Vivre sans les Bayat

Abbas Bayat :  » Je peux vendre la société du jour au lendemain. Dans le business, il n’y a rien d’impossible et tout peut aller vite. « 

A bbas Bayat aime se faire mal. Un peu, beaucoup, passionnément, à la folie. Mais jusqu’à quand tiendra-t-il ? Il faut désormais fouiller dans les ruelles les plus étroites et les plus sombres de Charleroi pour lui trouver des partisans. Il y est l’ennemi public n°1 et la façon dont il gère ce début de saison a achevé de le rendre complètement impopulaire.

Interrogé à propos de ses intentions avec le Sporting, il a récemment déclaré qu’il était susceptible de vendre sa société du jour au lendemain, que rien n’était impensable dans le business, que tout pouvait aller très vite. Il a aussi avoué son mécontentement face à la situation de crise actuelle :  » Ce n’est pas possible d’être satisfait avec ce qui se produit.  » Et si, demain, après-demain ou dans quelques mois, il plaquait tout ? Quel avenir, alors, pour le club ? En interrogeant des acteurs locaux qui comptent, on comprend rapidement que les repreneurs ne se bousculeraient pas.

Le monde économique est sceptique

Si le Sporting devait être repris par des entrepreneurs de la région, c’est probablement du côté du B4C qu’il faudrait les chercher. Ce club d’affaires, qui compte 130 membres, regroupe  » des entrepreneurs carolos animés par la volonté commune de revaloriser une région qui leur est chère « . Il a aussi l’ambition de  » créer un véritable réseau d’entreprises et de partenaires régionaux « .

Tout ce qui bouge et réussit dans la région de Charleroi est présent au B4C : compagnies d’assurances, banques, fiduciaires, notaires, avocats, enseignes de grande distribution, hôpitaux, sociétés de transports en commun, groupes automobiles, agences immobilières, etc. La Ville de Charleroi et l’aéroport y sont aussi représentés.

Thierry Henrot fait partie du BC4 en tant que Directeur Global Family Office de Fuchs & Associés, une société de gestion de patrimoine.  » Investir au Sporting n’est vraiment pas un sujet de discussion lors des réunions du BC4 « , avoue-t-il.  » J’imagine mal qu’on puisse y trouver des repreneurs…  »

Patron du Spiroudôme et homme qui se cache derrière les succès de l’équipe de basket de Charleroi, Eric Somme est également membre du B4C :  » Actuellement, je ne vois personne susceptible de racheter le Sporting. Quand j’avais convaincu Enzo Scifo de s’investir il y a dix ans, c’était déjà un petit miracle. Je pense que ce serait bien plus difficile aujourd’hui de trouver des repreneurs parce que la situation s’est encore compliquée entre-temps. Parce qu’il y a la crise. Parce qu’il n’y a plus l’attrait d’un stade complètement rénové, comme le Mambourg à la veille de l’EURO 2000. La Ville l’avait d’ailleurs proposé pour un loyer d’un euro symbolique. Et parce qu’il faudrait beaucoup d’argent pour reprendre. Au moment où Jean Pol Spaute s’est retiré, le passif était officiellement de 2 millions d’euros – mais il a grandi au fil des semaines et on s’est finalement aperçu qu’il fallait entre 5 et 6 millions pour boucher le trou. Qui serait prêt à se lancer aujourd’hui ? A part un mécène qui débarquerait du jour au lendemain, je ne vois personne dans la région. Tout le monde voit aussi que le public de Charleroi est tout sauf fanatique.  »

En 2003, le Sporting fut menacé de disparition. L’ONSS demandait sa mise en faillite et il fallait trouver d’urgence un million et demi pour le sauver. Jean-Claude Van Cauwenberghe (alors ministre-Président de la Région wallonne) et Jean-Jacques Cloquet (directeur commercial du club) avaient fait le tour des popotes et réussi à remplir l’enveloppe. Avec cette somme, ils souhaitaient racheter 51 % des parts du club. Mais Abbas Bayat avait comblé le trou in extremis à la surprise générale, ce qui lui permettait de rester seul maître à bord.

