VICTIMES DU SCANDALE

Pierre Danvoye
Pierre Danvoye Pierre Danvoye est journaliste pour Sport/Foot Magazine.

Des métiers et des institutions sont en première ligne pour subir les effets du chipotage de matches.

Depuis le déclenchement des affaires, il ne fait plus bon être Loup, de près ou de loin. Tout ce qui gravite autour du Tivoli est-il pour autant pourri dans l’imaginaire collectif ? Plus grave encore : le grand public n’est-il pas tenté de mettre tous les acteurs du foot belge dans le même sale panier, de considérer que les événements relevés à La Louvière, à St-Trond ou au Lierse se répètent forcément dans d’autres clubs de D1 ? L’image de la Fédération souffre-t-elle, à l’étranger, de ces scandales ? Tous les agents de joueurs paient-ils la note sous prétexte que deux hommes de cette corporation ( Pietro Allatta et Federico Avellino) sont aujourd’hui inculpés ? Les supporters des Loups sont-ils pris pour cibles dès qu’ils mettent les pieds dans un stade ? Comment réagissent les arbitres après les rumeurs selon lesquelles des referees auraient aussi pu participer à la mascarade ? Paul Put et Gilbert Bodart ont-ils compliqué la vie de tous les autres entraîneurs de l’élite ? Quel est l’impact des problèmes judiciaires de Filippo Gaone sur la notoriété des autres présidents ? Quid de Belgacom TV, qui a investi une fortune dans un produit aujourd’hui dévalorisé ? Et comment réagit un sponsor principal dont l’équipe est au centre de toutes les rumeurs ?

Analyse des dégâts collatéraux provoqués par le dernier scandale en date dans le football belge.

Un joueur

Alexandre Teklak (La Louvière) :  » Ça peut paraître étonnant, mais le vestiaire de La Louvière ne souffre pas des affaires, des rumeurs, des accusations, des inculpations. Les joueurs n’ont qu’un mot à la bouche : maintien. Nous avons appris à prendre nos distances par rapport à tout le reste. La presse s’est un peu décrédibilisée après la sortie d’articles qui racontaient n’importe quoi : les gens ont compris qu’il ne fallait plus prendre pour argent comptant tout ce qui est écrit dans les journaux. Je suis bien placé pour en parler puisqu’on a raconté des trucs complètement fous sur moi, et tout le monde a bien compris par la suite que c’étaient des inventions pures et simples. Nous restons donc sereins par rapport aux accusations. Ce qui doit arriver, arrivera. Les tricheurs n’auront plus qu’à en subir les conséquences. Ce sera leur problème, pas celui des innocents. On nous chambre un peu en déplacement, mais ça reste assez calme. Je pense que les gens ont bien réfléchi, qu’ils nous considèrent plus comme des victimes que comme des coupables. C’est la même chose en rue : on nous encourage, on nous demande de ne plus penser qu’au foot, plutôt que de nous enfoncer. On ne m’a jamais fait remarquer que tous les joueurs de La Louvière étaient pourris « .

Un coach

Jos Daerden (G. Beerschot) :  » Je n’ai pas l’impression que l’image de notre métier souffre de ces affaires. Evidemment, tout ce qu’on entend n’est pas positif pour nous ou pour le football en général, mais les conséquences en termes de réputation restent limitées. Ce n’est pas la première fois qu’un scandale éclate dans notre foot, mais il s’en est toujours relevé. Beaucoup de gens disent qu’ils en ont marre mais ils continuent quand même à venir au stade. Cela me fait penser à l’affaire Festina : certains ont cru que le cyclisme ne s’en remettrait pas, mais il y a quand même de plus en plus de monde le long des routes des grandes courses. La fréquentation des stades en Belgique ne diminue pas non plus. Le football et le cyclisme sont de telles institutions qu’il en faudrait bien plus pour les tuer « .

Un président

Johan Vermeersch(Brussels) :  » Les présidents dont les clubs ne sont pas concernés par le scandale n’en ont rien à faire, de toutes ces histoires. Moi, j’ai vraiment pris mes distances. Je compare cette affaire à un gros virus. C’est une attaque de l’extérieur vers l’intérieur. Il y a tellement d’argent et d’intérêts en jeu dans le football professionnel que chaque club peut être une proie, surtout s’il a des difficultés financières. Cela s’est vérifié aussi bien à La Louvière qu’au Lierse. Moi, on ne m’a jamais proposé 500.000 euros ou plus, du jour au lendemain, sans justification valable. Si un investisseur pareil se présentait, j’aurais au moins la présence d’esprit d’analyser ses intentions réelles. Evidemment, quand un président est incapable de justifier l’arrivée de 500.000 euros, on doit se poser des questions. Mais bon, Filippo Gaone doit aussi conserver le bénéfice du doute. Sa culpabilité n’est pas prouvée. On attend d’un bon président qu’il se méfie de tout, qu’il se protège et contrôle tout ce qui se passe dans son club. Il n’a généralement pas la possibilité de passer tous les jours au stade, mais il doit alors nommer des personnes fiables aux postes clés, avoir un organigramme qui tient la route, des collaborateurs au-dessus de tout soupçon. Quelques patrons de clubs sont aujourd’hui dans les cordes, mais les autres restent tout à fait crédibles « .

