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Le 18 juin, les Diables entameront leur Coupe du Monde contre le Panama. Quatre jours plus tôt, la Russie et l’Arabie saoudite auront ouvert le bal. Sport Foot Magazine s’est rendu sur place en éclaireur.

Les stades

Les Diables vont voyager pendant le premier tour. Ils disputeront leur premier match face au Panama à Sotchi, tout au sud, sur les bords de la Mer Noire. Le stade peut accueillir 48 000 spectateurs. Lors de la Coupe des Confédérations, en juin 2017, plusieurs matches y ont été disputés. L’équipe nationale russe a d’ailleurs choisi Sotchi, le lieu de villégiature préféré du président Vladimir Poutine, comme camp de base.

Cinq jours plus tard, c’est dans le nouveau stade du Spartak Moscou que la Belgique affrontera la Tunisie. Ce stade a été inauguré en 2014 et après la Coupe du Monde, l’arène deviendra le centre d’un nouveau quartier qui sera érigé aux alentours.

C’est dans l’enclave de Kaliningrad, coincée entre la Pologne et la Lituanie, que la Belgique disputera le choc contre l’Angleterre. Malgré sa capacité limitée (35 000 places), la Baltika Arena cause bien des soucis. Des erreurs ont été constatées dans la construction et le constructeur, Ziyavudin Magomedov, a été arrêté en avril pour fraude et malversations financières. Un directeur d’une société filiale, chargée de la construction du stade, a aussi été arrêté. Il aurait détourné 700 millions de roubles (9,5 millions d’euros) des caisses de l’État. Conséquence : un sérieux retard dans la construction, même s’il ne fait aucun doute que l’enceinte sera prête.

Les ultras russes jurent de faire la guerre aux Britanniques, avec l’aide des Argentins s’il le faut.

Alexey Sorokin, le président du comité d’organisation, a déclaré, fin avril, que les stades de Saransk et Samara étaient aussi dans leur phase ultime de construction et seraient prêts à temps. La question qui se pose est : à quel prix ? La réponse : au prix d’un lourd travail et parfois du sacrifice des ouvriers, qui proviennent pour la plupart d’anciennes républiques soviétiques assez pauvres comme l’Ouzbékistan et le Kirghizistan ou d’Ukraine. L’organisation pour les droits de l’homme Human Rights Watch a mentionné dans un rapport publié à la mi-mai que 21 ouvriers étaient décédés, sans parler des retards ou annulations dans le paiement des salaires.

Le stade Luzhniki à Moscou, où se disputeront le match d’ouverture et la finale, a connu ses propres problèmes. Les autorités ont prétendu qu’il pourrait être évacué en sept minutes, mais en novembre, lors du premier match d’essai, à cause de travaux entrepris dans la station de métro toute proche, les supporters ont dû quitter le stade section par section. Des milliers de personnes ont dû patienter trois quarts d’heure dans un froid glacial. La distance jusqu’au métro ne peut être parcourue qu’à pied, ce qui a pris une heure et demie pour les visiteurs. Les réseaux sociaux se sont enflammés, et Vitaly Mutko, qui était encore le président du comité d’organisation, s’est vu obligé de présenter ses excuses.

L’organisation

Le comité d’organisation russe a dû prendre congé, en 2017, du président et vice-premier ministre Vitaly Mutko. Il avait dû démissionner de son poste de ministre des Sports en raison des affaires de dopage qui ont secoué la Russie pendant les Jeux Olympiques d’hiver de Sotchi, en février 2014. Des échantillons de prélèvements sanguins sales d’athlètes russes avaient été remplacés par des échantillons propres. Selon le patron russe de la lutte anti-dopage, Grigory Rodchenkov, qui a fui aux États-Unis, l’opération aurait été coordonnée depuis les hautes sphères et Mutko aurait été impliqué. Mutko a été exclu à vie de toute présence aux JO. Comme son intégrité a été mise en cause, il a démissionné de son poste à la fédération russe de football et s’est retiré de la présidence du comité d’organisation de la Coupe du Monde. Mutko est devenu ministre des travaux publics dans le nouveau cabinet du président Poutine.

À l'EURO 2016, Russes et Anglais s'étaient affrontés : les autorités russes veulent à tout prix éviter que cela ne se reproduise.
À l’EURO 2016, Russes et Anglais s’étaient affrontés : les autorités russes veulent à tout prix éviter que cela ne se reproduise.© BELGAIMAGE

En février, Rodchenkov a accusé le football russe dans ses déclarations à l’agence Associated Press. Selon lui, les autorités protégeraient des footballeurs qui utiliseraient des stimulants. Il affirme que Mutko lui aurait donné des instructions en ce sens.  » Il m’a personnellement conseillé d’éviter tout scandale en occultant tout test qui se révélerait positif et a ajouté que les affaires de dopage seraient traitées en interne, insinuant par là que les dopés feraient l’objet de sanctions.  »

Contradictoire : alors que Rodchenkov prétend que les footballeurs n’ont jamais eu recours au dopage, il admet avoir aidé à dissimuler des cas positifs. La FIFA a fait savoir qu’elle ne croyait pas à un dopage institutionnalisé dans le football russe mais n’a jamais interrogé Rodchenkov à ce sujet.