 » Nous avions réuni une quarantaine de petits investisseurs « , se souvient Cloquet, aujourd’hui directeur de l’aéroport de Charleroi.  » Refaire la même chose maintenant serait difficile. La première grande question est de connaître le prix du Sporting. Si le repreneur doit assumer l’emprunt bancaire – NDLA : il doit rester plus de 6 millions à rembourser – ça donnera déjà une forte moins-value au club.  »

Dans les entreprises qui avaient promis leur soutien en 2003, il y avait par exemple un gros bonnet du groupe Delhaize, Robert Wagner, Eric Mestdagh, les Bières de Chimay, l’entrepreneur de travaux publics Wanty, etc. On y trouvait pas mal d’amis de longue date de Van Cau.

 » On n’avait rassemblé qu’un million et demi alors que Van Cauwenberghe était le numéro 1 wallon à l’époque : c’est révélateur « , dit Somme.  » Il avait un poids énorme dans la vie économique et il avait sollicité toutes ses connaissances mais il n’avait pas été possible de trouver plus d’argent. Cela montre toute la difficulté de la tâche aujourd’hui. Les gens de la région qui ont de très gros moyens ont déjà été approchés mais ont toujours refusé d’investir massivement : Albert Frère, Wagner, le groupe Mestdagh. Si on refaisait aujourd’hui la même démarche qu’en 2003 en contactant des petits investisseurs, je ne suis pas sûr qu’on trouverait un million. Le Sporting a une image égratignée, on a vu lors des bonnes années avec Jacky Mathijssen qu’il ne suffisait même pas de finir dans le top 5 pour faire exploser la moyenne de spectateurs et le Sporting n’a pratiquement aucune chance de débusquer un sponsor principal qui lui apporterait un million ou un million et demi par saison. Donc, c’est très compliqué. Et je crains le pire pour le club en cas de départ des Bayat.  »

Mauvais chef d’orchestre, pas de projet, pathétique

Simon Bullman, propriétaire du groupe automobile du même nom (des garages Peugeot dans la région de Charleroi, dans le Brabant wallon et à Bruxelles, près de 140 personnes employées), est président du B4C et a longtemps été un important sponsor du Sporting sous l’ère Bayat.  » Je ne compte pas l’argent que j’ai mis dans le club « , lance-t-il.  » J’ai sponsorisé le Sporting pendant sept ou huit ans, j’ai mis jusqu’à une trentaine de voitures à sa disposition et je donnais aussi de l’argent cash.  »

Jusqu’au jour où il s’est brouillé avec la famille Bayat et a renvoyé la place qu’on lui avait offerte en tribune d’honneur :  » Aussi longtemps qu’ils seront au Sporting, je n’y mettrai plus un pied. Ils ont tenu des propos déplacés en parlant de moi, ils ont perdu mon respect. « 

Bullman a déjà entendu des bruits selon lesquels Mogi Bayat négocierait pour reprendre le club à son oncle mais ne croit guère au départ d’Abbas.  » C’est un président plénipotentiaire, il se sent dans la peau d’un chef d’orchestre qui ne serait plus compris par ses musiciens mais il veut garder la baguette. Plus d’une fois dans le passé, on a cru qu’il allait faire profil bas, mais il s’est finalement toujours accroché à son fauteuil. Abbas Bayat a sauvé le club en 2000, c’est sûr. Mais on ne peut pas non plus revenir avec ça ad vitam aeternam et lui faire une statue à Charleroi. Il faut voir la réalité en face. Les résultats sportifs sont très mauvais et il ne voit que le rapport financier alors qu’un club de foot doit tenir compte d’autres éléments. Il veut diriger le Sporting comme une société anonyme, mais une bonne SA a un projet. Or, ce club n’en a pas. Les gens de la région ne se reconnaissent plus dans sa politique. Il n’y a plus aucune couleur, les entraîneurs valsent, c’est devenu assez pathétique.  »

Quand il a tourné le dos au Sporting, Bullman a lâché aux Bayat :  » Vous ne m’empêcherez pas de rester supporter.  » Et plus ?  » Comme beaucoup de Carolos, je suis triste, frustré par la situation actuelle. Je me bats pour revaloriser l’image de Charleroi et la santé de ce club peut y contribuer. « 

Il n’exclut donc pas un nouvel investissement personnel en cas de départ de la direction actuelle :  » Si un projet costaud et crédible voyait le jour, je pourrais y participer. Je n’en serais pas le moteur mais je pourrais en faire partie. Mais l’idéal serait qu’une grande société nationale ou internationale reprenne les choses en mains. « 

La Ville ne poussera plus le Sporting dans les bras d’un businessman

Il y a dix ans, la Ville avait littéralement poussé le Sporting dans les bras d’Abbas Bayat. Une initiative pareille serait-elle encore envisageable aujourd’hui, si le président s’en allait ?

