Voleurs d’OCRE

Les moments forts de la quinzaine parisienne.

J ustine Henin débarqua à la porte d’Auteuil investie d’une délicate mission : défendre son titre, le premier des trois Grands Chelems qui ornent son palmarès. Même si elle s’était déclarée confiante avant de prendre le chemin de Paris, le parcours de la Namuroise allait immanquablement s’effectuer en montée. Atteinte du cytomégalovirus, un virus voisin de la mononucléose qui eut pour effet de la clouer au lit, elle dut se tenir à l’écart du circuit pendant six semaines. Du 10 avril au 24 mai, date du début de Roland Garros, Henin ne disputa aucun match.

Retrouver la compétition dans un tournoi du Grand Chelem après une si longue absence n’a rien d’une sinécure.  » Je n’ai pas été la joueuse de ces douze derniers mois « , viendra-t-elle dire après son élimination par l’Italienne Tathyana Garbin, ses yeux rouges trahissant une intense émotion qu’elle eut par moments beaucoup de mal à contenir.  » Je n’ai jamais été capable de me battre comme d’habitude parce que j’étais trop négative sur le court. J’ai beaucoup douté de mon niveau de jeu avant de venir ici. Souvent, je perdais ma concentration et le match n’a été qu’une succession de hauts et de bas. Il y avait un peu trop de pression pour moi aujourd’hui… Mais je ne regrette pas d’être venue à Roland Garros. De toute façon, il fallait bien que je revienne un jour sur le circuit. Si c’était à refaire, je le referais ! J’ai pris ma décision et je l’assume. Roland Garros m’a aidé à découvrir où j’en suis. J’ai déjà surmonté beaucoup de difficultés par le passé. Il en sera de même cette fois-ci. C’est le genre de situation qui me fera clairement rebondir dans quelque temps « .

Exsangue de sa joueuse phare, le tableau féminin n’allait toutefois pas être au bout de ses surprises. Car s’il ne fallait retenir qu’une leçon de la quinzaine parisienne pour ce qui est du tennis féminin, c’est la difficulté employée par les ténors à faire valoir leur suprématie sur une meute de jeunes louves aux dents longues. Ce fut particulièrement visible le deuxième mardi du tournoi, traditionnellement réservé aux quarts de finale. En quelques heures, le tableau perdit dans l’ordre Serena et Venus Williams, puis Amélie Mauresmo !

Vainqueur à Paris en 2001, Jennifer Capriati, qui élimina la cadette des Williams, fut la seule rescapée. Radieuse de se retrouver dans le dernier carré, l’Américaine ne put cacher son étonnement en découvrant le nom des autres demi-finalistes : Paola Suarez, 14e mondiale, Elena Dementieva, 10e, et Anastasia Myskina, 5e à la WTA.

Vainqueurs de leurs demi-finales, Myskina et Dementieva allaient écrire l’histoire. Pour la première fois, en effet, la finale opposerait deux joueuses russes, la nation émergeante en matière de tennis féminin. La rencontre déçut les 16.000 spectateurs du central tant elle fut expéditive (6-1, 6-2 en 59 minutes). En panne de service due à une extrême nervosité, Dementieva laissa le titre filer à celle avec qui elle s’entraîna beaucoup lorsqu’elles jouaient ensemble au Spartak Moscou.  » Je hais mon service « , dit en pleurs la perdante.  » Je voulais tellement la victoire, trop sans doute. Il va falloir que je travaille mon mental à l’avenir « .

Les autres Belges

Forte de cinq représentants masculins, la délégation belge en perdit deux dès le premier tour. Blessé à la cuisse, Olivier Rochus disparut d’emblée face à David Ferrer, 52e mondial. Pour le cadet des Rochus, le principal ne fut pas de tenter de faire illusion mais bien de toucher le chèque de 12.800 euros promis aux perdants du premier tour.

Repêché du tableau des qualifications, Kristof Vliegen eut quant à lui la malchance de pêcher un trop gros poisson pour son premier match à Roland Garros : Roger Federer, n°1 mondial en exercice ! Plus que tout, le joueur de Maaseik redoutait de recevoir une fessée. Le Suisse lui en colla pourtant une belle, sous la forme d’un 6-1, 6-2, 6-1 bien tassé.

