VITESSE ET PRÉCIPITATION

En neuf rencontres, l’ère José Riga II a déjà livré ses premières vérités. Parce qu’à l’image d’Imoh Ezekiel, tout va très vite à Sclessin. Surtout cette quête inachevée d’un système parfait.

« On a eu des problèmes dans des matches comme à Westerlo ou au Lierse. On veut améliorer la consistance de notre jeu.  » Devant un parterre de journalistes encore groggys, Axel Lawarée annonce que José Riga va enfiler le costume de T1 à la place d’Ivan Vukomanovic. Et comme le bilan comptable est bon, les justifications se cherchent ailleurs. Une question de  » consistance  » et une histoire de  » fond de jeu  » répétée par Bruno Venanzi quelques heures plus tard, sur le plateau de La Tribune :  » Si on avait gagné 0-4 au Lierse avec un fond de jeu, peut-être qu’Ivan Vukomanovic serait toujours T1.  »

Le problème est identifié : le Standard sauce Vuko serait incapable de marcher sur les rencontres présumées faciles. Impuissant à l’heure de maîtriser l’écriture d’une rencontre du premier au dernier chapitre, avec le ballon en guise de crayon. Examinés de plus près, les chiffres parlent en effet différemment. S’il présente un bilan exceptionnel de 18/21 dans les rencontres où il a laissé le ballon à l’adversaire, Vukomanovic fait  » seulement  » 10/18 quand la possession de balle des Rouches dépasse les 50 %. Une incapacité chronique à imposer son jeu qui pousse le duo Venanzi-Lawarée à sortir le lapin Riga de leur chapeau. Avec une mission : permettre au Standard d’écrire sa propre histoire. José Riga prend la plume, et se prépare à esquisser  » son  » Standard.

Julien de Sart, le premier jet

Deux bons mois et neuf matches pas toujours bons plus tard, le brouillon de Riga est de plus en plus propre. La victoire contre Anderlecht ressemblait même à une copie parfaite. Après la rencontre, le coach rappelle d’ailleurs un mot cher à Lawarée :  » On cherchait de la consistance et de l’équilibre, ce qu’on a désormais trouvé.  » Les Rouches ont piétiné le Sporting, et d’aucuns oublient déjà l’imprévisibilité des play-offs pour faire du Standard un candidat au titre. Parce que Riga semble avoir trouvé cette  » formule qui permet de passer à travers tout « dont il parlait à Sport/Foot Magazine avant les PO1. Cette forme de refus orgueilleux de s’adapter à l’adversaire qui avait permis à GuyLuzon de survoler la phase classique l’an dernier, puis à BesnikHasi de braquer les play-offs.

L’idée de José Riga n’a rien de révolutionnaire. Pas besoin de génie tactique pour mettre en place un 4-4-2 où la vitesse d’Imoh Ezekiel effraie l’adversaire et permet à MehdiCarcela de trouver plus d’espaces. Le pressing tout-terrain du Nigérian permet aussi à Julien de Sart de faire son retour dans le onze de base. Dans un autre registre, Ezekiel est à Julien ce que CheikhouKouyaté était à YouriTielemans l’an dernier. Un pressing intensif pour libérer de bons pieds.

La titularisation de Julien de Sart est le premier choix marquant de José Riga. C’est loin d’être un hasard s’il prend la place de Ricardo Faty, qui était devenu le joueur central du système Vuko. Le message est clair : moins de muscles et de centimètres, pour tellement plus d’amour du ballon.  » Julien est un des rares dans l’entrejeu à voir long « ,nous racontait José Riga.  » Il a une précision dans la passe et fait respirer le jeu.  » Des qualités terriblement complémentaires avec celles d’Imoh Ezekiel. Sur le plateau de La Tribune, Riga raconte sa flèche nigériane :  » Son profil, avec de la profondeur et de la vitesse, nous manquait parce que sans lui, on a parfois du mal sur le jeu long et dans l’espace.  »

Pour le premier jet de son deuxième tome rouche, Riga choisit donc de Sart et Ezekiel comme personnages principaux. Avec trois passes décisives, le milieu de terrain est le meilleur passeur de l’ère Riga II. Quatre fois buteur (sans oublier deux assists), Imoh Ezekiel est celui qui fait le plus trembler les filets.

