Vieille GUERRE

Pourquoi l’Ecossais et le Français sont-ils à couteaux tirés ?

Les confrontations entre Alex Ferguson et Arsène Wenger font le bonheur de la presse et très vite, c’est Ferguson qui a jeté de l’huile sur le feu. Quand Wenger, en 1997, a proposé de supprimer les replays dans les épreuves de coupes, Ferguson a rétorqué :  » Il ne comprend rien au football anglais. Il revient du Japon et voilà qu’il veut nous expliquer ce que nous devons faire « .

Ce que Ferguson pense de Wenger est formulé noir sur blanc dans une interview parue en 2003 :  » On raconte que Wenger est très intelligent et qu’il parle cinq langues. Génial. Dans mon noyau, il y a un joueur de quinze ans qui parle cinq langues « …

Avec son caractère introverti, Wenger ne peut guère éprouver de sympathie pour le volcanique Ferguson mais ses déclarations sont plus fines. En 2001, apprenant le projet de départ à la retraite de l’Ecossais, il a commenté :  » Il a fourni de l’excellent travail mais le club a un tel potentiel qu’il sera toujours un adversaire difficile. Il a assez d’argent pour enrôler un bon successeur et de bons joueurs. Le budget de Manchester United est deux fois supérieur au nôtre mais ce n’est pas grave. J’apprécie notre rivalité « .

Traduction : ce que Ferguson réussit dans un tel club, doté d’un budget aussi élevé, n’est pas si formidable. Autre fait significatif : jamais, Wenger n’a félicité son collègue à l’occasion d’un titre. Mais pourquoi sont-ils si différents.

La jeunesse

L’Ecossais Alex Ferguson, 62 ans, est né à Govan, une triste banlieue de Glasgow, l’ancien c£ur de l’industrie navale britannique. Il était donc normal que les membres masculins de la famille Ferguson travaillent pour un des trois chantiers.  » Pendant la guerre, on travaillait jour et nuit « , expliqua Ferguson plus tard.  » La nuit, nous ne pouvions dormir, à cause du bruit du métal. On travaillait dur et cette mentalité se transmettait de père en fils « .

Bambin d’ Alex senior et d’ Elizabeth Hardie, il a grandi dans la pauvreté avec son frère, Martin :  » C’était dur mais nous n’étions pas miséreux. Nous n’avions ni auto ni télévision mais j’avais le sentiment de tout posséder. C’était le cas : j’avais le football « .

A Arsenal, le Français Arsène Wenger, 54 ans, entraîne des footballeurs venus de tous horizons et est lui-même un globe-trotter qui n’a passé que sa jeunesse à Strasbourg. Après des années d’occupation, l’Alsace était française mais son passé allemand et les noms des villages et des rues pouvaient induire en erreur.

Il est né à Duttlenheim où son père Alphonse tenait un petit café et un commerce de pièces détachées pour autos. Il se trouvait souvent au bistrot, qui marchait très bien, mais sa mère, Louise, le tenait à l’oeil. Arsène était toujours ébahi par le comportement des clients du café quand ils étaient ivres. Le sentiment d’indépendance de la population locale s’était aussi implanté en lui. A l’école, il était un élève modèle. Il savait qu’il devrait faire des efforts pour arriver à quelque chose, car sa région ne lui offrait guère de perspectives.

Les débuts

A Glasgow, le football était une sorte de troisième religion, essentielle pour les protestants comme les catholiques, qui avaient chacun leur club. De ce point de vue, Alex Ferguson a rapidement été un cas à part. Son père, catholique, était supporter du Celtic, mais le jeune Ferguson avait une préférence pour les Rangers. Le samedi après-midi, il se glissait à travers les grillages pour voir ses favoris sans payer de billet :  » Mon père ne s’offensait pas trop de mon choix, pour autant que j’évite les derbies « .

A Duttlenheim, il n’y avait guère de distractions. C’est sans doute pour ça que le football était si populaire. Il n’y avait qu’un terrain pour les jeunes. Chaque semaine, un groupe d’habitués s’y réunissait. Former des équipes n’était pas évident. Il n’y avait pas toujours assez de monde. Arsène Wenger devint le maître. Il s’affairait à recruter des joueurs. Après leur match, ils regardaient les amateurs du FC Duttlenheim, la fierté locale.

Les rêves

Alex Ferguson rêvait d’une carrière professionnelle, au service des Rangers. Son père et son grand-père n’avaient jamais atteint ce niveau. Le gamin voulait les surpasser. A neuf ans, il s’affilia aux Life Boys , un club protestant.

Sous la houlette de son père, Ferguson est devenu un attaquant bourré de rage de vaincre. Une fois, après avoir marqué quatre buts pour Govan High, l’équipe scolaire, il entendit son père commenter :  » Quel mauvais joueur. Il ne cède jamais le ballon « . Cette éducation spartiate allait inculquer à Ferguson sa dureté future.

Les jeunes de Duttlenheim ne souhaitaient pas devenir footballeurs : ça n’avait aucun sens. Arsène Wenger a expliqué pourquoi, plus tard :  » A cette époque, il n’y avait guère de scouting professionnel. Dans un village, on avait donc peu de chance d’être découvert « . Max Hild, son premier bon entraîneur, celui qui l’a découvert :  » Il n’était pas destiné à devenir footballeur. Il devait reprendre le commerce de son père « .

Wenger joua à partir de dix ans pour le FC Duttlenheim. Il émergea grâce à son intellect. Stratège de l’entrejeu, il dirigeait. Il avait déjà 20 ans quand Hild le transféra à l’AS Mutzig. Wenger passait d’une équipe de province inconnue à un club de D3. Il n’osait même pas songer à une carrière.

La carrière

Après son équipe d’école, à Govan High, Alex Ferguson rejoignit, à 16 ans, les Queens Park de Glasgow, un club de tradition qui ne payait pas ses joueurs. Ensuite, il devint professionnel à Saint Johnstone, à Dunfermline Athletic, chez  » ses  » Glasgow Rangers, à Falkirk et à Ayr United. Ses années à Dunfermline (1964-1967) ont été ses meilleures. Avec ses 31 buts en autant de matches de championnat en 1965-1966, il détient toujours le record du club.

En revanche, son séjour aux Rangers, son club, ne fut pas agréable. Son niveau dépassait celui de Ferguson. Il s’appuyait sur sa combativité et y acquit le surnom peu flatteur de Razor Elbows (les coudes rasoirs). Ferguson joua un total de 432 matches en championnat d’Ecosse et marqua 222 buts.

Même s’il n’avait jamais nourri d’ambition, Arsène Wenger disputa douze matches pros, pour le compte du RC Strasbourg durant la saison 1978-1979. La chance le servit. Max Hild l’avait entraîné dès 1969 chez les amateurs de l’AS Mutzig et il était ainsi devenu le meilleur de l’équipe.  » S’il avait été découvert plus tôt, il aurait réussi « , a expliqué Hild en 2002.  » Je le comparerais à Ray Parlour, mais avec le sens tactique de Roy Keane. Un bon médian « .

En 1973, Wenger a rejoint le FC Mulhouse, puis, deux ans plus tard, le modeste AS Vauban. En automne 1978, il se retrouva, grâce à Hild, à Strasbourg, comme entraîneur adjoint des Réserves. Une cascade de blessures lui permit de jouer alors qu’il avait mis fin à sa carrière active.

La vocation

Ferguson était trop attiré par le football pour être un bon étudiant mais il voulait apprendre un métier. A 16 ans, il se retrouva donc chez Remington Rand, une usine de machines à écrire. Il combinait école et formation professionnelle. Il y resta un an, une année dure, puisque s’y ajoutait le football. Il provoqua deux grèves à l’usine, pour améliorer les conditions de travail.

Si Wenger était limité comme joueur, il était intelligent. Il décelait rapidement les problèmes et des solutions que d’autres cherchaient en vain. Gamin, il lisait déjà des livres d’adultes. Logiquement, il entreprit des études, même si ses qualités d’entraîneur émergèrent si rapidement qu’il n’allait jamais travailler en dehors du football. Wenger a réussi des études en économie, sociologie, anglais et allemand à l’université de Strasbourg !

La vie privée

En dehors du football, Ferguson était un fervent amateur de chevaux et collectionnait les grands vins. Il n’a jamais aimé les journalistes, en revanche. En 1964, il épousa Cathy Holding, de trois ans sa cadette. Ils sont toujours unis. Ils ont eu trois garçons. Mark est né en septembre 1968, les jumeaux Jason et Darren sont venus quatre ans plus tard. Seul Darren est devenu footballeur professionnel. Il est actuellement sous contrat à Wrexham, au Pays de Galles, en Second Division. Jason, agent de joueurs, est davantage sous les feux de la rampe. Comme Martin, le frère d’Alex, il a été quelques fois au centre de polémiques. Son père obligerait plus ou moins les jeunes joueurs d’United à signer chez Jason…

Wenger s’est installé avec son amie et sa fille à Totteridge, dans la banlieue londonienne. Depuis 1995, il partage la vie d’ Annie Brosterhous, une ancienne internationale française de basket, mais c’est un des rares détails de sa vie privée qu’on connaît. En dehors du football, Wenger ne supporte pas la pub. On se demande d’ailleurs s’il a une vie à côté du football. En mai 1998, après son premier titre national avec Arsenal, on lui a demandé ce qu’il pensait de Londres, au bout de deux ans.  » Je serais incapable de le dire « , a-t-il avoué.  » Je ne suis jamais vraiment allé à Londres. Je connais le chemin de Totteridge au stade et je peux trouver le complexe d’entraînement, c’est tout « .

Les relations

En football, Alex Ferguson n’entretient pas de bonnes relations avec beaucoup de gens. Mark Hughes, son ancien attaquant à Manchester United, actuellement sélectionneur du Pays de Galles, est de ses rares amis. Alex McLeish, un défenseur, pilier du succès d’Aberdeen sous Ferguson, entraîne maintenant les Glasgow Rangers et est en contact étroit avec lui aussi. Ses ennemis sont légion. Le plus célèbre à part Wenger est Gordon Strachan, le manager de Southampton. L’Ecossais aux cheveux roux a été un joueur de Ferguson, à Aberdeen et à Manchester United, mais il a souvent trahi la confiance de son compatriote.

Boro Primorac est l’homme de confiance de Wenger à Arsenal. Ils se connaissent depuis plus de vingt ans. D’origine yougoslave, il répercute les propos du Français, dont il est le seul ami en Angleterre. Wenger est aussi en contact avec Glenn Hoddle, qui a joué à Monaco sous ses ordres, avec succès. Son principal ennemi est Ferguson, même si, de ce point de vue, Wenger s’en tient toujours à des banalités :  » Je ne sais pas du tout s’il me trouve bien ou pas. Je ne le connais pas suffisamment pour en juger mais ça ne me préoccupe pas non plus « .

Les managers

A 25 ans, Alex Ferguson était déjà déterminé à rester dans le milieu à la fin de sa carrière active. Alex Totten, avec lequel il a joué à Dunfermline, a déclaré en 2002 :  » Il était déjà un entraîneur. Il nous indiquait nos tâches, nous disait où courir, et il était le patron dans le vestiaire, après le manager « .

Ferguson a obtenu son diplôme d’entraîneur et est devenu manager d’un illustre inconnu, East Stirlingshire, en 1974. Il n’y resta que 117 jours. Il était trop bon pour ce niveau. D’octobre 1974 à août 1978, Fergie a travaillé à Saint Mirren. Il y a vécu son unique limogeage car il ne s’entendait absolument pas avec le président Willie Todd. Son passage à Aberdeen, en 1978, devint un conte de fées et lui permit de se faire un nom. En un rien de temps, il le transforma en club de l’élite qui gagna le championnat d’Ecosse en 1980, 1984 et 1985 pour remporter la C2 en 1985, au détriment du Real Madrid. Après le décès brutal du légendaire Jock Stein, Ferguson assura l’intérim de l’équipe nationale écossaise durant le Mondial mexicain de 1986. Il ne put éviter aux Ecossais d’être, comme toujours, éliminés dès le premier tour. Le 6 novembre 1986, il signa à Manchester United.

Adjoint du RC Strasbourg, Arsène Wenger fit impression dès 1978, grâce à sa connaissance théorique du football et à ses dons didactiques. L’entraîneur le nomma responsable des jeunes en 1981, car il était particulièrement bon avec les juniors. C’est Aldo Platini, le père de Michel qui lança la carrière de Wenger en 1985, à l’AS Nancy, dont il devint entraîneur principal. Il s’imposa immédiatement au club du président Platini, grâce à son professionnalisme, à ses méthodes de travail et à son don pour former une équipe soudée.

Malgré la relégation de Nancy en 1987, Wenger rejoignit ainsi un grand club. Il dirigea la fierté des mondains Monégasques pendant sept ans. Il fut sacré champion de France dès sa première saison, en 1988, et quatre ans plus tard, il conduisait l’équipe en finale de la C2, qu’il perdit contre le Werder Brême. Pendant six ans, Monaco termina dans le top-trois français. La saison 1993-1994 fut décevante avec une neuvième place et il fut renvoyé en octobre 1994.

Wenger considère toujours son passage au Japon, à Nagoya Grampus Eight, comme le meilleur moment de sa vie. Il y a travaillé de janvier 1995 à septembre 1996 avant de signer à Arsenal.

Martijn Horn

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