VIF ESPRIT

Jan Hauspie
Jan Hauspie Jan Hauspie is redacteur bij Sport/Voetbalmagazine.

A la fois ombrageux et aimant l’ombre, le T1 bruxellois a vraiment un caractère à part. Mais pour l’instant, il est très calme.

Au terme du déplacement du RSCA à La Gantoise, Frankie Vercauteren avait deux nouvelles à annoncer :  » La bonne, c’est que nous sommes assurés de participer à la Ligue des Champions. La mauvaise, c’est que nous devrons patienter jusqu’à la toute dernière journée pour savoir si nous disputerons le troisième tour préliminaire ou, si comme nous le souhaitons tous, nous serons d’emblée partie prenante en phase de poule « .

Pour ce faire, le Sporting se doit de toujours devancer le Standard, vendredi prochain, après son ultime rendez-vous contre Zulte Waregem.

 » Si nous n’y parvenons pas, nous n’aurons franchement qu’à nous taper la tête contre le mur « , renchérit-il.  » Il serait impardonnable de lâcher la proie pour l’ombre alors que nous sommes maîtres de notre sort. Heureusement, nous aurons la chance de clôturer la compétition devant notre public. Même s’il ne faut jamais crier victoire trop vite, les statistiques nous sont quand même largement favorables puisque nous n’avons abandonné que 4 unités au Parc Astrid cette saison « .

Loin de leurs terres, par contre, les Mauves n’auront pas tenu la distance, avec un piètre 25 sur 51 au décompte final :  » Notre problème majeur cette saison, c’était effectivement la constance au plus haut niveau. Jamais nous n’avons été en mesure de réitérer une prestation autoritaire. A plusieurs reprises, on a cru qu’Anderlecht était définitivement lancé. Chaque fois, hélas, une contre-performance nous a ramenés les pieds sur terre. La plupart du temps en déplacement, il faut bien en convenir. Comme cette fois, à Gentbrugge, alors que nous avions livré un match sans tache, une semaine plus tôt face au Standard. Ces mêmes avatars, nous les avions déjà connus au Lierse, à La Louvière, et à Saint-Trond, entre autres. Ces absences devront à tout prix être gommées à l’avenir. Car ce n’est pas chaque année que la concurrence perdra autant d’unités que nous « .

Quel ket !

On sait que Frankie Vercauteren est un vrai ket de Bruxelles qui a commencé à shooter dans le petit appartement familial puis, à la frontière entre Molenbeek et Anderlecht, dans le quartier de Cureghem, qui n’avait pas encore acquis une mauvaise réputation.

Il y avait là une plaine de jeux où François – le frère plus âgé de 14 ans – et ses amis allaient souvent jouer au foot. Comme ils trouvaient Frankie trop petit, il ne pouvait participer qu’en prenant place dans le but. Il a appris à jouer contre les grands entre les poteaux d’un anneau de basket.

Mais c’est le Frère Grégoire qui a décelé ses talents footballistiques au collège catholique de la rue des Quatre vents. Le jeudi après-midi, il emmenait ses ouailles au terrain du Green Star, pensionnaire de D3, disparu depuis belle lurette. Eugène Steppé, le président du RSC Anderlecht, avec lequel il s’entendait bien, lui fournissait ballons et équipements. En échange, Frère Grégoire lui renseignait les talents. Un jour, Frankie est rentré de l’école avec sa carte d’affiliation à Anderlecht. Ses parents sont tombés des nues. Il avait neuf ans.

La démarche n’a pas été bien accueillie par les Vercauteren. La famille était supporter des Rouge et Noir du Daring Molenbeek. François avait défendu à plusieurs reprises le but du Daring. Son père et ses oncles étaient de fervents supporters mais le mal était fait. Désormais, chaque semaine, sa mère le mettait dans le bus menant à Anderlecht. Depuis lors, Frankie est mauve. Par contre, le reste de sa famille a toujours éprouvé un brin de ranc£ur à l’égard du club. Le c£ur de sa mère saigne toujours quand elle se remémore ce jour de 1987, quand son fils a quitté le Sporting sans fleurs ni merci. Et depuis que la brasserie Belle-Vue l’a renvoyé de son café, François fait comme si la famille Vanden Stock n’existait plus. Il travaille maintenant pour Arcelor.

