VOUS AVEZ DIT PATRON ?

Depuis son retour au pays, le Diable Rouge est présenté comme  » le patron d’Anderlecht « . Un statut acquis par la grâce des médias et de Besnik Hasi, mais pas encore totalement conquis sur le terrain. Une histoire de chiffres, d’équilibre et de Youri Tielemans.

Avec son coeur peint en mauve et le sourire de ceux qui viennent de frapper un grand coup, RogerVandenStock ne lésine pas sur la formule.  » C’est le transfert du siècle ! « . Et à peine arrivé au Parc Astrid, le Diable reçoit déjà le double des clés des mains de Besnik Hasi :  » À terme, Steven deviendra le patron de l’équipe.  »

Quatre mois ont passé depuis cette journée d’allégresse dans les bureaux de Neerpede. Trahi par son corps au coeur de l’automne, Steven Defour a tout de même accumulé une dizaine de rencontres en Pro League et entendu quatre fois l’hymne magique de la Ligue des Champions. Suffisant pour déjà faire de lui le big boss de la maison mauve ? La réponse se trouve en partie dans les chiffres. Analyse… aux ultraviolets.

Des chiffres qui mentent

Pour mesurer l’indispensabilité du Diable Rouge au coeur du système anderlechtois, le premier calcul, presque trop facile, est celui des points. Et la balance ne penche pas vraiment du côté d’un numéro 16 déjà devenu poids lourd : en douze matches joués avant la trêve, le Sporting Defour a récolté 21 points sur les 36 mis en jeu, soit une moyenne un peu faiblarde de 58 %. Sur les huit matches qu’Anderlecht a disputés sans Steven sur le terrain, les Mauves ont engrangé 16 unités. Du 66 %. Pardon patron ?

L’exercice est évidemment bien trop réducteur. Parce que les adversaires ne sont pas les mêmes, d’abord. Et surtout, parce qu’il faut distinguer deux périodes au sein de cet Anderlecht sans Defour : il y a eu les quatre premiers matches de championnat, conclus avec un joli 10/12. Et puis, ces matches joués pendant la blessure de Steven : un peu glorieux 6/12 avec des défaites au RMP et à Charleroi.

Certes, il y a eu le miracle d’Arsenal, conquis avec plus d’enthousiasme que de football. Oui, Anderlecht a accroché un point sur la pelouse d’un BVB un peu démobilisé. Mais la Ligue des Champions n’impose pas au Sporting de contrôler le jeu comme cette Pro League qui lui laisse le ballon pour mieux le mettre en difficulté.

En vrai, depuis que le Sporting apprend à jouer avec Defour, il semble devenu à peu près incapable de jouer sans. De là à faire du Diable un élément déjà indispensable, il n’y a qu’un pas. Et Besnik Hasi en est conscient :  » Steven est essentiel à l’équilibre de l’équipe.  »

L’oxygène mauve

Plus qu’un patron, Steven Defour est pour l’instant un maître-nageur. Quand la classe biberon du Sporting boit la tasse, c’est lui qui doit lui sortir la tête de l’eau. Les Mauves ne s’y trompent pas : lors de ses 315 minutes sur les pelouses européennes, Defour a reçu quarante ballons par match en moyenne. À part face à Arsenal, où AndyNajar avait mangé le ballon en même temps que son couloir, le Diable a toujours été le joueur qui a reçu le plus de fois la balle.

Face à Dortmund, Steven a reçu cinquante ballons partis des pieds de ses équipiers. Son total le plus impressionnant dans une rencontre où le rouleau-compresseur allemand a asphyxié les relances mauves. À bout de souffle et effrayés, c’est vers Defour que se tournaient BramNuytinck, OlivierDeschacht ou ChancelMbemba pour soigner la relance. Oui, ce jour-là, le Diable a sans doute été plus latéral que jamais.

Mais sur la petite cinquantaine de passes effectuées dans son camp, il n’en a raté que deux. Une assurance tous risques, la seule solution pour ne pas perdre ce ballon tout juste récupéré. Au coeur de cet Anderlecht en manque d’air, c’était Steven le patron qui devait jouer les bouteilles d’oxygène.

Jusqu’à la ligne médiane, Defour est le roi. Tous les yeux mauves regardent vers ses pieds, comme si l’or un rien vieilli de son soulier était le gage systématique d’un bon placement. C’est de l’autre côté de la ligne blanche que ça se corse. Parfois, souvent même, Defour a lancé seul un pressing furieux. L’image est presque devenue classique : une course intense vers l’avant, un regard noir vers l’arrière, et des bras qui demandent pourquoi.

Parce qu’à Porto, il était interdit de laisser à l’adversaire le temps de respirer. Un ballon perdu devait se changer en ballon récupéré dans les cinq secondes. Au Sporting, ça ne marche pas. Les employés regardent faire le patron, mais le pressing, Defour ne peut pas le faire tout seul.

L’équilibriste

Avec ces sorties pleines de bonne volonté mais incomprises par un groupe trop habitué à vivre des marathons récupérateurs de CheikhouKouyaté, Steven Defour a parfois déséquilibré l’équipe. Un milieu de terrain qui sort, ça ouvre évidemment d’énormes brèches. Là, le patron ne parvient pas encore à se faire entendre, voire à se faire comprendre. Problématique.

