Visa pour le Mondial

Gohi Bi  » Zoro « Cyriac, l’attaquant ivoirien d’Anderlecht, est en pleine bourre pour aller au Brésil. Quelles sont ses chances de rejoindre les Etats-Unis, où les Eléphants prépareront le mondial dès la mi-mai ?

Abidjan, 22e étage d’une tour de bureaux et appartements, ambassade du Brésil. Un journaliste ivoirien, Patrick Guitey, y est allé fourrer son nez. Il a découvert la régularisation de visas brésiliens pour une longue liste de joueurs ivoiriens.  » C’est clair que le coach, SabriLamouchi, ratisse large « , nous dit-il.  » Il a exigé qu’on commande dès maintenant un visa pour tous les internationaux potentiels, même ceux qui n’ont pratiquement pas joué en sélection depuis son arrivée.  »

Allô Sabri Lamouchi ? Le Français d’origine tunisienne (une douzaine de matches avec les Bleus, des passages à Auxerre, Monaco, Parme, Inter, Genoa, Marseille, et des clubs qataris pour terminer) est en poste depuis deux ans, c’est lui qui a qualifié les Eléphants pour la Coupe du Monde. On a quelques questions à lui poser… Surtout celle-ci : le Gohi Bi Cyriac qui flambe depuis quelques semaines avec Anderlecht a-t-il une chance d’aller au Brésil ? Réponse résumée :  » Tout à fait. Mais bon…  » Analyse et perspectives.

La première fois que Cyriac a été convoqué en équipe ivoirienne, il était légèrement blessé et a dû déclarer forfait. La deuxième, il y est allé. C’était en été 2013, il a joué une bonne demi-heure lors d’un match amical contre le Mexique, perdu 4-1 à New York.  » Je l’avais appelé pour le découvrir. Je connaissais déjà le joueur puisque je le suivais régulièrement, et là, je tenais à voir l’homme. Il nous a laissé une très bonne impression. C’est un gars charmant, positif.  » Et sur le terrain ?  » Les conditions n’étaient pas favorables. Le décalage horaire nous a perturbés. Tout a tourné à l’envers ce jour-là, en fait. Mais en peu de temps, Cyriac a quand même su créer une occasion. C’est positif.  »

Souci pour l’Anderlechtois : il n’a plus jamais été convoqué entre-temps. Et la Coupe du Monde, c’est demain. Patrick Guitey ne croit pas trop à sa présence au Brésil. Arguments en béton à l’appui.  » Si le sélectionneur comptait vraiment sur lui, il l’aurait appelé pour le match amical contre les Diables Rouges, début mars. Cyriac aurait pu se produire devant un public qu’il connaît et qui le connaît, dans un environnement qu’il maîtrise.  » Mise au point de Lamouchi :  » J’ai pensé à lui pour ce match. Je me suis déplacé deux fois en Belgique pour le visionner, lors des semaines précédentes.

Malheureusement, les deux fois, il était sur le banc. Ce n’était pas justifié de sélectionner un réserviste. Mais nous avons eu la bonne surprise de voir débarquer Cyriac à notre hôtel à Bruxelles, il voulait nous saluer. Le staff a apprécié sa démarche. Il aurait pu bouder, il a préféré montrer qu’il restait positif. Je sais que ça aurait été un match spécial pour lui, je me doutais qu’il tenait vraiment à être dans le groupe, mais je ne dévierai jamais de ma ligne de conduite : pas de sanctions, pas de privilèges ! Les footballeurs ne doivent pas se raconter d’histoires, il savent très bien eux-mêmes s’ils sont en forme ou pas. A ce moment-là, il faut croire qu’il ne l’était pas.  »

Une concurrence féroce

Concurrence dingue : ça résume en partie le problème du joueur. La Côte-d’Ivoire a des soucis pour combler certains postes, notamment en défense, elle manque aussi de purs gauchers. Par contre, elle baigne dans le luxe au niveau de l’attaque. Salomon Kalou (Lille), Gervinho (AS Rome), Lacina Traoré (Monaco), Seydou Doumbia (CSKA Moscou) et évidemment Didier Drogba (Galatasaray) !  » A Abidjan, on sait que Cyriac revient en forme « , poursuit le journaliste de sport.ivoire.ci.  » Mais on relativise. Chaque lundi, nos quotidiens et sites web réservent une fenêtre aux prestations des internationaux ivoiriens en Europe. Mais la Belgique reste la Belgique. Un match valable de Wilfried Bony avec Swansea interpelle beaucoup plus qu’un tout gros match de Cyriac avec Anderlecht.  »

Le retour de l’ex du Standard tient en quelques mots : fin des soucis physiques (deux opérations des ligaments croisés en quelques mois, ça met très longtemps à se digérer), départ de John van den Brom (qui n’a jamais vraiment semblé croire en lui), application du 4-4-2 (souvent en compagnie d’AleksandarMitrovic) et confiance de Besnik Hasi. Cyriac rayonne depuis quelques semaines mais sa saison a surtout été faite de galères.