 » Ce n’est pas le rôle des autorités communales « , répond Eric Massin, proche de la réalité du club vu sa fonction d’échevin de la Régie foncière notamment.  » Nous devons seulement nous contenter d’offrir au club les meilleures conditions pour son épanouissement : en mobilisant des policiers les soirs de matches, en effectuant des travaux dans le stade, en installant une pelouse chauffée, etc.  »

Massin ne répond pas quand on lui demande si le départ des Bayat est souhaitable. Il ne sait pas non plus si ce départ est probable. Et il s’interroge sur l’avenir du club en cas de fuite de la famille :  » Il faut toujours y croire. Il y a bien des investisseurs anglais qui se sont installés à l’Olympic. Tant qu’on évite les Chinois… Mais c’est clair qu’il est toujours préférable d’avoir un lien fort entre un club et sa région. C’est le cas à Liège, à Bruges, à Lens, à Lille, à Lyon,… Il faut rester optimiste et croire qu’il y a toujours des gens du coin susceptibles de s’impliquer au Sporting. « 

Mais l’échevin ne peut citer aucun nom :  » Personne n’est encore venu me dire qu’il était prêt à mettre de l’argent dans le club en cas de départ des Bayat. Beaucoup d’investisseurs s’étaient manifestés en 2003 mais je me demande si un deuxième miracle pareil est possible aujourd’hui. « 

Du temps de Spaute, la Ville avait un siège d’observateur au conseil d’administration du club.  » Cela avait permis de mettre la pression sur Spaute et il avait fini par s’en aller « , se souvient Massin.  » Un observateur peut faire un rapport aux autorités dès qu’il y a un dérapage. « 

Sur la gestion actuelle, il a un avis tranché mais l’émet avec les réserves d’usage :  » Je comprends qu’un président de club ne soit pas là pour perdre de l’argent. Le temps des mécènes est terminé. D’un autre côté, il faut veiller à conserver un certain engouement. Le foot, c’est aussi du spectacle, du pain, des jeux, etc. Le Sporting doit rendre une certaine priorité à l’aspect émotionnel. Aujourd’hui, c’est le Spiroudôme qui est couru par les personnalités, plus le Mambourg. Les acteurs socio-économiques vont au basket plutôt qu’au foot. Parce que chez les Spirou, il y a de l’ambiance, des résultats, une dynamique positive. Mogi et Mehdi Bayat voudraient refaire la même chose au Sporting mais est-ce qu’on leur donne les moyens financiers pour y parvenir ? »

Les supporters envoient des mails aux sponsors et parlent de boycott

Des supporters qui exigent le départ d’Abbas Bayat se sont manifestés à quelques mètres de lui, dans la tribune principale, pendant le match contre le Lierse.  » Il est fort possible que nous le fassions encore « , nous dit un de leurs représentants.  » Et à plus grande échelle.  » Ils ont une revendication très claire :  » Nous voulons que Bayat nous communique le prix pour lequel il est disposé à remettre le club. Nous sommes occupés à contacter des investisseurs potentiels pour les sensibiliser. « 

Des actions violentes ne sont pas exclues.  » Ce sera déjà la révolte si le président vire des gens qui sont plus compétents que lui, comme ses neveux, Pierre-Yves Hendrickx ou Raymond Mommens.  » Autre initiative envisagée : le boycott de certains sponsors.  » Nous voudrions qu’ils aient l’intelligence de nous rencontrer. Nous voudrions leur demander s’ils ont encore l’intention de mettre beaucoup d’argent là-dedans. Et s’il le faut, nous lancerons un appel au boycott des produits Sunnyland, par exemple. Ou nous irons à l’entrée des magasins de la chaîne qui sponsorise le Sporting et nous nous ferons entendre.  »

par pierre danvoye

« Abbas Bayat est un président incompris mais il veut garder la baguette. (Simon Bullman, ancien sponsor) »

« Supporters : après les banderoles assassines, place à la violence ? »

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