L’imprévisible Carcela

Si le Nigérian n’a pas cessé de régner malgré sa blessure, l’étoile de Julien de Sart a pâli depuis ses débuts en fanfare. Ses trois passes décisives ont été délivrées lors des deux premiers matches sous Riga. Depuis, il n’y a eu que cette frappe stratosphérique contre Genk. Il y a surtout eu une présence sur le banc lors du récital face à Anderlecht. Après Faty, c’est Eyong Enoh qui a dribblé de Sart pour s’installer aux côtés d’AdrienTrebel. Une question de muscles et d’équilibre. Parce que même s’il aime un peu plus le ballon que ses deux prédécesseurs, José Riga reste un adepte du 4-4-2 avec deux lignes de quatre bien organisées, et des offensives rapides organisées autour de joueurs taillés pour faire la différence.

L’analyse des quatorze buts inscrits par le Standard depuis la prise de pouvoir du nouveau T1 est significative : mis à part le tir lointain de Julien de Sart contre Genk et le penalty de Geoffrey MujangiBia face à Gand, tous ont directement impliqué Imoh Ezekiel ou Mehdi Carcela dans leur construction. En épousant la ligne de touche avant de rentrer dans le jeu balle au pied, le Marocain fait exploser les défenses adverses. Héros de la fin de rencontre face à Waasland-Beveren, il avait d’ailleurs été adoubé par son coach :  » Il faut laisser une certaine liberté à un joueur comme lui, de la liberté d’expression. Parce que l’imprévisibilité fait plaisir dans le football.  »

Riga aime ce qu’on appelle les joueurs d’action. Ceux auxquels supporters et entraîneurs crient  » actie «  de l’autre côté de la frontière linguistique, une fois qu’ils entrent dans les trente derniers mètres. Quand il doit évoquer les problèmes de Mujangi Bia avec le public, le mentor des Rouches explique d’ailleurs qu’il faut  » pouvoir admettre d’un joueur décisif qu’il prenne des risques, et qu’on ne peut pas tout réussir.  »

Joue-la comme Luzon

La griffe de Riga est finalement très simple. Et ressemble furieusement au système mis en place par Guy Luzon la saison dernière. Une ligne défensive solide, avec un apport des latéraux plus important que sous Vukomanovic : DarwinAndrade et MartinMilec ont chacun offert un centre synonyme de but depuis le début de l’ère Riga II, alors que les latéraux ne sont jamais apparus sur les feuilles de stats du Standard sauce Vuko.

Au milieu, Adrien Trebel ressemble de plus en plus à William Vainqueur. Le Français a reculé d’un cran avec José Riga, perdant son impact direct sur le jeu (un seul but en neuf matches, contre trois passes décisives en treize rencontres dans le 4-2-3-1 de Vukomanovic) mais rayonnant un cran plus bas, que ce soit avec de Sart ou grâce à Enoh. Les muscles et la relance propre du Camerounais ont apporté ce qu’il manquait d’équilibre au milieu de terrain, orphelin d’un 6 de métier quand Trebel et de Sart pensaient plus à animer le jeu qu’à fermer les portes de leur but.

Et puis, il y a donc le quatre offensif. Un carré d’as chargé de faire la différence sur chacune de ses actions, avec des folies et du déchet. Igor De Camargo se met surtout au service des autres, lui qui a perdu de l’importance statistique dans la zone de vérité depuis le retour de Riga… et d’Ezekiel. Auteur de quatre buts sous Luzon et cinq fois buteur avec Vukomanovic, le Belgo-Brésilien est muet depuis son but face au RMP, mais sert à la fois de point d’ancrage et de rampe de lancement à Carcela, Bia et Ezekiel. Le De Camargo de Riga présente les moins bons chiffres, mais est sans doute le meilleur De Camargo de la saison.