Besnik Hasi sait que son numéro 16 a besoin de ce statut. Voilà sans doute pourquoi il répète si souvent que Defour est indispensable, comme s’il devait en persuader son noyau. AnthonyVandenBorre a remis un coup sur le clou après la débâcle du Canonnier.  » Defour nous manque « . Un cri du coeur complété par un compliment à l’adresse du jeune SamuelBastien, qui a aidé au redressement en seconde période grâce à  » son profil un peu similaire « . Parce que si Defour n’est pas encore le patron de ce Sporting, il est déjà son centre de gravité.

Pour faire vivre cet Anderlecht, Steven Defour joue les équilibristes. Sa position moyenne lors des joutes européennes en est une illustration presque caricaturale : Defour n’est pas seulement dans le rond central, il est carrément sur le cercle blanc qui indique le milieu du terrain.  » Essentiel à l’équilibre de l’équipe « , disait Besnik Hasi.

Des mots qui prennent sens avec cette image d’un Defour tellement central que sans lui, l’équipe perd pied. Après une première mi-temps pleine de maîtrise, Anderlecht a d’ailleurs vacillé face au Gala à Bruxelles. Comme si son centre de gravité avait disparu. Ce jour-là, Defour avait dû sortir à la pause.

Le Witsel de Saint-Guidon

Dans les chiffres, le rôle de Steven Defour au Sporting ressemble à s’y méprendre à celui d’AxelWitsel chez les Diables Rouges. Beaucoup de passes et peu de risques. Une moyenne de 51 passes par rencontre avec un taux de réussite au-delà des 90 %. Au Portugal, dans une équipe qui ne pouvait pas vivre sans le ballon, Defour touchait certes 87 fois le cuir par match, mais son taux de réussite n’était que de 83 %. Parce qu’à Porto, Steven devait faire vivre le ballon tandis qu’à Anderlecht, on lui demande surtout de l’empêcher d’aller mourir dans les pieds adverses.

Par rapport à ses chiffres portugais, une seule donnée est en augmentation depuis l’arrivée du Diable à Bruxelles. En mauve, Defour claque 1,3 key pass par match, contre 0,4 lors de sa dernière saison portiste. Soit cinq passes qui ont amené un tir au but en quatre rencontres de Ligue des Champions. Un chiffre plutôt flatteur, puisqu’il fait de Steven le spécialiste anderlechtois en la matière, mais qu’il faut nuancer.

Désigné par Besnik Hasi pour donner les coups de pied arrêtés, Defour voit fatalement sa note de key pass augmenter (c’est une constante connue des amateurs de statistiques), et ce même si ses coups francs et corners ont rarement trouvé un crâne mauve depuis son retour au pays.

Les autres chiffres de Defour sont loin de faire rêver les amateurs de champagne qui occupent les sièges de Saint-Guidon. En C1, le numéro seize n’a touché qu’un ballon dans le rectangle adverse. C’était face à Arsenal, avec un tir cadré à la clé. Pour le reste, Defour n’a donné que 23 % de ses passes dans le dernier tiers du terrain, n’a réussi à donner aucune passe vers le rectangle et n’a réalisé que 0,3 dribble par match. Oui, Steven n’est pas un dribbleur, mais de là à voguer dans les eaux chiffrées d’Olivier Deschacht…

Sans le ballon, Steven Defour est sans doute déjà le leader de cet Anderlecht. Par contre, la prise de pouvoir est plus difficile de l’autre côté de la ligne médiane. Un contraste somme toute logique : n’importe quel entraîneur vous dira qu’au contact d’une nouvelle équipe, il est plus simple de travailler une mise en place organisationnelle de base avant de mettre les mains dans le cambouis pour faire tourner le moteur offensif du onze à plein régime.

La règle vaut aussi pour un Steven Defour qui a déjà réussi sa phase d’équilibrisme au coeur du système Hasi, mais doit maintenant tâtonner pour créer du déséquilibre dans l’organisation adverse sans faire vaciller toute son équipe.

Tout aurait sans doute été plus facile dans la conquête du trône de l’équipe si à côté de Steven Defour, il n’y avait pas eu YouriTielemans. Dix-sept ans sur la carte d’identité, soit trop jeune pour prendre toute l’équipe sur les épaules, mais beaucoup trop talentueux pour s’effacer au profit d’un équipier.

La blessure de Defour et l’éclosion de Leander Dendoncker ont permis à Hasi de gagner du temps, la nouvelle indisponibilité de Dennis Praet va modifier le triangle de l’entrejeu. A terme, il faudra convaincre le duo Defour-Tielemans de se mettre mutuellement au service de l’autre pour devenir plus grand ? Sur le toit de l’Europe, Ancelotti parvient bien à faire de Modric et Kroos des joueurs de devoir…?

PAR GUILLAUME GAUTIER

 » Jusqu’à la ligne médiane, il est le roi. Mais c’est dans le camp d’en face que ça coince. Là, il ne trouve pas d’écho au pressing qu’il effectue.  »

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