» Vous avez dit gentleman ? »

L’image du coach bruxellois s’est sérieusement dégradée au fil de ses années anderlechtoises. Retour sur une métamorphose.

Lendemain de désillusion européenne à Anderlecht, Ariel Jacobs tient une conférence de presse aux accents surréalistes. Morceaux choisis (extraits de la DH) : Comment avez-vous récupéré votre groupe au lendemain de la terrible déception ?

Ariel Jacobs : Ils ont tous bien mangé.

Avez-vous parlé aux joueurs ?

J’ai dit que la vie continuait. Cela a duré cinq secondes. Je l’ai dit dans trois langues.

Comment allez-vous remobiliser votre groupe ?

Je vais souffler de l’air chaud dans leurs oreilles, comme on fait sur les terrains gelés.

Et vous personnellement, n’êtes-vous pas trop abattu ?

Alive and kicking (Vivant et battant).

Avez-vous quand même quelques regrets ?

Je n’ai pas de regret. Le passé est le passé.

Des analystes vous reprochent d’avoir perdu la bataille tactique avec Gertjan Verbeek de l’AZ.

Il est tout de même connu depuis longtemps que je ne connais rien au football.

Vous ne partagez donc pas leur avis ?

Les analystes sont les analystes. Ce sont des gens qui ont bien frappé un ballon à deux reprises dans leur carrière…

Cette élimination ne risque-t-elle pas de casser le moral du groupe ?

Y a toujours moyen de les transférer en Russie…

Des réponses sèches sur un fond désabusé, désenchanté. Et dire que la direction avait demandé en début de saison à Ariel Jacobs d’adopter en public des postures à la fois plus détendues et souriantes. Mais la positive attitude, très peu pour lui. Coach Jacobs n’en est pas à son coup d’essai dans l’échange kafkaïen. Tout le monde a encore en mémoire son fameux  » beaucoup, beaucoup, beaucoup  » d’avant test-matches face au Standard en mai 2009. Dans la même veine toujours, après un partage face à Gand en septembre 2009, un journaliste de Belgacom TV flamand reçoit un Jacobs particulièrement irrité et dédaigneux (à revoir sur Youtube : Ariel Jacobs goes crazy).

L’anti-Johan Boskamp

A contrario, celui qui est à la tête du Sporting depuis novembre 2007 (la troisième plus longue série de l’histoire du club derrière Bill Gormlie et Pierre Sinibaldi) n’est pas là pour servir la soupe. Tant mieux, aurait-on tendance à dire dans un milieu trop sclérosé. Souvent caustique, l’humour (voire même le look) british, Jacobs n’a pas pour habitude de sortir les formules lénifiantes type  » il faut prendre match par match « . Quand il échange le costume de T2 pour celui de T1 que portait jusque-là Frankie Vercauteren (qui n’a d’ailleurs toujours pas pardonné à son ex-assistant cette prise de fonction), la presse dans son ensemble dresse le portrait de quelqu’un d’intelligent, réservé et respectueux. Le terme gentleman accompagne le personnage.

Jacobs :  » Et pourtant, ce n’est pas spécialement une image que je veux renvoyer. La base, c’est le respect vis-à-vis de chacun et de chaque chose.  » Voilà quelqu’un qui préfère s’éclipser quand les photographes shootent les Louviérois vainqueurs de la victoire en Coupe de Belgique en 2003, ou qui inclut dans son contrat de Directeur technique de Genk l’impossibilité de prendre la place du coach alors en place, René Vandereycken ( » afin de ne pas avoir l’impression de lui scier la branche « ).

La direction mauve veut, elle, en faire son Arsène Wenger made in Brussels. Plus de quatre ans plus tard, l’effet d’annonce a fait long feu. Au-delà de résultats mitigés, c’est la personnalité qui pose question. Austère et peu charismatique, Jacobs n’a que très rarement été fêté par le public du Stade Vanden Stock. On est très loin des  » Jo Boskamp Boys Army ! » que chantait le kop dans les années 90. Le Bos ne connaissait pas un traitre mot de la langue de Molière mais sa bonhomie et son rire gras le faisaient aimer des deux communautés. A l’inverse, un sondage particulièrement édifiant sur le forum (anciennement officiel) d’Anderlecht montre qu’ils sont 80 % à répondre – Oui/Ja à la question Jacobs buiten ? alors que le club trône en tête en championnat.

Deschacht, capitaine ignoré

Dans la relation avec ses joueurs, Jacobs n’échappe pas à la règle : il faut trancher dans le vif et donc faire des mécontents. Toutefois difficile de trouver des joueurs déçus par AJ avant son arrivée au Sporting. Plusieurs d’entre eux pointaient des entraînements variés et un humour grinçant qui avait la cote dans les vestiaires. A Anderlecht, la donne est évidemment différente. La concurrence plus importante, les star(lettes) plus nombreuses, avec comme conséquence des joueurs écartés qui font débat.

 » Il n’a jamais été quelqu’un qui donne des explications et qui communique avec ses joueurs « , rapportait Thomas Chatelle dans la Troisième mi-temps. Par contre, difficile de comprendre le traitement réservé à Tom De Sutter. L’ex-buteur du Cercle a connu les galères des blessures, s’est relevé, n’a jamais fait d’esclandre dans les médias mais est désormais ignoré par le T1 ou lancé pour de maigres minutes depuis le début de saison à l’exception de quelques rares plages de jeu. Pire, on frise l’humiliation quand le grand Tom fait son entrée pour quelques secondes lors du dernier Anderlecht-Bruges afin de fêter la prestation de Dieumerci Mbokani. Certains rétorqueront que le professionnel grassement payé doit se plier aux décisions de son entraîneur.