La comparaison du rendement des joueurs sous Vukomanovic et depuis l’arrivée de Riga livre donc une vérité majeure : Ezekiel et Carcela ont pris les rênes de l’équipe depuis le retour de José Riga à Sclessin. Deux armes sur lesquelles ne pouvait pas compter le coach serbe, qui mettait plutôt son jeu offensif entre les pieds de Paul-José Mpoku (auteur de trois buts et quatre assists en treize rencontres) et de Geoffrey Mujangi Bia (cinq buts et trois passes décisives).

Maîtrise et possession

Au-delà de cette comparaison périlleuse entre deux généraux qui ne peuvent pas compter sur les mêmes soldats, il faut donc distinguer les idées. Celles d’un Vukomanovic pragmatique face à un José Riga promu pour sa plus grande maîtrise des événements.

Une philosophie présentée par l’intéressé à la RTBF :  » Je pars toujours du principe que le fait de maîtriser l’adversaire par la maîtrise du jeu apporte aussi une confiance collective. Maintenant, la possession pour la possession, ça ne sert à rien, mais je pense qu’une équipe grandit à travers ça.  » Là où Vukomanovic laissait volontiers le ballon à l’adversaire pour mieux le lui reprendre, Riga fait donc office de boulimique. Moins de Faty, plus de Julien de Sart.  » Le coach nous demande de faire circuler rapidement le ballon, et surtout de presser l’adversaire très haut en perte de balle « , confirme d’ailleurs Adrien Trebel après la victoire face à Mouscron-Péruwelz. Un match conclu par les Rouches avec… 48 % de possession de balle. Le chiffre prête à sourire, mais est incontestablement influencé par les circonstances du match, et les trois buts précoces inscrits par un Standard ensuite sur du velours.

Si le Standard griffé Riga a engrangé la totalité des points quand il avait plus de 50 % de possession de balle, le phénomène ne s’est curieusement produit que deux fois en neuf rencontres. Face au Cercle et à Waasland-Beveren, franchement pas réputés pour leur amour du tiki-taka. Mais une nouvelle fois, la comparaison est trompeuse. Face aux trois grands (Anderlecht, Bruges et Gand), le Standard de Vukomanovic avait engrangé six points sur neuf avec 40,3 % de possession de balle moyenne. Celui de Riga n’a pris que trois unités, mais a tenu le ballon 46,3 % du temps. Pour se sentir maître d’une rencontre, le nouveau coach des Rouches a besoin de voir les siens toucher le ballon plus souvent.

Cette identité plus  » marquée  » est criante dans la comparaison du bilan des trois entraîneurs qui se sont succédé sur le banc de Sclessin cette saison. Avec José Riga, le Standard tire sensiblement plus souvent au but (12,3 tirs par rencontre), se procure plus de corners (4,9 par match) et garde plus le ballon (49,7 %). Difficile, cependant, de conserver l’équilibre d’une équipe quand on lui demande de changer de philosophie. Le bilan presque parfait de Vukomanovic  » sans la possession  » (18/21) est devenu bien moins reluisant sous José Riga, qui échoue sous la moyenne quand son équipe ne maîtrise pas la sphère (10/21).

Ezekiel et ses limites

Surtout, son Standard marque moins. Plus de tirs, mais tellement moins de justesse. Avec quatorze buts en neuf matches (1,55 par rencontre), les Rouches de Riga sont bien moins efficaces que ceux de Vukomanovic (1,62), lui-même moins spectaculaire que Luzon (1,72). Ce n’est pourtant pas faute d’essayer, puisque le Standard de l’ère Riga II est celui qui tire le plus souvent au but. Le problème, c’est qu’il ne marque qu’une fois tous les huit tirs. Le fameux déchet inexorable des  » joueurs d’action  » si chers à José Riga, lui qui avouait sur les ondes de Vivacité qu’il aimait beaucoup  » le profil de Moses Simon « quand on lui demandait quel joueur des play-offs il souhaiterait avoir dans son effectif.

