Voie royale pour les Eléphants

Des favoris présents au rendez-vous mais une CAN qui perd ses accents festifs suite à l’élimination du Gabon. Retour sur des quarts de finale qui ont quelque peu plombé l’ambiance.

Lundi matin, le jaune et bleu qui décorait les trottoirs et échoppes de Libreville avait perdu de son éclat. La veille, les Panthères du Gabon se sont fait sortir aux termes d’une douloureuse séance de tirs au but par des Aigles du Mali que personne n’attendait à pareille fête.

Comme souvent dans la loterie des tirs au but, c’est la jeune idole locale Pierre-Emerick Aubameyang, fils de Pierre Aubame (ex-international) et buteur à trois reprises en poule, qui voyait son péno repoussé par le gardien malien. Comme il y a seize ans en Afrique du Sud, la sélection gabonaise (à l’époque dénommée l’Azengo National) était sortie en quarts de finale sur une séance de tirs au buts ; la Tunisie portant alors la tenue du bourreau. C’était jusque-là la meilleure performance d’un pays peuplé seulement d’un million et demi d’habitants.

Deux jours avant la confrontation face au Mali, nous avions été conviés en compagnie de notre confrère de France Football au discours du ministre des Sports, René Ndemezo’o Obiang à l’hôtel occupé par les hommes du coach, Gernoth Rohr. Attablés autour de la table, les 23 Panthères étaient au-devant d’une mission importante :  » marquer l’histoire du foot gabonais « , une phrase répétée à l’envi par le ministre.

Critiquée avant l’entame de la compétition suite à une série de contre-performances en qualification, l’équipe du Gabon avait relevé le défi avec brio en poule, alignant trois succès dont un mémorable face au Maroc d’ Eric Gerets (3-2). Dans les ruelles de Libreville, la fierté était perceptible mais le gouvernement voulait voir plus grand. La demi-finale devenait presque obligatoire, d’autant que sur le banc d’en face, on retrouvait l’ex-sélectionneur Alain Giresse, qui avait coaché les Panthères de 2006 à 2010 et que le public local n’oublia d’ailleurs pas de conspuer à chaque passage sur le grand écran du stade.

Aujourd’hui, l’ambiance n’est plus aussi festive dans les bouis-bouis de la capitale, le Club Samuel Eto’o ne fait plus salle comble et les cornes (qui ont remplacé les insupportables vuvuzelas des dernières Coupe du Monde et CAN) sont moins bruyantes. Le peuple gabonais délaisse aujourd’hui logiquement l’événement. Après l’effroyable attaque du bus du Togo dans l’enclave de Cabinda qui avait fait deux morts il y a deux ans en Angola, le Gabon peut se féliciter d’avoir redoré l’image de la plus grande compétition africaine. L’autre pays organisateur, la Guinée Equatoriale ne peut pas en dire autant : les supporters et médias garderont en mémoire un territoire riquiqui (seulement 700.000 habitants) mais extrêmement militarisé sous le joug du dictateur Teodoro Obiang Nguema. Le Gabon est, lui, associé depuis près de 25 ans à la famille Bongo. A Omar d’abord, l’un des principaux symboles de la France-Afrique et des pots-de-vin qui l’ont accompagnée, puis à Ali, l’actuel président depuis la mort de son père en juin 2009, dont la présence durant la CAN fut heureusement limitée.

Pas de quoi, non plus, donner une cote d’excellence à l’organisation. Le stade Omar Bongo, situé en plein c£ur de Libreville, et qui devait accueillir les matches de la CAN, est toujours en travaux. Seule la pelouse, sur laquelle la sélection gabonaise s’entraînait, était prête à l’emploi. Heureusement, des sociétés chinoises du bâtiment sont venues à la rescousse pour sortir de terre le flambant stade de l’Amitié sino-gabonaise à Agondjé, érigé au nord de la capitale dont les gradins sont ornés de deux superbes arches, les plus imposantes du continent africain. Reste des  » détails  » à finaliser à quelques jours de la finale, comme des places de parking encore sous les pelleteuses ou des palmiers que les ouvriers s’affairaient à planter alors que la compétition avait débuté depuis deux semaines.