L’utilisation présumée de produits dopants n’est pas le seul sujet polémique auquel le comité d’organisation de la Coupe du Monde a été confronté. Comme le veut la tradition, la corruption a fait son apparition au sein de l’organisme, surtout pour la construction des stades.

La Zenit Arena de Saint-Pétersbourg est équipée des gadgets les plus modernes, mais sa construction a été sans cesse retardée et toutes les nouveautés, censées améliorer le confort, ont plutôt donné des maux de tête aux concepteurs. Ainsi, l’herbe de la pelouse a eu du mal à pousser, des fissures sont apparues dans le toit et celui-ci n’a pas passé les tests de sécurité.

En 2016, la police a arrêté l’ancien vice-gouverneur Marat Oganesyan. Celui-ci aurait reçu 50 millions de roubles de la part de sous-traitants qui voulaient construire le marquoir. Un collaborateur d’ Alexei Navalny, un opposant de Poutine, a confié au Financial Times :  » C’est un problème récurrent. En Russie, on est incapable de construire quelque chose de légal, sûr et responsable, sans qu’il y ait des surcoûts incessants, de la corruption et des erreurs de management.  »

Le racisme

Mi-juillet 2017, le champion national, le Spartak, et le vainqueur de la Coupe, le Lokomotiv, s’affrontent à Moscou pour la Supercoupe. Alors que le coup d’envoi a été donné depuis un moment, des chants montent des tribunes, en provenance du secteur réservé aux supporters du Spartak.  » Mama, banana mama, nous allons chasser ce singe de la sélection russe « .

Ils s’adressaient au gardien du Lokomotiv, Marinato Guilherme. Né au Brésil, il est légèrement métissé et joue à Moscou depuis dix ans. Cette semaine-là, le coach fédéral Stanislav Cherchesov l’avait sélectionné pour l’équipe nationale russe.

La RFS, la fédération russe de football, a infligé une amende de 250 000 roubles (environ 3 600 euros) au Spartak. Les supporters des grands clubs russes (en particulier le Zenit et le Spartak) ont une fâcheuse réputation en matière de racisme, de xénophobie, d’anti-sémitisme et de néo-nazisme. L’international brésilien Hulk a déclaré qu’à l’époque où il jouait au Zenit (2012-2016), il était confronté au racisme chaque semaine même de la part de supporters de son propre club.

Selon Ilya Artyomov, du bureau indépendant Sova (Hibou), qui enquête sur le racisme et la discrimination en Russie,  » le racisme des supporters russes ne serait pas un phénomène de masse. Oui, les supporters déploient régulièrement des symboles néo-nazis et d’autres symboles radicaux dans les stades russes, mais le nombre d’incidents est en diminution. Le mérite en revient en grande partie aux organismes qui gèrent le football russe.  »

En outre, les manifestations racistes sont parfois curieuses. Ainsi, les supporters du Spartak traitent Guilherme de singe mais encensent leurQuincy Promes et l’érigent au rang de vedette. L’attaquant néerlandais, qui a encore été élu Joueur de l’Année en décembre, a déclaré qu’il ne souffrait pas du racisme à Moscou.

Après les nombreux incidents qui sont survenus dans le passé, les autorités russes ont cependant pris conscience qu’elles devaient agir. Pas question de traiter les joueurs, dirigeants et supporters africains de tous les noms d’oiseaux, et encore moins de les agresser physiquement.

Moscou a donc pris un certain nombre de mesures, qui vont de l’arrestation des leaders d’extrême-droite au lancement d’une campagne contre le racisme dans les médias. En outre, la RFS a intronisé l’ancien international Alexey Smertin (qui a notamment joué à Chelsea) au rang d’inspecteur contre le racisme.

Ces mesures ont apparemment produit leur effet, car durant la saison 2016-2017, la RFS n’a officiellement plus constaté d’incident à caractère raciste. Il n’y en a pas eu non plus durant la Coupe des Confédérations, mais il convient de relativiser : ce tournoi a surtout été suivi par des familles bien éduquées et pas par les Gladiateurs d’extrême-droite du Spartak.

L’inspecteur Smertin a garanti à la BBC qu’il n’y aurait pas d’incident à caractère raciste pendant la Coupe du Monde, dans les stades russes. Mais il a rapidement été rattrapé par la réalité. En octobre 2017, des supporters du Spartak Moscou ont lancé des slogans racistes à l’adresse des joueurs de couleur de Liverpool et ont échangé entre eux des tweets dénigrant leurs propres joueurs de couleur.

Fin mars, des supporters de Saint-Pétersbourg ont encore lancé des cris de singe à l’égard des footballeurs français Paul Pogba, Ousmane Dembélé et N’Golo Kanté lors du match amical entre la Russie et la France (1-3).

