Vieilli de 5 ans

Bruno Govers

Echaudé par son expérience au Gabon, il n’a pas joué les prolongations avec l’Azingo National.

Le Clabecquois Michel De Wolf (45 ans) s’en tiendra selon toute vraisemblance à une seule expérience africaine : celle qui l’a conduit à la tête de l’équipe du Gabon en septembre 2002, et qui n’aura pas même duré un an puisque l’ex-Diable Rouge a remis son tablier en juin dernier :  » En quelques mois à peine, j’ai l’impression d’avoir pris cinq ans. Le jeu n’en valait manifestement pas la chandelle et j’ai préféré renoncer.  »

Pour l’ancien Anderlechtois, tout avait pourtant commencé comme dans un conte. Sitôt sa carrière de joueur terminée, à l’Olympique de Marseille, Michel De Wolf, amoureux du Midi, s’était établi là-bas avec son épouse Patricia et ses deux filles, Kim et Eva. A Manosque, plus précisément, où il s’était d’ailleurs reconverti comme entraîneur. Durant ses moments de temps libre, notre compatriote n’omettait toutefois jamais de rechausser les crampons avec les vieilles gloires de l’OM comme Bernard Casoni, Carlos Mozer, Didier Xuereb, Manuel Amoros et autre Marcel Dib. Du beau monde, drivé d’ailleurs par Michel Hidalgo. Bon an mal an, cette joyeuse bande multipliait les matches d’agrément partout dans le monde.

 » Au printemps 2002, l’équipe joua une rencontre de bienfaisance au Gabon « , explique Michel.  » A cette occasion, l’un des hauts dignitaires de la fédération demanda si, parmi tous ces joyeux lurons, personne n’était intéressé par le poste d’entraîneur de l’Azingo National, surnom de l’équipe nationale du pays. A l’époque, mes obligations professionnelles m’avaient retenu en Provence. Mais mes potes, tous casés, se doutaient qu’une telle perspective était susceptible de m’intéresser. Je ne désirais pas m’éterniser à Manosque, un club modeste dont les ambitions ne cadraient pas avec les miennes. Didier Xuereb, secrétaire de notre groupement, se chargea de remettre mon curriculum vitae aux responsables sur place. Et, à ma grande surprise, je fus avisé un peu plus tard que j’étais bon pour le service.  »

Engagé par fax

 » Pour moi, ce fut déjà une première surprise « , poursuit Michel De Wolf.  » Tout au long de ma trajectoire dans le monde du football, j’avais toujours dû m’asseoir avec mes futurs employeurs autour de la table des négociations pour discuter des modalités d’un contrat. Dans le cas présent, j’étais engagé sans avoir pu lier connaissance avec les membres de la fédération, puisque tous nos échanges s’étaient réalisés par fax ou par courrier électronique. Ils ne savaient pas à quoi je ressemblais, sauf peut-être l’un ou l’autre féru du football belge et français sur place, et, moi-même, je ne savais pas trop non plus à quoi m’en tenir. D’autant que je n’avais encore jamais mis les pieds en Afrique jusque-là, hormis une petite escapade avec Marseille dans le Maghreb. Mais le c£ur du continent m’était complètement inconnu. Mon contrat prenait cours le 15 août 2002. Le premier grand rendez-vous était prévu trois semaines plus tard et coïncidait avec l’entrée en matière de l’Azingo National dans les éliminatoires de la Coupe d’Afrique des Nations 2004 face au Maroc, à Libreville. Vu le laps de temps restreint qui nous séparait de cette confrontation, les dirigeants gabonais décidèrent de confier l’équipe à Manuel Da Costa, qu’ils avaient pourtant congédié un mois plus tôt ( il rit). C’était surréaliste mais je n’étais pas fâché pour autant car, en assistant à cette entame en spectateur, j’avais la possibilité de voir ce que cette équipe avait dans le ventre et d’apporter éventuellement les corrections nécessaires pour les besoins du deuxième match de poule, qui devait se dérouler un mois plus tard en Sierra Leone. Ce dont je ne me doutais pas, c’est que j’allais rester sur ma faim. Il n’y avait pas de championnat, à ce moment-là, sur la scène domestique, au Gabon, et la fédération ne disposait pas non plus du budget nécessaire pour me permettre de suivre les évolutions des professionnels en Europe… « .

Après avoir repris le flambeau de son devancier sans changer quoi que ce soit pour le déplacement à Freetown (défaite 2 à 0 face à Ibrahim Kargbo et ses coéquipiers sierra leonais), Michel De Wolf n’eut d’autre alternative que de se tourner les pouces en attendant la troisième échéance du calendrier en CAN : le match à domicile face au petit poucet du groupe, la Guinée Equatoriale, prévu le 30 mars 2003. Encore heureux qu’au mois de janvier, la Coupe d’Afrique des Nations des moins de 20 ans était programmée au Burkina Faso et que, pour la toute première fois de leur histoire, les Espoirs gabonais avaient réussi à se qualifier pour cette phase finale.

Ce fut l’opportunité de découvrir quelques jeunes talents qu’il inclut alors chez les A comme Eric Mouloungui (Racing Strasbourg), Fabrice Domarcolino (Angoulême) ainsi que les locaux Georges Ambourouet et Rodrigue Mubamba de l’USM Libreville.

Langouste au menu

 » Exception faite de ces quelques semaines passées à Ouagadougou et Boubou Dialasso, je n’ai strictement rien fait « , dit-il.  » Je quittais mon domicile journellement à 9 heures et, après avoir été saluer mes supérieurs à la fédération ainsi qu’au ministère des Sports, j’étais libre comme l’air. J’en ai profité pour visiter le pays : Libreville d’abord, puis Port-Gentil et enfin Lambaréné, cette cité en pleine brousse où le docteur Albert Schweitzer avait construit un hôpital au milieu du siècle dernier. Par deux fois, j’ai voulu m’enfoncer plus loin au c£ur du pays. Mais à autant de reprises, mon 4 X 4 a rendu l’âme. Dès lors, je n’ai plus insisté et je me suis contenté de flâner dans la capitale et de manger de la langouste matin, midi et soir. Mais j’en ai vu de toutes les couleurs dans l’exercice de mon métier A l’école, on m’a toujours appris qu’une ligne droite est la distance la plus courte entre deux points. En Afrique, manifestement, c’est différent. Pour rallier la Sierra Leone au départ du Gabon, nous avons d’abord fait un crochet par le Togo et le Ghana. Et rien n’était prévu sur place pour nous accueillir. Il a d’abord fallu négocier un hôtel, puis un terrain d’entraînement. Ensuite, il nous en a coûté 150.000 francs CFA pour franchir la frontière ghanéenne. J’étais tellement excédé que j’ai finalement sorti l’argent de ma propre poche. Mais je n’étais pas encore au bout de mes peines. A Accra, où nous devions nous envoler pour Freetown, il n’y avait que 15 places disponibles pour nous dans l’avion. Comme il était hors de question de laisser sur le carreau les accompagnateurs de la fédération, quatre joueurs ont tout simplement été abandonnés, ainsi que le médecin de l’équipe et le délégué. Sur place, j’ai porté toutes les casquettes : coach, docteur, team-manager. Nous avons perdu 2 à 0 et ce jour-là, pour la première fois, j’ai songé à démissionner. Pour quelqu’un de cartésien, comme moi, il n’était pas possible de continuer de la sorte. Mais en définitive, je me suis ravisé en me disant que j’avais sans doute vécu le plus pénible.  »

Mais le pire était à venir. Après une promenade de santé face à la Guinée Equatoriale à Libreville, le 30 mars dernier, la revanche contre le pays voisin, le 8 juin, fut d’un tout autre acabit.

 » Nulle part nous n’avons trouvé une adresse où on voulait nous préparer à manger. Nous avons finalement abouti dans un restaurant chinois dont le propriétaire, un Asiatique, n’était manifestement pas au courant de la guerre des nerfs entre les deux pays. L’orage n’était pas passé pour autant : sur la route menant au stade national, notre car fut bombardé de projectiles. A cause de l’attitude hostile des gens, il ne nous fut pas possible non plus de nous échauffer sur le terrain. A la mi-temps, le score était de 1-1 mais la panique se lisait sur tous les visages. Thierry Mouyouma, à la fois le capitaine et l’élément le plus chevronné de l’équipe, ne voulait plus monter sur le terrain à la reprise. Il craignait de ne pas en sortir vivant. Finalement, les gars ont joué la peur au ventre et se sont inclinés 2-1. Malgré la victoire de leurs joueurs, les supporters locaux n’en voulaient pas moins notre peau. Pendant deux heures, nous nous sommes abrités dans le dug out, qui nous servait de bouclier face aux pierres qu’on lançait dans notre direction. A ce moment-là, je me suis dit que c’était fini et qu’on ne m’y reprendrait plus.. Et je suis parti sans demander mon reste.  »

Trop de négatif

 » Dans des conditions ingrates, j’ai essayé de faire mon possible. L’équipe est passée d’un système à cinq derrière à un schéma beaucoup plus classique en 4-4-2. Au printemps, lorsque la compétition nationale avait repris ses droits au Gabon, j’avais invité les techniciens des principaux clubs afin d’exposer mes vues. Au total, cinq sont venus et ont adhéré à mes principes. Les autres n’ont pas pris la peine de se déplacer. Pourquoi l’auraient-ils fait d’ailleurs, dans la mesure où la plupart mènent une vie pépère dans leur club respectif ?

Le Gabon est un pays riche en vertu des normes africaines. Les entraîneurs et les joueurs ne doivent pas s’y battre, comme ailleurs en Afrique, pour manger à leur faim. Grâce au pétrole et aux ressources minières, tout le monde a ce qu’il lui faut là-bas. Résultat des courses : les joueurs ne sont pas concentrés sur leur sujet. Entre nos deux matches contre la Guinée Equatoriale, certains avaient grossi d’une demi-douzaine de kilos en l’espace de deux mois. Etant moi-même un pro jusqu’au bout des ongles, je ne pouvais pas m’en accommoder. C’est pourquoi cette union était vouée à l’échec. Mais quoi qu’il en soit, je ne me plains pas d’avoir tenté cette aventure. J’ai eu l’occasion de voir un chouette pays et de me faire une idée de ce qu’est l’Afrique à travers ces passages au Togo, au Ghana, en Sierra Leone et en Guinée Equatoriale. Une chose me paraît évidente : si le football y était pensé et organisé comme il l’est chez nous, l’Afrique serait une super-puissance au niveau mondial. Mais tant que tout baignera dans l’amateurisme, la politique et la corruption, rien ne changera.

En tout cas, ces quelques mois passés loin de ma famille, m’ont suffi. Dans l’immédiat, c’est en Belgique que je veux me fixer et trouver du travail. Une place de coordinateur des jeunes suffirait amplement à mon bonheur. Si les clubs français ont progressé ces dernières années, c’est en détachant des valeurs à cette mission… « .

 » Pendant six mois, je n’ai vu aucun de mes joueurs ! « 

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