Vitesse d’exécution

Voici comment le coach de l’équipe d’Allemagne s’attache à gommer les dernières limites du jeu de son pays.

Il y a un an, l’entraîneur de l’équipe d’Allemagne Joachim Löw se remettait doucement de la défaite en finale de l’EURO à Vienne. Le 29 juin exactement, un peu passé 21 h 15, Fernando Torres marquait un but qui permettait à l’Espagne de devenir championne d’Europe. C’était la deuxième défaite allemande depuis le début de la compétition après le 1-2 encaissé face à la Croatie dans son groupe B où elle avait aussi battu la Pologne 2-1 et l’Autriche 1-0. Ensuite, la Mannschaft alignait le Portugal et la Turquie en quarts et en demi-finale, chaque fois par 3-2.

Rencontré à la veille de la finale de la Coupe de l’UEFA à Istanbul en mai, le coach dandy nous jurait qu’il avait évacué toute déception, tout occupé qu’il est par les défis contemporains de son équip.

Pour l’instant, vous êtes premier du Groupe 4 pour l’Afrique du Sud avec un point d’avance sur la Russie, que vous avez battue chez vous et rencontrez le 10 octobre à Moscou. Avec crainte ?

Joachim Löw : Disons que ce qui m’impressionne le plus dans l’équipe russe, c’est la vitesse d’exécution. C’est ça qui fait sa force et c’est le résultat de la vision de Guus Hiddink, un coach que j’ai toujours trouvé excellent. Ce sera difficile de terminer premier du groupe, mais c’est le but.

Si jamais ça tournait mal en Russie, vous pourriez toujours vous rattraper contre la Finlande, quatre jours plus tard, en Allemagne. Mais c’est contre l’équipe scandinave que vous aviez perdu deux points en n’obtenant qu’un 3-3… alors que la Russie y avait gagné 0-3 !

Ce qui est positif dans le foot scandinave, c’est que les équipes sont toujours très bien organisées et hyper motivées d’un bout à l’autre des matches. Là-bas, nous avons raté des occasions et ils ont eu un peu de réussite. Cela a suffi pour nous bloquer. Mais je rassure tout le monde, l’atmosphère est toujours au beau fixe en équipe d’Allemagne…

Faillite allemande en Champions League

On a pourtant l’impression que son niveau souffre du fait que trop peu de ses joueurs évoluent en Champions League avec leurs clubs et manquent du coup, un peu de niveau.

C’est très vrai. Dans toutes les grandes équipes, on voit surtout de Brésiliens, des Espagnols, des Anglais… et pas assez d’Allemands. Dans la guerre des grands clubs, il y a le Bayern, Michael Ballack à Chelsea et on tire l’échelle. Quand je comparais mon équipe à celle d’Espagne en finale à Vienne, j’avais calculé que 80 % des Espagnols jouaient en Champions League contre 20 % de mon équipe ! Heureusement qu’il y a encore beaucoup d’Allemands actifs en Bundesliga, autrement je ne sais pas où j’irais trouver des joueurs de haut niveau.

Vous êtes donc forcé de visionner beaucoup de clubs en Bundesliga…

Bien sûr : il y a quand même beaucoup de jeunes Allemands prometteurs à suivre en dehors du Bayern et du Werder Brême !

Cela vous dirait de coacher, à la fois, l’Allemagne et un club, comme Hiddink l’a fait ?

Non, pour moi ce serait très difficile. Je n’ai qu’un cerveau ! Je dois déjà m’occuper de l’organisation de mon équipe, du suivi complet d’une vingtaine de joueurs, des médias et du travail avec ma fédération pour l’avenir. Je me vois mal faire ça de manière approfondie, tout en coachant une grande équipe en Champions League… De plus, ma manière de préparer mon équipe bouffe beaucoup de temps. Avant l’EURO, on a été ensemble pendant huit semaines !

Parce que vous déléguez mal ?

Non, parce que ma philosophie de travail est de voir évoluer tous les joueurs moi-même. Mes assistants font de même. Puis, on analyse les tactiques, les systèmes, les personnalités. Et ce n’est qu’en confrontant nos opinions sur un travail de scouting personnel qu’on peut vraiment avoir une image parfaite des joueurs.