Le problème est que la grande majorité de la société russe n’est pas préoccupée par ce sujet. Dans cette optique, les paroles du sélectionneur national Cherchesov sont significatives et peu rassurantes :  » Je ne pense pas que le racisme soit tellement répandu dans notre pays, qu’il faille le combattre.  »

Les supporters et la sécurité

Après les combats qui ont opposé des supporters russes et anglais éméchés dans les rues de Marseille pendant l’EURO 2016, la Russie a été invitée à mettre tout en oeuvre pour que de tels incidents ne se reproduisent pas.

Pendant la Coupe du Monde, tous les yeux seront tournés vers les hordes de supporters locaux et leurs homologues anglais. Début mai, les autorités russes ont demandé au gouvernement britannique et à la FIFA de garantir le bon comportement des supporters, d’où qu’ils proviennent.

Elles ont rédigé une liste noire de hooligans russes connus et ont interdit de stade les responsables des émeutes de 2016. Les Anglais devraient être une dizaine de milliers à effectuer le voyage vers la Russie.

Pour éviter les problèmes, le nom de l’acheteur sera mentionné sur le ticket. De cette manière, les hooligans qui figurent sur la liste noire devraient être empêchés d’entrer dans les stades et même sur le territoire russe. Pour les fauteurs de troubles qui parviendraient malgré tout à passer entre les mailles du filet, la Russie demandera l’intervention de la Natsgvardia, la garde nationale. Le président Poutine a créé cette unité paramilitaire en avril 2016 pour s’opposer à tout soulèvement à grande échelle. Ce régiment, fort de près de 350 000 hommes, est destiné à étouffer dans l’oeuf toute tentative de révolution.

D’autres pays possèdent également des supporters qui pourraient poser problème. Ainsi, l’Argentine a transmis aux autorités russes les noms de 3 000 personnes qui émargent aux barras bravas, les tristement célèbres aficionados argentins impliqués dans des trafics de drogue et qui contrôlent également une partie de la vente des tickets. Comme si cela ne suffisait pas, ils se disent prêts à collaborer avec les supporters du Dynamo et du Zenit afin de combattre les Anglais. Chez les Argentins, la haine des Anglais est encore bien présente depuis la guerre des Malouines en 1982. Les ultras russes jurent sur leur Vkontakte (le Facebook russe) qu’ils feront la guerre aux Britanniques pendant la Coupe du Monde, avec l’aide de leurs  » amis  » argentins s’il le faut.

Pour essayer d’évaluer la situation autour des stades et des aéroports, les villes de Moscou et de Rostov-sur-le-Don feront appel aux cosaques. Ce mouvement paramilitaire est né à l’époque des tsars, lorsqu’ils devaient protéger les frontières du Royaume. Ils ont déjà joué un rôle dans le maintien de l’ordre pendant les Jeux de Sotchi.

Différentes organisations de cosaques auraient reçu 15 millions de roubles (240 000 euros) entre 2016 et 2018 afin de s’entraîner pour leur mission à la Coupe du Monde. Ils n’ont pas reçu que des éloges :  » Ce sont de sacrés criminels, répugnants, qui n’ont rien à envier aux agents de police corrompus « , a tweeté Aleksei Kovaliov, du site d’information Coda Story. Une chose est sûre : si cela dérape, on ne manquera pas d’en imputer la responsabilité aux cosaques.

550 hôtels ont été sanctionnés pour avoir gonflé leurs prix de manière excessive.
550 hôtels ont été sanctionnés pour avoir gonflé leurs prix de manière excessive.© BELGAIMAGE

Et les hôtels ?

Les supporters qui veulent assister aux matches de la Coupe du Monde doivent largement délier les cordons de la bourse. Le prix des hôtels a explosé dans toutes les villes qui accueillent des rencontres. Début avril, l’association des consommateurs Rospotrebnadzor a infligé une amende à plus de 550 des 12 000 hôtels contrôlés, pour avoir augmenté leurs prix de façon excessive. Plus de 100 sociétés ont été sanctionnées parce qu’elles ne possédaient pas les documents adéquats pour la gestion d’un hôtel et 187 autres ont reçu un avertissement.

En février, Rospotrebnadzor a ouvert une ligne gratuite à laquelle les consommateurs peuvent téléphoner s’ils constatent une inflation anormale du prix. Les plaintes seront transférées à l’établissement concerné, et celui-ci sera invité à se mettre en ordre, en respectant le décret rédigé par le gouvernement en 2016. Celui-ci détermine avec précision dans quelles proportions un hôtel peut adapter ses prix pendant la Coupe du Monde.

Selon Sergey Kolesnikov de l’Alliance Hotel Management, l’augmentation des prix se maintiendrait dans des proportions acceptables.  » La plupart des hôteliers russes veulent surtout offrir un séjour agréable à leurs hôtes, à un prix abordable « , constate-t-il. Il est plus sévère vis-à-vis des gens qui mettent leur appartement en location.  » Pour eux, contrairement aux hôteliers, il n’y a pas de règle « , regrette Kolesnikov.

Les hôteliers qui ne respectent pas la règle peuvent s’attendre à être placés sur la liste noire par Rostourizm, en plus d’une amende de 50 000 roubles (environ 740 euros), d’une fermeture de l’établissement pour trois ans et d’une obligation de remboursement du double de la somme perçue.

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