VIVRE ensemble ?

Limogé par les Loups après avoir frappé un expert à la sortie d’un débat télévisé, le médian belgo-marocain nous avait donné une interview quelques jours avant les faits.

Pour moi, l’Islam, c’est la paix. Je pense que toutes les cultures peuvent s’entendre et vivre ensemble « . Tels étaient les propos tenus dans un entretien exclusif par Rachid Belabed (23 ans), quelques jours avant son arrestation pour coups et blessures. Des propos tolérants et ouverts à l’image de l’impression d’ensemble laissée par le joueur. Depuis, de l’eau a coulé sur les ponts. Le dimanche 12 septembre, le joueur de La Louvière, décidait de se rendre à RTL, après avoir regardé à son domicile sur la chaîne privée le débat Lutter contre le terrorisme, un impossible combat ?

A la sortie de RTL, Belabed s’expliqua avec Claude Moniquet, directeur du centre européen pour le renseignement stratégique et la sécurité, et intervenant au débat. Après lui avoir reproché d’être un ennemi de l’Islam et un raciste, Belabed lui assénait plusieurs coups.  » Il m’a d’abord porté un coup à la tempe puis je suis tombé, je me suis protégé car il continuait à me frapper du pied « , dit Claude Moniquet qui s’est porté partie civile et demande des dommages et intérêts. Résultat : commotion cérébrale et 18 jours d’arrêt de travail. Arrêté par la police pour coups et blessures volontaires avec incapacité de travail, Belabed a été placé en cellule à la prison de Forest.

Le jour suivant, son employeur louviérois décidait de le limoger  » pour cause de motif grave, ne pouvant tolérer un tel comportement contraire aux valeurs démocratiques. Rachid Belabed s’est rendu coupable de faits inacceptables et injustifiables « . Une décision également motivée par le caractère récidiviste du joueur puisque Belabed avait déjà défrayé la chronique en disparaissant six jours sans donner de nouvelles, en janvier 2003 et en s’en prenant à un médecin du club, il y a un mois. Il avait notamment cassé son GSM dans un accès de colère et le médecin avait été en fin de compte dissuadé par le club de porter plainte contre le joueur.

 » L’image du club a été bafouée « , explique Stéphane Pauwels, le manager des Loups.  » Les relations entre la RAAL et Rachid Belabed souffrent de quelques antécédents « , rajoute Me Denis, avocat du club.  » Les événements du dimanche 12 servent de goutte d’eau qui fait déborder le vase. S’il s’était agi d’un événement isolé, nous aurions pensé d’abord à la négociation. Le club veut faire comprendre que le joueur sert de modèle et ne peut se laisser aller à un tel comportement. Cependant, ce renvoi n’a aucune connotation religieuse ni politique. Nous aurions agi de la sorte avec n’importe quel joueur. Nous ne voulons pas faire de Belabed un martyr « , continue Me Denis.

Pourtant, ce joueur, qui a participé à trois finales de Coupe (une Scottish League Cup et une Cup perdue avec Aberdeen, une Coupe de Belgique gagnée avec La Louvière) s’était livré à nous en toute tranquillité dans les jours précédents son arrestation. Il nous avait parlé de son rôle de guide dans son quartier d’Anderlecht, de ses liens familiaux, de son éducation, de ses expériences à l’étranger et de sa foi en l’avenir. Avant un geste qui risque de mettre sa carrière en péril. S’en remettra-t-il ?

 » Son propre père condamne son geste « , nous explique un proche de la famille.  » Et plus sa bêtise sera médiatisée, plus le joueur aura du mal à se relever. De toute façon, vis-à-vis de sa victime, c’est indécent de parler de son futur sportif pour le moment « .

Bon, cela étant écrit. Voici la relation de l’entretien que nous avions eu avec Rachid avant le lamentable épisode.

Explique-nous quel fut ton parcours avant de partir à Aberdeen ?

J’ai été formé à Anderlecht car j’habitais dans le quartier. Mon père m’a toujours suivi. Lors de certains matches, alors qu’il faisait -10° en plein hiver, il était présent au bord du terrain alors que les autres parents se réchauffaient à la buvette. Mes parents se sont battus pour nous donner une éducation. J’ai cinq petits frères, dont l’un joue back droit à Diegem. Les autres se sont tournés vers les arts martiaux pour ne pas traîner dans la rue.