Accélérer la technique

Comme assistant de Klinsmann, vous avez terminé troisième du dernier Mondial et deuxième l’an dernier, à l’EURO. Que manque-t-il aux joueurs allemands ?

Ce qui manque à la Bundesliga, la vitesse d’exécution. Plus les équipes sont fortes, plus elles basent leur jeu sur la vitesse. Je ne vais pas rentrer dans les détails, mais j’analyse énormément de matches sur base d’images et je chronomètre les attaques… C’est édifiant. D’après moi, Alex Ferguson a construit ses succès à Manchester United en se basant surtout sur la vitesse de jeu. Arsène Wenger veut l’imiter à Arsenal car la technique ne suffit pas en elle-même. L’hiver dernier, j’ai assisté à plusieurs entraînements du FC Barcelone et là, j’ai pu me rendre compte qu’outre le contrôle du ballon, tout était basé sur la vitesse. J’y ai aussi vu un match d’entraînement très édifiant entre les -17 ans du Barça et l’équipe A. Dans l’approche du jeu, il n’y avait aucune différence. On accélérait tout le temps la conduite du ballon et les combinaisons courtes. Un tempo infernal. En tant qu’entraîneur, c’est cela mon credo : vitesse plus technique. Employer autant ses pieds que son cerveau…

C’est facile de faire travailler les entraîneurs allemands de Bundesliga dans ce sens ?

C’est évidemment mon but qu’on ait tous une philosophie de jeu identique pour faire progresser le foot allemand dans son ensemble. Mais ce n’est pas facile, parce que chacun a la sensation que sa conception est la meilleure. Cela dit, tout se passe dans une ambiance d’ouverture et de franchise. On échange nos informations et j’essaye de les persuader de mes points de vue.

Vous trouvez qu’il y a trop d’étrangers en Bundesliga ?

C’est parfois un problème parce que du fait de cette présence étrangère, certains très bons jeunes Allemands ne jouent pas. Cela dit, je suis d’accord pour dire que les étrangers peuvent être très importants pour le succès de notre championnat. Comment dire le contraire quand on voit ce que des Franck Ribéry et Diego ont apporté au Bayern et au Werder, par exemple ? Mais d’un autre côté, il y a tant d’étrangers moyens… En plus, cela crée des problèmes d’identification pour le public. Heureusement, il y a des clubs qui travaillent dur à bien former leurs jeunes comme Stuttgart. Qui a compris aussi que cela ne sert à rien de former des joueurs et de ne pas leur donner leur chance. Prenez l’exemple de Mario Gomez. Il est arrivé à 15 ans à Stuttgart, a reçu sa chance, est devenu international allemand et a été vendu au Bayern Munich pour 30 millions d’euros. C’est la preuve qu’on peut réussir ce genre de pari.

Donc, vous êtes d’office pour une nouvelle réglementation qui limite le nombre d’étrangers à cinq…

La FIFA voit clair dans ce domaine, mais c’est impossible à faire appliquer par rapport au droit du travail. Dommage, car ce serait l’idéal pour les équipes nationales (parce que les joueurs du cru auraient plus de chances de se développer) ainsi que pour les clubs et les ligues nationales (le processus d’identification jouerait à fond).

Ne trouvez-vous pas, aussi, que les meilleurs Allemands hésitent un peu trop à aller jouer à l’étranger ?

Une des polémiques du printemps dernier, en Allemagne, était de savoir si Lukas Podolski devait quitter le Bayern pour la Premier League. Il a finalement signé à Cologne et je ne pense pas que ce soit mauvais pour lui. Il n’a que 24 ans et doit encore évoluer en tant que joueur et homme pour pouvoir affronter l’étranger. Il n’est pas encore arrivé au niveau qu’avaient un Ballack et un Jens Lehmann quand ils sont partis en Angleterre. Outre Lukas, on a beaucoup de jeunes de moins de 23 ans en équipe d’Allemagne et je leur dis très honnêtement qu’il est trop tôt pour émigrer. Je pense qu’il ne faut pas penser partir avant 25 ans.

par john baete – photo: reporters

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