Ferveur nationale mais pour le reste…

Le peuple gabonais a véritablement vibré pour ses Panthères.  » Jour de match, c’est jour payé  » était la devise adressée aux fonctionnaires. L’Etat avait également décalé les vacances scolaires pour permettre aux étudiants de suivre la compétition. Des places avaient été offertes aux anciens des quartiers afin de rameuter au stade quelques chanceux des quartiers populaires.

Malgré des prix peu en phase avec une population vivant en moyenne avec quelque 250 euros par mois, les 40.000 places du Stade de l’Amitié s’arrachaient. Scène cocasse cependant : lors du quart face au Mali où certains spectateurs partis sur le tard et bloqués par des embouteillages le long de la seule route à deux bandes menant au stade, gagnaient leur siège au début de la… seconde période. Par contre, la donne était tout autre quand la rencontre ne concernait aucun des deux pays organisateurs. Le quart entre la Zambie et le Soudan faisait davantage penser à un match à huis-clos – où les journalistes étaient plus nombreux que les spectateurs – qu’à un tableau final d’une grande compétition. Des tribunes plus que clairsemées, c’est malheureusement l’apanage, des dernières Coupes d’Afrique quand les championnats d’Europe ou Coupes du Monde font le bonheur des agences de voyage.

Les poids lourds au rendez-vous

 » J’ai l’impression qu’on assiste à des matches de foot de quartier « , témoigne un agent de joueurs basé en France croisé au bar d’un des hôtels de Libreville.  » Mais ça n’a rien d’étonnant, on ne peut pas avoir d’attentes trop importantes vu que la majorité des joueurs qui composent les sélections africaines sont des joueurs moyens, qui évoluent souvent dans des clubs français très moyens de L1 voire de L2. Même la Côte d’Ivoire, dont on dit pourtant qu’elle n’est composée que de stars, possède des joueurs moyens pour les normes européennes. L’Afrique est, croyez-moi, encore très loin de remporter une Coupe du Monde. « 

Voici pour la version critique. D’autres observateurs sont bien plus enthousiastes à l’approche du money-time de la compétition… 2,5 buts de moyenne, dont plusieurs bijoux, et quelques trouvailles chez les joueurs resteront dans les mémoires. Si l’absence des grandes nations telles l’Egypte ou le Cameroun tentait de discréditer l’épreuve, si les éliminations précoces du Maroc et du Sénégal ont surpris et fait pas mal jaser dans leurs pays respectifs, cette 28e édition de la CAN est à la hauteur de l’événement. Il y a deux ans, on fut frappé par la faiblesse de l’épreuve avec un dernier carré où l’on retrouvait une Egypte vieillissante mais expérimentée qui décrocha pour la troisième fois de suite le Graal, de valeureux Ghanéens qui devaient compter sur la fougue des Black Satellites (les -20 ans), des Algériens accrocheurs mais sans grands talents et une équipe nigériane déjà sur le déclin. Cette fois, à l’heure des demi-finales, on retrouve ce qui se fait de mieux individuellement et collectivement sur le continent africain.

Le parcours parfait des Ivoiriens

Favorite de l’épreuve, la Côte d’Ivoire réalise jusqu’ici le parcours parfait. Après avoir été finaliste en 2006, demi-finaliste en 2008 puis quart de finaliste il y a deux ans, les Eléphants mettent fin à cette décroissance en terminant au pire dans les quatre derniers. Si Drogba et consorts furent matraqués par la presse ivoirienne après l’élimination en Angola 2010, les Eléphants ont cette fois répondu présents à chaque match, même si les rencontres de poules ne furent guère emballantes. En quarts, par contre, les Ivoiriens ont fait le taf face, il est vrai, à une équipe de Guinée Equatoriale faiblarde.

En bon capitaine, Drogba a plié la rencontre en inscrivant les deux premiers buts du match, dont le deuxième sur une tête décochée à 70 km/h. Le boss du milieu, Yaya Touré, a conclu la marque d’une superbe frappe enroulée des 25 mètres sur coup franc qui concourra assurément pour le plus beau but du tournoi. Les chiffres des Eléphants sont impressionnants : aucun but concédé grâce notamment à un Copa Boubacar (absent lors du troisième match) très sûr dans les buts et l’attaquant vedette des Blues partage la tête du classement des buteurs avec trois roses (il atteint désormais les 53 buts en 80 sélections). A cela s’ajoute quelques belles surprises comme le méconnu Jean-Jacques Gosso, aujourd’hui à Ordurspor (Turquie) après trois saisons à Monaco dont le boulot abattu au milieu de terrain est remarquable. Ou le jeune et remuant attaquant stéphanois (ex-Leeds), Max Gradel, qui remplace avec talent un Salomon Kalou légèrement blessé.

