dont il s’agissait du point fort. Si les détracteurs de Wilmots se sont souvent focalisés sur ses qualités de tacticien, ils ont toujours reconnu sa force de meneur d’hommes. C’est lui qui doit mobiliser ses joueurs. Or, on a souvent l’impression d’assister à des matches amicaux, joués sur un faux rythme, lors desquels les joueurs ne vont pas vraiment au duel et ne multiplient pas les courses. Même Chypre nous a paru plus concerné ! Certes, les Chypriotes n’ont que cette valeur-là à nous opposer mais quand même…

Si l’impuissance du sélectionneur est préoccupante, les premiers fautifs demeurent les joueurs. Ceux-ci ont l’air rassasiés. Ce ne sont plus ces morts de faim qui voulaient absolument s’échelonner face aux meilleurs lors d’un tournoi important. Depuis qu’ils y ont goûté, ils paraissent tellement persuadés de leur force qu’ils se disent que ça va finir par passer face aux équipes réputées plus petites. Cela relève de la suffisance, de l’arrogance, voire de la faute professionnelle. Le sport de haut niveau nous apprend à ne jamais snober un adversaire.

Face à la Bosnie et à Chypre, on n’a pas vu de pressing ni de changement de rythme. On n’a pas assisté à une pression permettant d’étouffer – ne fût-ce qu’un quart d’heure – l’adversaire. On a trop souvent vu des joueurs à l’arrêt ou en train de marcher. La chaleur de Nicosie n’explique pas tout. Le manque de récupération – et donc la fatigue – non plus. Pour le moment, les résultats donnent raison aux Diables : oui, ça finit toujours par passer.

Mais un même comportement face à des joueurs survoltés a déjà eu des conséquences néfastes (la défaite au Pays de Galles). Si les Diables avaient réalisé une bonne première demi-heure en Israël et un bon match contre Chypre, cela fait désormais trois rencontres (Pays de Galles, Bosnie, Chypre) qu’on n’a rien vu. Aucune action collective. Juste des sursauts individuels.

On ne se réjouissait pas de la première partie des éliminatoires faite de hauts et de bas mais, au moins, il y avait des hauts. Aujourd’hui, on s’ennuie 90 minutes durant. Les trois points ne suffisent plus. Et surtout qu’on ne vienne pas nous parler du parcours chaotique des Pays-Bas ou de la difficulté de l’Italie face à Malte pour se féliciter de notre classement. Il y aura toujours plus malheureux que nous. Et ce n’est pas en se positionnant face aux échecs des autres qu’on progresse.

DES INDIVIDUALITÉS PAS TOUJOURS À NIVEAU

On dit souvent qu’une équipe doit être davantage que la somme de ses individualités. Or, aujourd’hui, la Belgique n’est même pas la somme de ses individualités puisque celles-ci n’expriment pas leur potentiel. Certes, on peut toujours dire que la décision est venue des pieds (ou des mains) des grandes stars (Marouane Fellaini, Kevin De Bruyne, Thibaut Courtois ou Eden Hazard) lors des deux matches mais ce ne furent que des soubresauts.

Hazard a marqué deux buts mais fut transparent dans les deux rencontres. Il n’a pas réussi un dribble à Chypre. Fellaini a été impérial face à la Bosnie mais a fait beaucoup de mauvaises passes à Nicosie. De Bruyne n’a pas assez joué collectif même s’il donne l’impression d’être le seul capable de prendre l’équipe en main. Vincent Kompany est revenu à son niveau mais a de nouveau perdu deux ballons chauds. Tant Romelu Lukaku que Christian Benteke n’ont pas vraiment eu voix au chapitre. Quant à Axel Witsel, il est vraiment temps qu’il quitte la Russie car on commence à se demander à quoi il sert sur le plan créatif.

Face à cette donne, Wilmots préfère continuer à défendre ses joueurs. En disant, après la Bosnie, que Witsel avait trouvé sa place (numéro six) et qu’à cette position, il était l’égal de Sergio Busquets ou Pep Guardiola, Wilmots lui a fait plus de mal que de bien. En insistant sur le fait qu’Hazard avait fait la différence à Chypre, il n’a convaincu personne. Lui qui est de plus en plus épié par les joueurs se donne du temps en adoptant cette tactique mais jusqu’à quand ?

D’autant plus que certains choix risquent de le fragiliser. Pourquoi avoir opté pour un Benteke blessé ? Pourquoi avoir donné la préséance à Divock Origi sur Lukaku ? Origi est certes bien rentré contre la Bosnie mais il ne joue pas à Liverpool ! Dans le même temps, Lukaku, qui n’a pas démérité contre la Bosnie même s’il n’a pas brillé non plus, se voit passer en trois jours de numéro un à numéro trois. Ce ne serait pas la première fois que Wilmots jouerait au démineur avec Lukaku mais il y a bien un jour où, dans ce dossier-là, à force de jouer avec le feu, il va se brûler.

Contrairement aux joueurs qui ont fait amende honorable – De Bruyne et Mertens ont eu un discours très clairvoyant et honnête en reconnaissant la nullité de l’équipe – Wilmots et son relais, Kompany, se sont voilés la face en tenant des propos rassurants et en mettant l’accent sur les deux victoires. Certes, la qualification est importante mais il y a bien un moment où ils ne devront plus occulter le débat sur le jeu. Car personne ne s’y trompe depuis un an : au lieu d’assister à une évolution et une progression, on remarque une déliquescence…

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS BELGAIMAGE

Lors de la campagne actuelle, il n’y a pas eu le moindre match-référence. Excepté un France-Belgique amical.

Les joueurs se disent que ça va finir par passer. Cela relève de la suffisance, de l’arrogance, voire de la faute professionnelle.

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