On te sent admiratif et reconnaissant envers tes parents.

Ils m’ont tout donné. Et c’est pour eux que j’ai acheté une maison à Taffourel au Maroc, dans les montagnes près de la frontière algérienne afin d’avoir un pied-à-terre dans leur pays. Je voulais faire un geste pour eux mais je sais bien que je pourrais leur offrir tout l’or du monde que cela ne compenserait pas les sacrifices consentis pour moi.

Lorsque tu as dû choisir une sélection, tu as privilégié le Maroc. Pourquoi ?

Je devais aller jouer avec les -19 ans belges en Slovaquie mais j’ai reçu une convocation du Maroc au même moment. Je me sens profondément intégré en Belgique mais le Maroc reste mon pays. C’est là que se trouvent mes racines.

Que t’ont appris tes autres expériences ?

Après Anderlecht, je suis parti à Molenbeek à 17 ans. J’ai joué 7 matches en D2 puis Aberdeen a voulu m’acheter. Les Ecossais proposaient une bonne somme à Molenbeek et je me suis retrouvé dans un autre monde. Même si j’étais jeune, je voulais découvrir une autre culture, un peu comme un étudiant qui part quelques mois faire ses études à l’étranger. J’étais devenu le chouchou du public. Après les matches, c’était vraiment la fête. Et je ne me suis jamais senti exclu même si j’étais musulman. On sait que l’alcool a une grande importance dans l’après-match britannique, mais je participais à la fête au jus d’orange et personne ne m’en tenait rigueur. On respectait aussi mon choix de faire le ramadan. J’étais le premier Marocain à évoluer en Ecosse et j’ai servi de défricheur pour des joueurs comme Youssef Rossi et Saïd Chiba.

Que faisais-tu en dehors des matches ?

Je suis un passionné de nature. On partait avec des amis faire des grandes randonnées dans les Highlands, le long du Loch Ness. J’ai appris aussi à jouer au golf et je partais avec d’autres joueurs tester le parcours mythique de St-Andrews.

Tu as laissé de bons souvenirs en Ecosse ?

J’y retourne encore quelques fois. J’étais très apprécié dans la communauté musulmane d’Aberdeen et à chaque fois, les supporters me demandent quand je reviens jouer pour leur club. Lorsque j’y évoluais encore, je me faisais tout le temps aborder. C’est d’ailleurs comme cela que j’ai appris l’anglais. Je me devais de répondre aux supporters. J’espère d’ailleurs que ma carrière me reconduira un jour en Ecosse.

Pourquoi es-tu revenu en Belgique ?

Car je n’avais pas encore goûté à la D1 belge. J’étais parti très jeune et Ariel Jacobs qui m’avait lancé à Molenbeek, m’a proposé de revenir et de reprendre la place de Manu Karagiannis. Mon expérience en Ecosse m’avait donné un bon jeu de tête. Je suis un arracheur de ballon mais je sais également donner de longues balles à 30 mètres car un médian défensif moderne doit également construire.

Après une première très bonne saison, tu as connu une saison blanche à cause d’une blessure à la cheville ?

C’est vrai. J’ai appris qu’il fallait être très fort mais j’ai pu compter sur le soutien inconditionnel de ma famille. Toute cette histoire est désormais derrière moi. On m’a enlevé mon plâtre, il y a trois semaines et je serai d’attaque en novembre. A 23 ans, j’ai encore tout l’avenir devant moi. La revalidation se passe bien. Je suis impatient de reprendre et de montrer toutes mes qualités -NDLR : au moment de l’interview, le joueur était encore employé par les Loups.

Tu seras pourtant en concurrence avec des joueurs qui se sont imposés ?

La concurrence fait partie du football. Et si tu ne peux pas vivre avec cela, tu arrêtes. C’est le rôle du joueur de rendre au sélectionneur la tâche difficile en lui montrant ce qu’il vaut.

Tu travailles à La Louvière mais tu vis toujours à Anderlecht ?

J’aime ce quartier. Bruxelles est une ville multiculturelle et j’y compte tous mes amis. De plus, je veux montrer à la communauté maghrébine qu’à force de travail et d’abnégation, on peut réussir. Je veux être un signe d’espoir pour tous ces jeunes…

Stéphane Vande Velde

 » Je veux être un signe d’espoir  »

disait Belabed quelques jours

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