 » J’avais dit avant le match que je ne voulais pas recevoir une branlée (sic) en 1 h 10. Or, le match a duré 1 h 15. J’ai donc gagné cinq minutes par rapport à mes prévisions « , expliqua, avec humour, un Vliegen attachant dans la défaite.  » Je ne sais pas comment il faisait mais il parvenait toujours à mettre la balle dans la partie du court où je ne me trouvais pas !  »

Même si Christophe Rochus se défit de Flavio Saretta, imité en cela par XavierMalisse vainqueur de Rainer Schuettler, n°7 mondial, la réelle perf belge du premier tour fut à mettre à l’actif de Gilles Elseneer. Opposé à l’Espagnol Ruben Ramirez-Hidalgo, le Bruxellois disputa cinq sets qui, s’ils ne furent pas toujours d’une belle facture, furent tous teintés d’un courage exemplaire : s’il est une surface sur laquelle Gilles se meut avec peine, c’est bien la terre battue.

 » Je crois que si je le voulais vraiment, je pourrais bien jouer sur brique pilée mais je ne fais pas de la saison sur terre une priorité « , expliqua l’intéressé.  » J’aurai toujours plus de facilité à gagner des matches sur gazon ou sur surface dure « .

Lorsqu’il se retrouva face à Gustavo Kuerten au deuxième tour, Elseneer connaissait mieux que quiconque l’âpreté de la tâche qui l’attendait. Trois fois vainqueur à la Porte d’Auteuil, le Brésilien vole sur l’ocre mais il se remet difficilement d’une opération à la hanche qui remonte pourtant à février 2002. Tout espoir n’était donc pas perdu. Elseneer lui prit cinq jeux et au vu du match, on se dit que c’est beaucoup.

 » Mon seul regret est de ne pas avoir su montrer de quoi je suis réellement capable « , viendra constater le Belge.  » Il a tout fait pour que je ne développe pas mon jeu et il y a réussi. Quand je passe un service à 214 km/h et que le gars d’en face effectue presque un retour gagnant, c’est très difficile !  »

Vainqueur de Saretta, Christophe Rochus se frotta à la maîtrise du jeu sur terre battue d’ Albert Costa, vainqueur à Paris il y a deux ans. Dépassé dans les deux premiers sets, l’aîné des Rochus aurait pu remporter le troisième mais il se mit à souffrir de crampes. Difficile, dans ces conditions, de voir loin sur une surface qui exige une condition physique parfaite, encore que celle-ci ne semble pas avoir été la cause de la chute de l’Auvelaisien.  » Je ne comprends pas ce qui se passe. Voilà des mois que je souffre de crampes et il n’y a pas moyen d’y remédier « , avoua Christophe.  » Parfois, elles me prennent le soir quand je suis devant la télévision !  »

La crédibilité retrouvée de Malisse

Le dernier des Mohicans fut donc Malisse. Impérial contre Schuettler au premier tour, le n°1 belge eut la bonne surprise de voir son adversaire du deuxième tour, l’Allemand Daniel Elsner, abandonner au milieu du deuxième set. Pour le Flandrien, c’était une aubaine payante pour l’affrontement du troisième tour face à Costa, le tombeur de Rochus. Grâce à cette économie d’énergie, il put livrer une belle empoignade de plus de 4 h 30 face à l’Espagnol, véritable bûcheron des courts.

Mené deux sets à un, Malisse eut le grand mérite de ne jamais lâcher prise. Grâce à ce jusqu’au-boutisme retrouvé, le Courtraisien évita même deux balles de match à 5-4 dans la quatrième manche avant de regagner son hôtel en raison de l’obscurité qui interrompit les débats. Le lendemain, il remit le couvert, remporta le quatrième set au tie-break, et même le cinquième par 8 jeux à 6 pour triompher par 6-4, 2-6, 4-6, 7-6 (7/4), 8-6. Finaliste à Saint-Pölten la semaine juste avant Roland Garros, Malisse venait de retrouver grâce à cette rencontre, et malgré des douleurs dorsales qui firent craindre pour son avenir dans le tournoi, une crédibilité qui lui avait fait défaut depuis de longs mois lorsqu’il avait accumulé les défaites au premier tour.