Pareil traitement est évidemment plus aisé quand le joueur n’est pas réputé pour ruer dans les brancards. Ce serait plus délicat avec Milan Jovanovic ou Mbokani. Et Jacobs n’a pas pour habitude de se frotter aux fortes têtes. Mbark Boussoufa pouvait faire la loi sans qu’il n’y trouve à redire. Les  » braves gars « , par contre en ont souvent pris pour leur grade….

Cette saison, Olivier Deschacht a dû abandonner son brassard de capitaine notamment sous la pression du public qui imposait Lucas Biglia en unico capitan. L’arrière gauche a appris cette rétrogradation de façon assez surprenante. En entrant dans le vestiaire, Deschacht voit le brassard posé sur le maillot de l’Argentin. Ce n’est qu’en se rendant chez l’arbitre afin de jeter un £il sur la feuille de match qu’il a la confirmation de ce changement de statut. Personne dans le staff ne l’avait mis au jus. Pour quelqu’un qui a presté plus de 300 matches pour les Mauves, on a connu procédé plus élégant…

Quand Jacobs dérape

La relation entre Jacobs et les médias s’est rapidement ternie après son intronisation à la tête d’Anderlecht. Les petites piques se sont multipliées et le regard s’est durci dans le chef du Diegemois. Jusque-là, rien de bien terrible sauf quand Jacobs utilise la presse pour mettre de l’huile sur le feu. Comme en janvier 2011 avant le toujours bouillant Anderlecht-Standard.

Le contexte : à l’aller, les Rouches avaient infligé une correction aux Mauves (5-1) et Jelle Van Damme allait jouer ses premières minutes avec le Standard, six mois après avoir quitté le Sporting. En conférence de presse, la semaine précédant le match, Jacobs lâche :  » Au vu des SMS qui m’ont été montrés, Jelle Van Damme aime visiblement toujours Anderlecht. Il prend encore des nouvelles de beaucoup de gens de chez nous. Et il n’y a pas si longtemps, il a envoyé un texto (il y a quatre heures seulement !) à un membre du staff. Après tout, ce n’est pas anormal pour quelqu’un qui, le 17 mai, chantait encore devant le Premier ministre que le Standard était champion tous les 25 ans. Si son c£ur n’est plus à Anderlecht, on n’envoie pas ce genre de SMS. Mais Jelle a toujours dit que le club de son c£ur était Anderlecht, non ? »

Parfait pour envenimer un débat qui n’en avait nullement besoin. A cela, JVD répondra avec bien davantage de retenue après la rencontre :  » Ariel Jacobs n’a pas été correct en disant cela. Tout le monde avait demandé d’éviter des déclarations de ce genre et c’est le coach lui-même qui le fait. Dommage…  »

SMS toujours, mais cette fois beaucoup plus sympa : avant de s’envoler pour la Coupe du Monde en Afrique du Sud avec la Serbie, Milan Jovanovic déclare  » avoir reçu un message. Et vous savez de qui ? Ariel Jacobs ! Il m’a souhaité bonne chance pour le Mondial. Je suis un Standardman mais j’ai beaucoup de respect pour Ariel Jacobs et les gens d’Anderlecht. Ariel Jacobs est un grand monsieur, un vrai gentleman. « 

Le mot gentleman est ressorti. Mais de l’avis de différentes personnes amenées régulièrement à converser avec Coach Jacobs, l’homme n’est plus du tout le même dès qu’il échappe un temps à sa fonction et ses responsabilités. En octobre 2010, sort sa biographie Tegen de stroom in ( A contre-courant, uniquement en néerlandais) dans laquelle Jacobs revient sur le Clasico de la honte du 30 août 2009.  » A l’heure actuelle, je reste persuadé qu’ Axel Witsel n’a pas blessé Marcin Wasilewski intentionnellement contrairement à ce que beaucoup pensent. Mais je suis aussi d’avis que tout joueur qui commet un acte doit en réaliser les conséquences possibles.  » Bien plus classe.

Riga sur les traces de Jacobs

Coacher un grand club peut vous faire perdre la tête. Pression médiatique ou du public, exigence du résultat, ça vous change un homme. Jacobs en est la preuve vivante. Mais son cas n’est pas singulier. D’autres subissent le même sort à l’image de José Riga, présenté lui aussi par beaucoup comme un gentleman. Aujourd’hui, la posture s’est raidie chez le coach du Standard que l’on dit très sensible à la critique. Pas de quoi fouetter un chat toutefois, tout reste très mesuré même si l’homme n’est plus aussi ouvert que du temps où il officiait à Visé et comme consultant télé. Enfin, il suffit de jeter un £il sur l’étranger pour se dire que nos coaches vedettes sont à des années-lumière des provocations grossières et insultes d’un José Mourinho.

PAR THOMAS BRICMONT

Réponses sèches sur fond désabusé. Et dire que la direction avait demandé à Jacobs d’être plus détendu et souriant. Deschacht n’a jamais été mis au jus par Jacobs du changement de capitanat.

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