Un agent de joueurs

Didier Frenay :  » L’aspect négatif des affaires, c’est qu’on a parfois tendance à mettre tous les agents de joueurs sur le même bateau. Dans votre magazine de la semaine dernière, mon nom apparaît en gras dans un article consacré au scandale des matches truqués. Je ne suis en rien mêlé à ces histoires, évidemment, mais mon nom apparaît quand même et c’est néfaste – NDLR : Frenay avait été cité pour être complet dans le récit et Sport/Foot magazine ne lui reprochait rien, effectivement. Je préfère rester positif et penser que les affaires actuelles permettront de mettre un peu d’ordre dans la corporation, de ranger d’un côté les agents qui font bien leur boulot et de l’autre ceux qui pourrissent le métier. Si les clubs en tirent des conclusions et choisissent mieux, à l’avenir, les agents avec lesquels ils traitent, le scandale aura eu du bon. Je ne connais pas du tout ce Federico Avellino. Il n’a pas de licence FIFA, c’est déjà un gros problème. Pietro Allatta, lui, possède la licence. On peut discuter sur la manière qu’il a employée pour l’avoir, mais il l’a ! Ce qui se passe aujourd’hui prouve toutes les lacunes du système, les manquements au niveau de la procédure d’octroi de la licence, les stupidités de la réglementation belge qui impose trois licences différentes en fonction de la partie du pays dans laquelle on veut travailler. Rien n’est clair, il n’y a aucun garde-fou, tout le monde peut s’inscrire aux examens même sans aucun passé dans le monde du football, les responsables des examens sont incapables de répondre aux questions posées par les candidats. Si on ne tire pas de leçons de ce qui se passe aujourd’hui, tout le monde sera perdant : les agents et les clubs. Par contre, si on analyse bien les choses, ces affaires peuvent être profitables à tout le football « .

L’Union Belge

Jan Peeters (président) :  » J’ai participé récemment au congrès de l’UEFA à Budapest et je m’attendais à y être bombardé de questions sur les matches truqués en Belgique. A ma grande surprise, on m’en a à peine parlé. Parce que tout le monde a ses problèmes. En Belgique, ce sont actuellement les matches arrangés et les paris douteux qui nous préoccupent. Dans les autres pays, ce sont d’autres maux. De nombreuses personnes m’ont abordé sur la question du procès intenté par Charleroi à la FIFA, par contre. Cette affaire-là inquiète tout le monde parce que c’est l’avenir des équipes nationales qui est mis en danger.

Je ne suis pas persuadé que les dégâts à long terme provoqués par l’affaire des matches truqués seront catastrophiques pour le foot belge. Si l’Union Belge continue à montrer qu’elle est fermement décidée à faire le ménage, la confiance des gens reviendra. C’est clair que, pour le moment, notre image est mauvaise. Et c’est tout notre football qui n’est plus pris au sérieux. Je le constate par exemple dans les e-mails et les lettres que je reçois. Les gens sont fort mécontents. La presse, surtout flamande, a aussi joué un rôle en nous accusant de ne rien faire. Mais nous étions déjà occupés à travailler, sans dévoiler nos armes. Malheureusement, le procureur fédéral a presque dû attendre l’autorisation de la justice pour pouvoir commencer à enquêter. C’est pour cela que notre enquête a démarré assez tard. Entre-temps, nous avons bien rattrapé le temps perdu.

On nous a aussi reproché l’amnistie accordée au Lierrois Patrick Deman, mais j’y étais favorable et j’avais d’ailleurs donné mon accord au procureur de notre fédération, René Verstringhe. Pourquoi Deman et pas les autres ? Parce que lui, au moins, a dit toute la vérité et nous a permis d’avancer dans notre boulot d’investigation. D’autres acteurs du scandale pourraient prochainement bénéficier de la même faveur, mais il faudrait alors qu’ils nous aident comme Deman le fait « .

Un arbitre

Paul Allaerts :  » Evidemment, ces rumeurs pèsent sur les arbitres. Il est impossible d’en faire abstraction. Des confrères ont été mouillés en Allemagne, mais je n’ose pas imaginer qu’il y ait eu des magouilles arbitrales en Belgique aussi. Ce serait dramatique pour l’avenir de notre corporation. Si un arbitre est corrompu, il doit arrêter non pas demain… mais hier. Une intégrité totale est évidemment l’ABC de ce boulot. Depuis quelques mois, je remarque que les arbitres du championnat de Belgique sont plus nerveux qu’avant. Mais selon moi, ça n’a rien à voir avec les bruits de corruption. C’est simplement dû à la multiplication des caméras de télévision, qui mettent la moindre erreur de jugement en évidence « .