Après trois saisons à Nantes, Frankie a achevé sa carrière active au RWDM, né de la fusion entre le Racing White et le… Daring. Il y a joué trois ans, jusqu’en 1993. La boucle était bouclée. En paraphant son dernier contrat, il avait lâché :  » J’en connais deux qui sont en train de se saouler là au-dessus « . Il faisait allusion à son père et à son oncle, qui n’ont jamais craché sur un verre et l’ont payé de leur santé. Son père est décédé à 60 ans et Frankie tient son caractère renfermé de lui. Son père était rarement à la maison mais était très attentif aux bulletins de ses enfants, qui lui obéissaient au doigt et à l’£il. Il était sévère mais juste, exactement comme Frankie allait plus tard décrire son comportement avec ses fils.

Jamais le football n’a nui à ses études. Frankie était un étudiant appliqué, un as en mathématiques. Mais une fois son diplôme d’humanités en poche, à 18 ans, il a choisi la carrière de footballeur.

Devenir coach

A l’été 1998, le petit prince est revenu en tant que coordinateur des jeunes au club avec lequel il avait disputé cinq finales de Coupe d’Europe, dont trois avec succès. D’autres tentatives avaient échoué. Si l’on en croit Michel Verschueren, qui était alors manager du club, à cause de différends d’ordre financier. En fait, Anderlecht redoutait la vision de Vercauteren quant à la formation et à la percée des jeunes. A son arrivée, c’était encore l’apartheid à Anderlecht. Il y a avait d’une part le noyau A, de l’autre le B, qui comportait quelques jeunes talents ayant un contrat semi-professionnel. Les deux groupes s’entraînaient séparément, ils ne se voyaient guère, sans parler de jouer ensemble ! Vercauteren a mis fin à cette situation, privilégiant un noyau professionnel réduit alliant jeunes et routiniers.

Le Diable Rouge, qui compte 63 sélections (12 seulement en ont plus que lui), est le seul footballeur d’élite de sa génération à n’avoir pas brûlé les étapes dans sa carrière d’entraîneur. Il a commencé comme coordinateur des jeunes au modeste Braine-l’Alleud, qu’il a quitté au bout d’un an pour le FC Malines, alors en D2. Il a rapidement réformé la formation des jeunes. Il écartait ceux qui n’adhéraient pas à sa vision, recrutant d’autres entraîneurs, généralement issus de son cercle de connaissances. Le Malinois est devenu un peu bruxellois, sans que ça lui fasse du tort. Vercauteren est devenu entraîneur principal d’une très jeune équipe durant sa quatrième saison. Il a disputé avec elle le tour final de la D2.

A son retour à Anderlecht, Frankie a été contesté. On le disait revêche, méfiant, du style à imaginer des ennemis derrière chaque arbre, incapable de se fier même à son ombre. Son autoritarisme avec les jeunes footballeurs a également suscité des frictions. Vercauteren impose une discipline de fer, il aime inculquer aux jeunes les règles du professionnalisme moderne. Le règne des footballeurs de salon trop gâtés pour effectuer leur part de travail défensif était achevé. Le footballeur de rue qui avait grandi dans un milieu simple ne supportait pas de voir Alin Stoica ignorer ses dictats à l’entraînement.

Les nerfs à vif

Vercauteren n’allait pas rester longtemps coordinateur des jeunes. En septembre, Anderlecht limogeait Arie Haan. Jean Dockx prit la relève, à une condition : que Vercauteren l’assiste. Celui-ci dut donc se concentrer sur l’équipe fanion.

Cela n’allait plus changer. Après cette saison, Aimé Anthuenis fut engagé, avec Vercauteren comme adjoint. Ce n’était pas l’idéal pour tout le monde. Comme Stoica, Lucas Zelenka était un numéro 10 comme Vercauteren en avait vu trop dans les équipes d’âge d’Anderlecht. A l’entraînement, il s’en était fallu de peu que le joueur et l’entraîneur en viennent aux mains. Durant la trêve hivernale, le jeune médian tchèque fut loué à Westerlo. Deux mois plus tard, il tenait sa revanche. Après avoir marqué le 2-0 face aux Mauves (le score final allait être de 5-0), il sprinta vers le banc bruxellois en pointant du doigt l’entraîneur, avant de montrer son dossard. Comme un roquet des rues, Vercauteren bondit de son banc et fut retenu de justesse par quelques solides bras mauves, juste avant de dépasser la ligne. Tout son corps criait son envie de bagarre. Le simple geste d’un gamin avait suffi à faire perdre tout son contrôle à un homme qui avait tout vu et vécu durant sa longue et riche carrière.