Avant de rencontrer le Mali, la sélection ivoirienne affiche une série de dix succès de suite (6 en éliminatoires + 4 à la CAN) en compétitions officielles depuis la prise en main de l’équipe par François Zahoui (ex-élève d’ Arsène Wenger à Nancy) dont les émoluments avoisinent les 15.000 euros par mois alors que le précédent sélectionneur, Sven-Goran Eriksson en palpait 300.000. De quoi mettre fin à cette vieille habitude du sorcier blanc souvent blacklisté dans les clubs européens ? Les Eléphants portent désormais le dossard de favori numéro un avec une demi face aux Aigles du Mali que beaucoup considèrent comme une formalité, d’autant que les joueurs de Giresse auront eu un jour de moins de récupération et un quart éprouvant remporté au bout des 120 minutes. La mission s’annonce plutôt difficile pour ces derniers. En face, les Ivoiriens auront pu faire tourner un effectif qui comptent des éléments comme Eboué ou Doumbia sur le banc.

Quand la Zambie flashe

La Zambie a, elle, aussi aisément rejoint les demis. Victorieux du Sénégal pour son premier match, les Chipolopolos (rien à voir avec des saucisses africaines) ont clôturé en tête le groupe A et ont balayé le Soudan en quarts (3-0). Réputé pour être une équipe très joueuse, le onze d’ Hervé Renard n’a aucun joueur de renom mais déploie peut-être le plus beau foot de cette CAN. Dédoublements, combinaisons, jeu à une touche de balle, la Zambie confirme ce qu’elle avait laissé entrevoir il y a deux ans en Angola, où elle avait été injustement sortie par le Nigéria en quarts de finale.

Comment passer sous silence, coach Renard, le flamboyant sélectionneur français, mélange de Bob Sinclar pour le côté beau gosse des plages méditerranéennes et de BHL, pour cette éternelle chemise blanche qu’il ressort à chaque rencontre. Mais Renard n’est pas qu’une pub L’Oréal. Disciple de Pierre Leroy, l’enfant d’Aix-les-Bains est réputé en Afrique pour abattre un très gros travail et être d’une fermeté extrême. Il n’a d’ailleurs pas hésité à exclure définitivement Clifford Mulenga de la sélection pour avoir trop joué des hanches sur les dancefloors durant la compétition. Une tendance cyclothymique et un défi physique trop important face aux molosses ivoiriens ou ghanéens ne devraient toutefois pas permettre aux Chipolopolos d’empocher le premier titre de leur histoire.

Le Ghana déçoit

Le Ghana compte lui quatre CAN en magasin, la dernière remontant cependant à 1982. Pour accéder au dernier carré, les Black Stars sont passés par le chas de l’aiguille. Ils ne doivent leur salut qu’à une bourde monumentale du gardien tunisien, Aymen Mathlouthi, dont profita André Ayew dans les prolongations (2-1). Restait encore à éviter les coups de tronçonneuses de plusieurs joueurs tunisiens…

L’équipe du Serbe Goran Stevanovic qui succéda (après l’intérim de Akwasi Appiah) à son compatriote Milovan Rajevac n’est pas aussi emballante que lors de la dernière Coupe du Monde où le Ghana avait été le meilleur représentant africain en se qualifiant pour les quarts de finale. Cette fois, on placerait davantage nos billes sur la bande à Drogba pour qui la consécration après plusieurs désillusions avec les Eléphants n’en serait que plus belle. Première réponse ce mercredi sur le coup de 22 h.

PAR THOMAS BRICMONT À LIBREVILLE (GABON)

 » J’ai l’impression qu’on assiste à des matches de foot de quartier. « 

(agent de joueurs présent à la CAN)

Depuis la prise en charge de François Zahoui, la Côte Ivoire affiche dix succès d’affilée en compétition officielle.

Comment passer sous silence, coach Renard, le flamboyant sélectionneur français de la Zambie, mélange de Bob Sinclar et de BHL.

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