Belgacom TV

David Steegen (responsable du football auprès de la chaîne qui détient les droits télévisés du football belge) :  » La valeur de notre produit a baissé, c’est sûr. Mais nous sommes dans l’impossibilité de réagir aussi longtemps qu’aucun club, aucun joueur n’est condamné. Nous avions seulement le droit de manifester notre mécontentement et notre inquiétude auprès de la Ligue Professionnelle et nous ne nous en sommes pas privés. Nous lui avons envoyé un courrier dans lequel nous faisions remarquer qu’il y avait un gros problème. Mais notre champ d’action se limitait à cela.

Ce qui se passe est désolant par rapport à l’investissement consenti par Belgacom. Pour la toute première fois, les clubs de D1 bénéficient d’un tout bon contrat télé. Belgacom est devenu le premier sponsor du football belge. – NDLR : 36 millions d’euros par an pendant trois ans. Tout se professionnalise. Et puis boum, un truc comme ça qui nous tombe dessus ! S’il y a des condamnations, nous étudierons éventuellement un recours en justice. Mais on n’en est pas là. En attendant, nous continuons à observer avec beaucoup de satisfaction une nette progression de nos abonnés. C’est rassurant. Cette hausse d’intérêt se manifeste d’ailleurs dans les stades aussi. Le nombre de spectateurs est en augmentation, on refuse du monde à Bruges, à Anderlecht, au Standard. Le foot belge vit comme jamais, le championnat est plein de suspense. Il ne faut pas tout résumer aux problèmes des matches arrangés « .

Un sponsor

Alain Declercq (président du comité de direction de la banque CPH, sponsor principal de La Louvière :  » Les choses doivent être très claires dans l’esprit du public. Nous avons un contrat avec un club, la RAAL, pas avec un homme. Pas avec Filippo Gaone, encore moins avec Laurent Denis. Evidemment, chaque fois que j’aborde une réunion, on me parle de ce qui se passe à La Louvière. C’est dérangeant et je m’en passerais bien. Mais il n’a jamais été question, jusqu’à présent, de rompre notre contrat de sponsoring. Krefima l’a fait au Lierse mais le CPH ne veut pas le faire à La Louvière. On est dans un état de droit et nous ne voulons pas nous substituer à la justice.

Filippo Gaone est inculpé d’abus de biens sociaux, mais vous savez, je connais beaucoup de patrons de grandes banques qui sont inculpés pour avoir éludé l’impôt… Inculpé ne veut pas encore dire condamné, même si ça fait désordre. Il n’y a aucun élément objectif qui justifierait une rupture du contrat. Si le club n’avait plus la confiance de l’Union Belge et ne recevait plus sa licence, ce serait évidemment différent. A ce moment-là, le contrat de sponsoring n’aurait plus de raison d’être. Mais tout semble en ordre au niveau de la licence et le CPH ne veut surtout pas être le fossoyeur de la RAAL, donc le contrat continue simplement à courir.

L’avenir ? Notre accord arrive à échéance à la fin de cette saison. Il devrait être renégocié. Mais de là à dire qu’il sera prolongé ? On verra. Nous attendrons d’avoir tous les éléments en mains. La licence sera-t-elle belle et bien accordée à La Louvière ? Sera-ce en D1 ou en D2 ? Y aura-t-il eu du nouveau dans le dossier d’inculpation du président ? Notre banque pourra-t-elle continuer à faire confiance à l’équipe dirigeante en place ? Tous ces éléments pèseront évidemment dans notre décision. Dans l’état actuel, une prolongation me semble fort aléatoire, mais il est trop tôt pour prendre une décision « .

Un supporter

David Considérant (président de l’amicale des clubs de supporters de La Louvière) :  » Les supporters restent plus ou moins sereins et fidèles. J’en connais peu qui ne viennent plus au stade à cause des affaires. Il y a quelques dégoûtés, ceux qui ne supportent plus les gros titres négatifs dans la presse, mais ils sont peu nombreux. – NDLR : et il y a aussi cette plainte de deux supporters de Charleroi contre X qui estiment avoir été trompés sur la marchandise. Depuis des supporters lierrois les ont imités.

Nous restons à fond derrière l’équipe, et même derrière la direction aussi longtemps qu’on n’aura pas prouvé qu’elle a participé à la falsification de matches. Evidemment, nous sommes conscients que des joueurs ont marché dans la combine. Je ne citerai pas de noms, tout le monde les connaît, mais on ne peut surtout pas condamner tout un noyau à cause de deux ou trois tricheurs. Ce qui nous inquiète aujourd’hui, ce ne sont pas toutes les rumeurs mais la réalité du championnat. Il y a peut-être des équipes plus faibles que La Louvière, mais le classement nous préoccupe beaucoup « .

PIERRE DANVOYE

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