Malheureusement, et comme cela était à craindre, sa débauche d’énergie se révéla fatale en huitièmes de finale. Opposé à LleytonHewitt, autre grand bagarreur des courts, Malisse ne sut jamais retrouver son punch. Son seul talent lui permit pourtant de mener, à deux reprises, au marquoir, une première fois par 5 jeux à 3 dans le premier set, une seconde, encore une fois par 5-3, dans le troisième. Dans le tie-break de ce set qui allait être le dernier, le Flandrien mena même par 6 points à 3 avant de voir son avantage fondre comme neige au soleil à la suite d’erreurs parfois grossières. Hewitt s’imposa par 7-5, 6-2, 7-6 (8/6) sans véritablement forcer son talent mais en attendant les fautes de son adversaire. Signé dommage pour un joueur qui, s’il était doté d’une meilleure condition physique, pourrait viser nettement plus haut que sa 54e place mondiale (avant Roland Garros).

 » Tout le monde a vu aujourd’hui que c’était possible « , avouera juste après le match Philippe Dehaes, le nouveau coach de Malisse.  » Il lui a malheureusement manqué un peu de jus et la réussite qui lui avait souri face à Costa. En ce qui concerne sa condition physique, Xavier va comprendre de lui-même à l’avenir que s’il est mieux préparé pour ce genre de grands rendez-vous, il peut viser encore plus haut « .

Autre facteur déterminant lorsqu’on évoque les performances de Malisse et sur lequel il lui faudra travailler : son manque de constance chronique. L’entraîneur en est conscient.  » On a vu à Paris un Malisse déterminé, qui ne s’est jamais énervé et c’est très positif « , expose Dehaes.  » J’ai vraiment le sentiment qu’il a pris conscience de son âge (23 ans) et de ses possibilités. Il veut réintégrer le top 20 et il sait que le temps commence à compter « .

Prétendre que Malisse affichait une mine désespérée après son élimination serait exagéré. Ce serait, de surcroît, mal connaître le joueur dont l’attitude zen est désormais légendaire. Mais il ne faisait aucun doute qu’il était déçu.

 » Par deux fois, je mène au score mais les balles et le terrain étaient lourds aujourd’hui « , commença-t-il par dire.  » D’un autre côté, j’ai le sentiment d’avoir tout donné mais il était plus fort. De plus, je suis parvenu à garder une attitude positive. Si je continue sur cette voie, cela ne pourra qu’aller mieux « .

Tableau masculin : rush argentin

Qualifié pour les quarts de finale, Hewitt n’allait pas tarder à se rendre compte que ce Roland Garros 2004 ferait jusqu’au bout la part belle aux Argentins. Rossé par Gaston Gaudio, l’Australien ne fut qu’une victime de plus de cette armada en provenance d’Amérique latine très à l’aise sur la terre battue. Outre Gaudio, deux autres demi-finalistes dansèrent le tango sur le central : David Nalbandian, tombeur d’un Kuerten trop handicapé par sa hanche et Guillermo Coria qui prit un malin plaisir à évincer Carlos Moya, le dernier Espagnol encore en lice à la Porte d’Auteuil.

La finale messieurs allait également être une explication entre deux compatriotes. Après la domination espagnole, la terre battue parisienne s’était trouvée de nouveaux maîtres. Vainqueur haut la main des deux premiers sets face à un adversaire rendu faiblard par l’enjeu, Coria perdit la troisième manche à la surprise générale mais au grand contentement de la foule qui en redemandait.

C’est alors que survint l’incroyable. Tandis que le marquoir n’affichait même pas deux heures de jeu, le roi de la terre battue se mit à souffrir de crampes ! Complètement paralysé, particulièrement au service, il préféra laisser filer le quatrième set pour se reprendre dans le dernier. Il y parvint grâce, il faut l’avouer, à un Gaudio qui, plutôt que d’enfoncer le clou, éprouva les pires difficultés à rester concentré face à un rival diminué.

Le verdict tomba finalement au terme d’un dernier set complètement fou et après 3 heures et 31 minutes : 0-6, 3-6, 6-4, 6-1, 8-6 pour… Gaudio. Pour rendre encore plus sublime sa victoire, on retiendra qu’il dut sauver deux balles de match à 6-5 ! Rarement, une finale connut un scénario aussi invraisemblable.

Classé 44e joueur mondial à son arrivée à Paris, Gaudio devint ainsi le troisième joueur seulement non classé tête de série à soulever la coupe des Mousquetaires (après Mats Wilander en 1982 et Gustavo Kuerten en 1997).

Forian Etienne

 » Si je parviens à RESTER POSITIF comme ça….  » (Malisse)

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