Premier match de la saison en championnat durant les vacances d’été, première titularisation depuis son arrivée à Anderlecht un an plus tôt, contre Lokeren : il est sorti à la mi-temps, Van den Brom signale que  » plusieurs joueurs n’ont pas répondu à l’attente  » et le vise sans citer son nom. Début octobre, première rencontre complète en Mauve, face à Courtrai : défaite à domicile, Cyriac a raté tout ce qu’il a essayé et le public l’a copieusement sifflé. En novembre, il n’est pas repris pour le match à domicile contre Benfica, VDB fait savoir qu’il s’est mal entraîné et espère que cette sanction va le  » réveiller « .

 » Quand j’ai appris qu’il était question d’un prêt en janvier, dans l’un ou l’autre petit club, je me suis dit qu’il n’allait vraiment pas bien « , nous dit Sabri Lamouchi.  » Maintenant, je constate que ça va beaucoup mieux. Nous le suivons de très près. Le changement d’entraîneur et la nouvelle disposition tactique semblent lui convenir. Pour moi, il ne faut jamais l’aligner seul devant. Il est meilleur quand il joue derrière l’attaquant de pointe ou sur un côté.  »

Plutôt en lice pour la CAN ?

Et donc, pratiquement, Cyriac a-t-il encore une chance d’être dans les temps pour se glisser dans le noyau ivoirien pour le Brésil ?  » Vu la concurrence, selon moi, c’est fort improbable « , dit Patrick Guitey.  » Il faut aussi tenir compte du fait que pour une génération d’internationaux, cette Coupe du Monde sera normalement le dernier tournoi. Et au pays, tout le monde est persuadé que ces joueurs seront d’office dans le noyau. Certains de ceux-là ne sont pas à leur meilleur niveau aujourd’hui mais on a l’impression que le coach et la Fédération veulent leur faire ce cadeau. Dans les plus connus, il y a par exemple Didier Drogba, Didier Zokora, Arthur Boka, Romaric, Kolo Touré.

Un paquet de places est déjà bloqué. On constate aussi un certain manque de courage dans les sélections. Ou un manque d’audace. On ne veut pas trop bousculer les choses. Dans certains cas, le niveau sportif du moment n’est pas le critère prioritaire, on tient surtout compte du nom, du passé, du prestige. Il y a des cadres auxquels on refuse de toucher. Par exemple, même un Drogba avec de sérieux soucis physiques serait sûr de sa place à 150 %. Je vois plutôt Cyriac dans le noyau qui jouera les éliminatoires pour la prochaine Coupe d’Afrique des Nations, dès le mois de septembre. Il devrait faire partie de la nouvelle levée. Le fait que Sabri Lamouchi ait très peu abordé son cas lors des derniers mois à ses points presse ne fait que me renforcer. Selon moi, ce sera trop court pour lui.  »

 » C’est important qu’il arrive à enchaîner une série de gros matches « , poursuit le coach. Problème : le championnat se termine et il n’y a quand même pas si longtemps qu’on revoit un Cyriac proche de son niveau d’autrefois avec le Standard. Et il est victime de son manque de vécu. Lamouchi le reconnaît.  » Je peux sélectionner un joueur qui traverse une période difficile dans son club à partir du moment où il a une grosse histoire avec l’équipe nationale. Je pense par exemple à Kolo Touré. Il ne joue plus beaucoup avec Liverpool depuis le mois de janvier mais il reste un cadre de mon noyau. Même s’il est moins bien, il peut toujours nous apporter un plus en termes d’expérience.  »

Visa en ordre quand même

On déduit donc, du discours du Français, que Cyriac est une arme sur laquelle la Côte-d’Ivoire compte. Mais pour après-demain, pas pour demain.  » Si je l’ai appelé l’été dernier, c’était aussi pour lui expliquer ça « , dit encore Lamouchi. Son visa brésilien est en voie de régularisation mais  » des visas, j’en ai commandé beaucoup. Dans le passé, il y a eu plusieurs fois des problèmes administratifs à la Fédération, donc j’ai tenu à me prémunir. Autant éviter les risques de couacs. Cyriac a des qualités qui nous plaisent. Il le sait. Mais il est aussi conscient que pas mal d’autres joueurs sont dans son cas. Je ne sélectionnerai que les meilleurs à chaque poste. Mon boulot ne consiste pas à faire venir des joueurs pour achever de les remettre en forme. Je dois faire le meilleur mix entre potentiel, temps de jeu dans le club et expérience des grands rendez-vous internationaux. Gohi Bi Cyriac doit en tout cas se sentir concerné par les prochains tournois.  »

Le patron sportif des Eléphants communiquera une liste élargie le 13 mai à Abidjan, il donnera les noms des joueurs qui partiront préparer la Coupe du Monde dans un centre d’entraînement de Dallas.  » Ça fait près de vingt ans que ce pays a des problèmes de luxe en attaque « , conclut Lamouchi sur un sourire.

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS: BELGAIMAGE

 » Je pensais le prendre pour le match contre les Diables Rouges en mars et je suis allé deux fois à des rencontres d’Anderlecht pour le visionner. Mais, à chaque fois, il faisait banquette.  » Sabri Lamouchi, coach de la Côte-d’Ivoire

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire