Vie des stades Le meilleur : les tifos

Visite chez les Ultras des principaux clubs du pays.

Saison 1996-97, le stade de Sclessin poursuit son lifting. Le vénérable virage « Terril » témoin de tant d’heures de gloire est rasé. A sa place s’élève une tribune à deux étages. André Duchesne ne sait pas encore ce qu’il va en faire. Il pense y installer des salles de cinéma. A moins qu’une patinoire ou, qui sait, un salon de thé ne fasse l’affaire! Projets farfelus, voire risqués. L’endroit est devenu le repaire du Hell Side, peu connu pour son romantisme ou sa poésie. Projets vite abandonnés d’ailleurs. Donc en attendant les fonds octroyés pour l’EURO 2000 le bâtiment demeure inachevé. C’est alors une curva de style italien qui se dresse. A ciel ouvert.

Gamin du Hell, interpellé par la chute d’ambiance qui transforme le chaudron en frigidaire, Mirko se sent pousser des ailes. En compagnie de quelques amis, il s’envole vers le balcon. Naissent les Ultras Inferno. Variante latine de l’intitulé Hell Side qui lui-même tire son nom du kop, l’Enfer de Sclessin. La forte colonie italienne de Liège adore. Elle qui se branche tous les dimanches sur la RAI en frémit de plaisir. Référence suprême de Mirko qui ne peut renier ses origines. Plus Rital que lui, tu meurs. En compagnie de Tonio, Michel et quelques autres, il est le géniteur des Ultras Inferno.

Une vie professionnelle riche et bien remplie lui prend beaucoup de temps. Les tifos c’est son hobby. Sa passion. Totalement imprégné de l’esprit Ultra, il avoue : « Le Standard, OK. Mais ce qui importe surtout, c’est le groupe. La camaraderie. Le feu sacré. Un Ultra authentique est quelqu’un qui pense, vit par et pour son clan. C’est quelqu’un qui bûche le temps qu’il faut pour être prêt le jour du match. Le trip : montrer à ceux d’en face que nous sommes les meilleurs. Après, il y a la vérité du terrain. Autre chose. Les joueurs peuvent perdre une rencontre. Nous, nous devons toujours gagner. C’est ainsi! »

Par le biais du fan-coaching, les Ultras entament de longues négociations avec les forces de police afin d’introduire fumigènes et oriflammes dans le stade. Les discussions aboutissent. Lors de la visite de Lokeren en Coupe de Belgique se déroule le premier tifo. Il est modeste. Mais il a le mérite d’exister. Et surtout, il donne le coup d’envoi d’un changement radical dans la manière d’appréhender le rôle du supporter. Partout maintenant, les fans lancent des rouleaux de papier en guise de serpentins géants. De grandes bannières chapeautent les gradins. Pourtant, une différence fondamentale se fait jour entre les groupes puissants. Elle se marque suivant la localisation géographique. Des têtes de pont illustrent à merveille cette observation : Bruges, Anderlecht, Liège et Charleroi. Côté Nord le type anglo-saxon prédomine. Côté Sud, on vote résolument méditerranéen.

Eric est un routinier des Blauw en Zwart. Il a connu le Klokke et faisait partie du légendaire Spionkop brugeois. Il se souvient : « Nous étions une bande d’étudiants. Certains jouaient dans de petits groupes de jazz et venaient aux matches avec leurs instruments de musique. Les autres chantaient. En coupe d’Europe, nous avons affronté des équipes comme West Bromwich Albion ou Chelsea. C’est là que s’effectue réellement la découverte de l’Angleterre. Certains d’entre nous traversent le channel pour assister à des rencontres de Premier League. Ils en reviennent avec de nouveaux chants qui influencent l’ensemble du public. Le processus se poursuit même après le déménagement à l’Olympiapark ».

Bruges est sans conteste le public le plus anglais de Belgique. L’éparpillement du East Side consécutif à l’agrandissement de l’arène a accéléré le phénomène. « Si chacun conserve avec nostalgie une part du Spionkop dans son coeur, l’esprit brugeois concerne tout le stade. Les mordus ne se regroupent plus nécessairement en un endroit précis. Ils sont partout et donnent le ton. Comme à Manchester. Comme à Leeds. Comme à Arsenal. L’essentiel est d’offrir aux joueurs cette fameuse fonction de douzième homme. Sur la pelouse, ils ne regardent pas les gradins pour scruter ce qui s’y passe. Par contre, ils perçoivent les encouragements. Je crois qu’il vaut mieux être entendu que vu ».

Si le Breydelstadion vibre et sonne la charge, le Parc Astrid offre un autre profil. On s’y rend parfois comme on va au théâtre. En spectateur. Pas en acteur. Cette attitude passive, Christophe Bertels la déplore. Lui que l’on surnomme Manolo en référence au célèbre joueur de tambour espagnol tente de réveiller les choeurs de l’armée mauve. Parfois il y arrive : « Mais il faut vraiment que le challenge soit de taille. Et que l’équipe joue bien. Alors, oui, il y a de l’ambiance. Ce fut le cas lors des visites de Manchester et de la Lazio. Pour ma part, ce n’est pas de cette manière que j’appréhende ma fonction de sympathisant. Il convient de donner de la voix lorsque la mécanique accuse des ratés. Quand tout roule, c’est facile ».

A Anderlecht aussi, les fractions partisanes se sont dispersées. Les vétérans du O-Side occupent l’emplacement « K4 » dans la tribune latérale. Les plus jeunes s’égosillent derrière le but. Juste au-dessus d’eux, dans le bloc « C4 », s’installent les Purple Angels de Manolo.

Situé au centre de la diagonale Liége-Bruges, Anderlecht s’ouvre à l’observation. En amenant fumigènes et flammes, les Angels s’ouvrent à la différence même si Manolo explique : « La capitale est très câblée. Devant leur poste de télévision, les mordus de foot ont l’embarras du choix. Toutefois, les émissions diffusées par la BBC reçoivent la plupart des suffrages. Le foot anglais est magique. Par sa ferveur et son enthousiasme. Dès lors, la plupart d’entre nous se fondent dans ce moule. Seule notre brillante participation à la Ligue des Champions a quelque peu modifié l’approche ».

La compétition reine constitue une scène. Elle propose une occasion merveilleuse de valoriser l’image du club à travers l’Europe. Les supporters ne souhaitent pas être en reste par rapport aux joueurs.

« Voyez Lens. Dans l’absolu, un patelin sans intérêt », remarque Manolo. « Grâce à la télédistribution, il a acquis une dimension internationale. Partout on parle de son public en or. Voilà l’exemple à imiter. Je regrette amèrement de ne pas avoir davantage profité de la coupe d’Europe pour présenter un visuel digne des plus grands ».

Contrairement à la mentalité brugeoise, ceci signifie que la volonté de faire autre chose est présente. Le souhait d’organiser des spectacles germe dans les esprits. Problème : il faut du matériel. Et le matériel coûte cher.

Manolo : « Marseille met un local à la disposition des Ultras. Ils y entreposent les bannières, les étendards, les ballons et tout le nécessaire. Ils jouissent d’un accès au stade afin d’y tenir des réunions et ainsi planifier les animations. De surcroît, ils disposent de budgets impressionnants. Actuellement, il nous est impossible de rivaliser. Je voudrais rencontrer la direction du club et discuter de cela sérieusement. Peut-être est-il possible d’obtenir un peu d’aide de ce côté ».

Mieux lotis que tous les autres, les fans du Sporting de Charleroi ont trouvé un interlocuteur de choix en la personne d’ Abbas Bayat. Le président a tout compris. Malin et diplomate il s’est rendu compte que la marée humaine peut devenir, à l’instar des joueurs, un excellent outil de propagande. Joignant l’utile à l’agréable, il a ainsi offert aux Wallons Boys une gigantesque voile zébrée portant bien sûr la mention Chaudfontaine Monopole! Effet garanti.

« Nous, ça nous arrange », dit simplement Fred Emans, coordinateur des clubs de supporters. « Charleroi aime l’aspect festif du foot. De tels gestes contribuent à recréer une dynamique. Depuis le drame du Heysel, les autorités politiques nous ont déshabitués à faire la fête. A l’issue d’interminables palabres, nous pouvons entrer avec des calicots dont la hampe doit être souple, flexible. Mais elle ne peut dépasser 1,5 mètre de long. En soit, c’est déjà un progrès. Résultat, nous en possédons une trentaine. Tout le public du Mambourg ne glisse pas encore dans notre sillage. Question de temps sans doute ».

Les Gueules Noires et les Wallons Boys sont d’ardents partisans du tifo. Ils se veulent responsables comme en atteste cette remarque formulée par Fred Emans : « Nous ne mélangeons jamais des animations à base de rouleaux de papier et de pots de fumée. Trop dangereux. Un jour, nous avons failli mettre le feu à la valise d’un photographe ».

Au cours de ce deuxième tour, le Sporting de Charleroi accueillera les grosses pointures de la D1. Autant d’occasions d’illuminer le superbe vaisseau du Pays Noir. « L’idéal est de créer une balance entre l’aspect visuel et les encouragements sonores. Pour un beau tifo, l’investissement varie entre 50 et 80.000 francs. Nous nous servons des tombolas d’avant match afin de récolter les fonds. Monsieur Bayat nous appuie. Il a effectué un calcul basé sur les amendes infligées au Sporting l’année dernière pour indiscipline du public. Si le club n’est plus sanctionné, il nous verse la différence afin que nous mettions sur pied des spectacles. C’est bien. Pour notre part, nous nous réunissons quinze jours avant la rencontre concernée. Nous décidons de l’animation et nous tentons de la mettre en chantier », ajoute Fred.

Daniel Renard

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