Vieux jeu

Pour l’entraîneur des Hurlus, ce n’est pas parce qu’on a des principes qu’on est démodé.

Les joueurs difficiles ne sont pas encore majoritaires mais ils ne constituent plus l’exception. C’est de plus en plus manifeste: les managers décident ce qui se passe. Récemment, quelqu’un a resigné ici. Il avait tellement peur de son manager qu’il a d’abord dû lui demander la permission, par téléphone. Peut-être serait-il bon que les joueurs et non plus les clubs paient les managers. Un joueur demande à un manager de travailler pour lui mais c’est le club qui le paie. Comment est-il possible qu’un club rétribue quelqu’un qui travaille contre ses intérêts? Si vous pensez n’être pas capable de vous débrouiller et devoir prendre un manager, payez-le vous-même. Souvent, pourtant, les clubs jouent le jeu des managers. Ils devraient réfléchir.

Actuellement, le manager détermine l’avenir du joueur. Certains n’en font pas mystère: pour le même contrat, ils touchent une commission plus importante dans un autre club. Je sais donc à l’avance où signera le joueur. Ce n’est pas sain. La commission du manager détermine la destination du joueur.

Combien de managers m’ont proposé une commission pour conclure un transfert? Aucun depuis plusieurs années. C’est arrivé au début de ma carrière. Pas au RWDM, car on ne pouvait guère parler de montants de transfert. A Bruges, c’était très différent. La première fois qu’on m’a promis un million à condition qu’un joueur puisse signer au Club, j’ai été effrayé. J’ai immédiatement répondu par la négative. L’homme a insisté: -Allez, il y en a qui acceptent. J’ignore qui accepte et qui refuse. Ce n’est pas mon problème, je ne prends de décision qu’en ce qui me concerne. Ce que les autres font ne me regarde pas.

Nul ne peut me détourner du droit chemin. Personne n’est à l’abri de soucis financiers mais même dans ce cas, on reste maître de sa décision et on ne doit pas chercher d’excuses ensuite. Si demain, mon président m’offre 50%, c’est différent. Je reçois l’argent de mon employeur, il ne s’agit pas de corruption ».

Fils de gendarme

« Une fois, j’ai accepté une telle commission, que j’ai donnée au président, afin que le prix du transfert soit moindre. C’est une exception. Car à la longue, vous attrapez la réputation d’accepter de l’argent. Mais tous les managers savent qu’ils ne doivent pas m’impliquer dans leurs affaires. Je n’ai pas besoin de ça. C’est lié à l’éducation que j’ai reçue. La première règle était d’être honnête, sans être naïf. Fils de gendarme, vivant dans un petit village, je n’avais pas intérêt à mal me comporter.

Parfois, la tentation est très forte car il s’agit de sommes importantes. Il ne s’agit pas de 1.000 euros. Multipliez la somme par dix. Mais une fois que vous avez commencé, vous êtes coincé. Moi, je veux pouvoir prendre mes décisions de la manière la plus autonome possible. Si vous touchez de l’argent, l’année suivante, il est difficile de dire non au même manager.

Si ma femme devait apprendre que j’ai touché une commission, d’une façon ou d’une autre, j’aurais des problèmes à la maison. Elle ne m’incitera jamais à accepter de l’argent pour pouvoir acheter une nouvelle salle à manger. Au contraire. Je ne suis pas matérialiste non plus. Pourquoi devrais-je acheter une voiture neuve chaque année? Comme ce Beckham qui exige le plus sérieusement du monde, de gagner six millions d’euros par an: un demi-million d’euros par mois pour shoter dans un ballon! Je ne peux m’imaginer concrètement ce que représente une telle somme.

A Mouscron, je renvoie ceux qui ont des exigences absurdes. Une de mes qualités, c’est de savoir m’en tenir à un budget. On peut parfois le dépasser un peu et prendre un risque calculé, mais personne ne peut me placer sous pression durant une négociation. Je sais exactement jusqu’où je peux aller, quel salaire Mouscron peut payer. Et ça doit rester comme ça. Je me sens responsable. En plus, j’ai toujours expliqué au président qu’un dirigeant devait veiller à une chose capitale: payer les salaires à temps. Je suis fier que nous ne devions jamais nous demander comment nous allons payer les cotisations pour les pensions, le prochain trimestre. Je sens que les joueurs apprécient cette ponctualité. Ils ne doivent nourrir aucun souci de ce point de vue ».

Le RWDM plutôt qu’Audenaerde

« Si je suis casanier? Je n’éprouve pas le besoin de changer de crèmerie chaque saison. Lorsque j’ai paraphé un contrat de cinq ans ici, il n’y avait pas de clause de départ. A deux reprises, Genk a fait appel à mes services. Chaque fois, je l’ai renvoyé au président. Si je veux vraiment partir, je pourrai toujours le faire mais je n’aime pas procéder ainsi. L’argent ne constituera jamais le principal motif de mon choix pour un club. Quand j’ai quitté Bruges, j’avais le choix entre quatre clubs. J’ai éliminé le Lierse, non par crainte de passer chaque jour dans le tunnel Kennedy à Anvers, mais parce que j’avais lu que les joueurs n’avaient pas vraiment envie d’être entraînés par Hugo Broos. Je n’ai pas rejoint le Standard parce que je ne pouvais y être assisté par Willy Wellens. Restaient La Gantoise et Mouscron. L’ensemble du club m’a séduit. Si je le quitte un jour, ce sera par la grande porte, en toute amitié. Je regarde où je mets les pieds. Je n’ai nulle envie de me retrouver dans un nid de serpents. Je veux assumer la responsabilité de mes propres actes, sans être jugé sur les erreurs ou les manquements d’un autre.

Quand j’entraînais le Club, j’ai eu l’opportunité de partir à l’étranger, pour une somme phénoménale. Nous venions d’éliminer le Panathinaikos. Un manager m’a téléphoné au nom de l’Olympiakos. Je n’avais pas l’intention d’accepter mais j’étais curieux de connaître les émoluments assortis au poste. Je pouvais gagner quatre fois plus qu’à Bruges, net. J’ai failli tomber à la renverse. J’ai demandé une semaine de réflexion. Ensuite, j’ai dit que je n’acceptais pas pour des raisons d’ordre familial. Le manager ne m’a pas cru. Il était persuadé que je voulais plus d’argent encore. Il m’a proposé de me rencontrer. Il s’est déplacé à Bruges et a fait monter les enchères. Je n’ai quand même pas accepté.

Durant ces années, je n’ai été en proie au doute qu’une seule fois. Quand j’ai mis fin à ma carrière de joueur au Club. Je n’avais pas envie de prolonger d’un an, avec un contrat inférieur. Un jour, j’ai reçu une lettre: -Merci pour les services rendus. J’avais 36 ans et jamais encore je ne m’étais retrouvé sans rien. Ma femme était alors membre d’un jury de la cour d’Assises de Bruges. J’étais seul toute la journée, je n’osais plus sortir, au cas où le téléphone sonnerait. Si le RWDM ne s’était pas présenté, j’aurais accepté l’offre d’Audenaerde et j’y serais devenu joueur-entraîneur tout en devenant vendeur à la brasserie Roman. Ça ne me plaisait pas, mais j’avais peur de refuser car je n’avais pas d’alternative. Quand Molenbeek a téléphoné, j’ai signé des deux mains, même si le contrat proposé suffisait tout juste à couvrir nos dépenses mensuelles et que je savais pertinemment qu’aucun entraîneur débutant n’est encore disposé à travailler à de telles conditions ».

Le mariage de sa fille

« J’attache plus d’importance qu’avant à la mentalité des joueurs avec lesquels nous discutons. Parfois, on critique mon approche. Ça m’est indifférent. Je peux dire que partout où j’ai travaillé ces 14 dernières anénes, j’ai obtenu des résultats. Dans ces conditions, ma méthode n’est pas si mauvaise, même si on me reproche d’être démodé. D’ailleurs, cette étiquette me dérange. Enormément. Parfois, je lis les pensées des gens: -Voilà, il nous scie encore, il est reparti. Au début, je trouvais ça bizarre. Maintenant, je réponds que je suis ainsi fait. Si ça pose des problèmes à quelqu’un, c’est son affaire. Mais je reste convaincu que mon approche n’est pas mauvaise.

C’est vrai, j’ai fait l’impasse sur le match à Lommel, cette saison, pour le mariage de ma fille. J’en avais demandé la permission au président. Et s’il avait répondu par la négative? J’aurais quand même assisté au mariage, même si ça avait entraîné mon limogeage. C’est quand même un événement unique: ma fille ne se marie pas tous les mois. Elle n’est pas non plus obligée de choisir une date à laquelle son père est libre, de tenir compte du calendrier. J’aurais agi de même si nous avions affronté Anderlecht ce soir-là. Une fois, une seule, j’ai demandé à un joueur de modifier la date de son mariage: Marcin Zewlakov. Un mois avant la date, il a annoncé qu’il se mariait le samedi où nous jouions à l’Antwerp. La différence? Le joueur détermine lui-même la date de son mariage et doit savoir qu’un match figure au programme, ce jour-là.

Je ne peux décider la date du mariage de ma fille. L’année prochaine, je fêterai mes 30 ans de mariage mais je ne donnerai pas de réception le 15 avril, vous savez. Car là, c’est moi qui décide. Sinon, à l’exception de Marcin, tous les joueurs qui ont demandé une permission pour ce genre de choses l’ont reçue. Tout le monde sait qu’Hugo Broos tient compte de ces affaires. A mes yeux, il existe encore des valeurs qui dépassent de loin l’intérêt d’un match ou d’un entraînement. Thomas Debenest ne souhaitait pas nous accompagner en stage, cet hiver, car sa femme était sur le point d’accoucher. Il est resté en Belgique.

Vieux jeu… J’apprécie la discipline car c’est une de mes qualités. Maintenant, quand vous parlez de discipline, c’est comme si vous évoquiez un camp de concentration: -Pourquoi dois-je arriver à l’heure, comme si j’étais en prison? J’estimais logique d’arriver à neuf heures pour l’entraînement de dix heures. Si vous n’obligez pas les joueurs à arriver à neuf heures trente, ils débarquent à dix heures moins cinq. Ce n’est donc plus le cas ici. Il est déjà arrivé que mes clubs interviennent quand ils estimaient que j’étais trop sévère avec une vedette. Il y a quelques années, après un match à l’Antwerp, j’ai pensé devoir sanctionner d’une amende une réaction brutale de Spehar à l’encontre d’ Addo. Ensuite, la direction a estimé qu’il ne fallait pas. C’est ainsi. C’est elle qui décide. Evidemment, dans ce cas, le joueur est enclin à penser qu’il est le patron. Et s’il reste la saison suivante, il peut en tirer ses conclusions ».

Pas de clause de départ

« Avant, les joueurs n’avaient que des devoirs, pas de droits. Maintenant, ils ont tellement de droits qu’ils en oublient leurs devoirs. Je dois faire attention à l’évaluation que je donne d’un joueur, sous peine de me faire taper sur les doigts par son avocat. Je ne trouve pas ça normal. Un joueur ne doit même plus bien jouer pour mériter un transfert. Dès que quelqu’un est sur le banc trois fois de suite, son manager me demande s’il peut partir.

Attention: l’ancien système n’était pas bon non plus. Récemment, j’ai lu une vieille interview. Broos, alors âgé de de 24 ans, déclarait qu’il trouvait scandaleux qu’un joueur ne puisse choisir son club quand il était en fin de contrat. Je persiste et je signe. Nous n’avions vraiment rien à dire. L’arrêt-Bosman est une excellente chose mais pas certaines de ses conséquences. On ne peut plus obliger personne à rester quand son contrat arrive à échéance. Il suffit qu’il annonce qu’il va partir pour qu’on ne l’aligne plus.

Que représente encore un contrat? Si je signe un contrat de quatre ans sans clause de départ, je ne peux pas m’en plaindre après-coup. D’autre part, je suis couvert. Tout est lié. Un employeur n’exploitera pas l’employé qui joue correctement le jeu. Je ne suis pas un entraîneur différent de celui que j’étais au Club Brugeois. Même avec un zéro sur quinze, je n’ai senti aucune pression ici. D’autres clubs, qui changent d’entraîneur, ont-il obtenu tant de succès? Ici, on ne cède pas à ces pratiques.

A la longue, les joueurs modifient leur façon de penser. Ailleurs, quand la direction affirme soutenir son entraîneur, celui-ci peut commencer à débarrasser son bureau. Mais si vous pensez ce que vous dites, les joueurs comprennent le message: -Il reste, nous devons compter avec lui. A moins que l’entraîneur ne sente que sa relation avec une partie du noyau est tellement dégradée qu’elle ne peut s’améliorer, comme lors de ma dernière saison à Bruges. Dans ce cas, il faut en tirer soi-même les conclusions.

Si ce genre de situation m’inquiète? Le jour où le football me fera perdre le sommeil, j’arrêterai. Ça sonne comme un cliché mais je le ferai. Le médecin m’a mis en garde: le stress est mauvais. Un moment donné, vous devez pouvoir vous en départir. En général, c’est la nuit. Et comme à cette heure-là je ne peux rien résoudre, dix minutes après m’être couché, je suis endormi. Même si je viens de perdre pour la cinquième fois d’affilée ».

Geert Foutré,

« Le jour où le football me fera perdre le sommeil, j’arrêterai »

« Si ma femme apprenait que je touche des commissions, j’aurais des problèmes »

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