C’est d’ailleurs face à La Gantoise que ce 4-4-2, si impressionnant face à Anderlecht, a fini par afficher ses limites. Privé de Carcela, José Riga a sorti Trebel de l’entrejeu pour le placer sur le côté droit. S’il a plaidé le off-day et le manque d’agressivité de ses joueurs, le coach a sans doute constaté qu’en l’absence de son maestro marocain, ce système-là ne lui permettait pas encore de rouler sur la concurrence. Malgré Imoh Ezekiel.

Dans chaque équipe, on trouve un joueur qui incarne plus que les autres la philosophie de l’entraîneur. Et même si Carcela est déterminant, il doit laisser ce rôle à Imoh Ezekiel dans l’esprit de José Riga. Parce que c’est le Nigérian qui détermine toutes les potentialités du système Riga :  » Sa présence fait reculer les défenses, qui réduisent l’espace dans leur dos vu sa vitesse. « Un paramètre essentiel, puisqu’il permet à De Camargo de reculer hors de l’emprise des arrières centraux, à Carcela et Bia de rentrer dans le jeu entre les lignes et aux arrières latéraux de meubler les flancs désertés par les faux ailiers. Tout cela est impossible sans Imoh Ezekiel. Sans lui, Riga doit adapter son système, et sortir ce 4-2-3-1 qui a tellement ennuyé Bruges.

La présentation de José Riga à Sclessin a été maladroite. Parce que les sous-entendus permettaient au public d’attendre un football de possession. Comme si on avait demandé à José Riga de faire du beau jeu.  » Je ne pense pas qu’on m’ait demandé ça « ,nous répondait d’ailleurs le coach des Rouches avant les play-offs.  » Ils m’ont demandé plus de régularité et de stabilité dans les prestations. « Soit la quête de ce fameux système qui permet de passer à travers tout. Et là, l’idée devenait compréhensible. Parce que Luzon avait ce système la saison dernière, mais il l’avait trouvé trop tôt, laissant le temps aux adversaires de s’adapter en vue des play-offs. Besnik Hasi, lui, avait trouvé son 4-4-2 organisé autour de Kouyaté dans le sprint final. Suffisant pour décrocher le titre. Le Standard espérait-il secrètement en faire de même avec José Riga ?

Le problème, c’est qu’Hein Vanhaezebrouck a refermé la porte au nez d’un Standard qui pensait avoir trouvé la clé. Le coach gantois le sait, comme tous ceux qui regardent la Pro League de près : la philosophie de José Riga, c’est moins le ballon que la vitesse. La circulation de balle n’est qu’un prétexte pour faire sortir l’adversaire et ouvrir une fenêtre de tir pour offrir de grands espaces à Imoh Ezekiel. Une arme si redoutable qu’elle permet aux Rouches de marquer des buts dans toutes les situations. Parce que même sans maîtrise du jeu, un dégagement en chandelle peut devenir une occasion de but quand Ezekiel et De Camargo sont dans les parages.

Vanhaezebrouck le savait. Et il savait aussi comment annuler Imoh Ezekiel. Dès la perte de balle, les Gantois se ruaient sur le ballon pour empêcher la passe dans la course du Nigérian. Même les pieds de Yohann Thuram n’étaient pas ménagés par le pressing buffalo. Le jeu long de Julien de Sart avait évidemment droit à un traitement de faveur, si bien que ses ballons ont trouvé la touche bien plus souvent qu’à l’accoutumée. La Gantoise a égratigné la griffe de José Riga. Jamais, avec Imoh Ezekiel sur le terrain, son Standard n’avait si peu maîtrisé son sujet. Il est peut-être déjà l’heure de trouver un plan B.

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS : BELGAIMAGE

Imoh Ezekiel est celui qui détermine toutes les potentialités du système Riga.

Si le Standard griffé Riga a engrangé la totalité des points quand il avait plus de 50 % de possession de balle, le phénomène ne s’est produit que deux fois en neuf rencontres.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire