Vieux con, Jeunejean !

De mon temps, quand j’étais jeune, il y avait des vieux qui disaient « De mon temps ». C’était énervant. Ils te radotaient que tu faisais ou pensais des conneries qu’eux n’auraient pas faites ou pensées à ton âge : sous-entendu que la civilisation allait partir en couille vu que la jeunesse n’était plus ce qu’elle avait été. Et chaque fois que j’entendais ça, je me disais que, quand je serais vieux mais pas con, jamais je n’emmerderais les jeunes avec des comparaisons fossiles…

Eh bien, c’est raté, je ne peux plus me retenir, faut que je me lâche et que je vous dise : DE MON TEMPS, on ne se la pétait pas tant en parlant football ! Le foot est atteint du syndrome des techniciennes de surface. Hier, celles-ci s’appelaient femmes de ménage et tout le monde comprenait : aujourd’hui, le politiquement correct fait qu’on les imagine quasi pédégères derrière leur nouvelle appellation ! On n’appelle plus un chat un chat ; le chef du personnel est devenu directeur des ressources humaines ; l’écolier n’apprend plus des matières, mais doit maîtriser des socles de compétence ; le contrôleur/SNCB se nomme accompagnateur de train ; paraît même que mon garagiste va devenir mécatronicien ! On ne pige plus rien au boulot de personne !… Bientôt en foot, par respect pour la fonction, on ne pourra plus dire garde-chiourme, mais surveillant/éducateur d’attaquant. On ne pourra plus dire porteur d’eau vu que c’est méprisant, faudra ici aussi dire technicien de surface puisqu’il s’agit pareillement de faire le ménage : sauf que le porteur d’eau n’est pas spécialement un technicien slalomant dans la surface (de réparation)…

Mais je vous le disais, le syndrome est déjà là ! De mon temps, on cherchait la passe en profondeur : on se la pète aujourd’hui en cherchant laverticalité, va-t-en savoir ce que ça révolutionne ! Le fameux box-to-box de mes deux, ce n’est jamais grosso modo qu’un médian polyvalent… L’homme libre derrière les attaquants s’est mué en électron libre, mais je doute que ça électrise davantage son rythme… On cherchait hier la passe dans l’espace libre ou dans la foulée, il s’agit aujourd’hui de jouer dans les intervalles… Et ne dites plus bêtement qu’une équipe joue bien, poussez-vous du col en remarquant qu’ elle est bien en place… De mon temps, on tâchait de réduire les écarts entre les lignes, on s’efforçait de jouer groupés : aujourd’hui, de savantes théories expliquent comment déplacer tout le bloc/ joueurs… Sans parler des apprentis sorciers prônant maintenant la zone comme panacée universelle : alors que le mot dispositif existe depuis des lustres et qu’il ne fait rien d’autre que fixer pour chaque protagoniste une zone privilégiée d’action… Continuons dans cette voie et nous finirons prétentieux comme les cultureux : nous ne parlerons plus de football moderne mais de football émergent, et nous nous positionnerons en chevaliers de la diversité footeuse…

Stop. Pitié. Gaffe à l’échafaudage de théories pour le plaisir d’échafauder ! Dans sa dimension collective, contrairement à ce qu’un nouveau jargon branché voudrait nous faire gober, le jeu de foot n’est pas devenu plus compliqué, ou plus tactique que voici 40 ou 50 ans : tout va plus vite qu’hier et moins vite que demain, mais le foot se résume toujours à trouver de l’espace quand on possède le ballon (pour se rapprocher du but, pour frapper au but), et à priver l’adversaire d’espace quand c’est ce dernier qui possède le cuir. Faut pas péter plus haut que son cul : le foot est un jeu collectif simple, qui ne nécessite pas les connexions cérébrales d’un champion d’échec ou d’un physicien nucléaire, auquel cas il ne serait pas populaire à ce point ! Simple, mais merveilleux parce que pouvant déboucher sur une gestuelle (par moments) miraculeusement belle.

La plus grande qualité d’un joueur de foot n’est pas d’arriver à intégrer une tactique sophistiquée, que tenterait de lui inculquer un coach génial autant qu’illuminé : cela demeure d’acquérir une technique individuelle de plus en plus fortiche, pour pouvoir accomplir, balle au pied, de plus en plus de gestes et de plus en plus vite. Tandis que le meilleur coach est d’abord celui qui a l’£il plus qu’un autre, en jaugeant au plus fin les qualités et défauts individuels des protagonistes (les siens, mais aussi leurs adversaires) : si bien que le collectif roulera tout seul parce qu’il aura su placer  » the right man at the right place ». Comme on disait de mon temps.

par bernard jeunejean

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