Vercauteren est resté assistant jusqu’en février 2005, d’Anthuenis, puis de Hugo Broos. Il s’énervait de moins en moins de choses qui le minaient pourtant, en son for intérieur, appréciant son rôle dans l’ombre. Sa situation privée n’y était pas étrangère : il a quitté sa femme et a accordé sa priorité à l’éducation de ses fils. Pas question de mettre en péril sa situation ! Il n’a accepté de devenir entraîneur principal, après le renvoi de Broos, qu’à condition de voir son avenir assuré. Plus tard, le poste de directeur technique l’attend. De facto, c’est déjà lui qui, dans la mesure du possible, veille sur la vision d’Anderlecht et sa politique à terme.

Son côté bagarreur refait parfois surface. Après la défaite 2-0 d’Anderlecht au Standard, lors de la 15e journée de championnat, le 14 décembre 2005, Vercauteren s’en s’est pris au commentateur TV Wim De Coninck, en pleine salle de presse, devant tous les journalistes. Pendant la retransmission, De Coninck avait émis des doutes sur la tactique des Bruxellois à Sclessin. De Coninck a connu Vercauteren en fin de carrière, quand il était troisième gardien au stade Constant Vanden Stock. L’ancien portier est un fervent supporter de l’entraîneur des Mauves mais le contraire n’est pas vrai. Vercauteren affirme avoir classé De Coninck depuis longtemps, donnant ainsi l’impression qu’ils ont des comptes à régler. L’analyste déclare que Vercauteren a compliqué la vie d’Anderlecht en hésitant longtemps avant de choisir un 11 de base. Son style n’est devenu clair qu’à l’arrivée de Nicolas Frutos. Beaucoup d’observateurs partagent cet avis mais pas Vercauteren, sans pitié à l’égard de ceux qui semblent oser douter de son professionnalisme.

Rafraîchissant

De ce point de vue, Vercauteren ressemble fort à René Vandereycken. Le sélectionneur ne s’était pas privé de critiquer les apparitions télévisées de son prédécesseur, Aimé Anthuenis. Il estime que des collègues n’ont pas à analyser leur travail, encore moins le critiquer. A fortiori quand on n’y connaît rien. Vandereycken et Vercauteren ne portent pas grande estime à la presse. Elle constitue un mal nécessaire, ils sont aimables et polis à son égard mais pas vraiment accessibles.

Entraîneur débutant à Gand, il y a plus de dix ans, Vandereycken avait déjà tenté de barrer la porte du vestiaire aux journalistes. Le temps ne s’y prêtait pas encore. Dès que Vercauteren est devenu entraîneur en chef à Anderlecht, il a procédé à des séances à huis clos et surveille qui est interviewé ; Vandereycken faisait de même à Genk. Aucun des clubs n’en est coutumier et on pense qu’il s’agit de provocation. Il n’en est rien. Varcauteren et Vandereycken tentent de tout contrôler, tant ils tendent vers la perfection. Ils essaient de maîtriser tous les aspects qui peuvent contribuer au succès. Plus on est près de l’élite, plus les détails font la différence.

Fait marquant, l’ouverture d’esprit des deux entraîneurs vers des représentants d’autres spécialités. A Gand déjà, Vandereycken s’était adjoint les services d’un psychologue, Vercauteren en avait enrôlé un à Malines, qu’il a emmené à Anderlecht. Ils sont têtus et convaincus d’avoir raison mais restent ouverts à ce que d’autres connaisseurs peuvent leur apprendre. Cela mérite le respect. Frankie Vercauteren est sans aucun doute un bon entraîneur mais il n’empêche qu’il doit encore en fournir la preuve ultime.

JAN HAUSPIE

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