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Pour la première fois de la décennie, Anderlecht entame le championnat sans joueur wallon ou bruxellois dans le noyau A. Comment en est-on arrivé là ?

« Anderlecht est avant tout un club bruxellois et veut le rester. Si nous devons un jour faire le choix entre néerlandophones et francophones, nous prendrons l’option la plus intéressante « , disait Herman Van Holsbeeck il y a sept ans. Aujourd’hui, ces paroles prophétiques sont plus que jamais d’actualité. Sans vraiment s’en rendre compte, Anderlecht est devenu flamand. Depuis le début du siècle, cela se remarque fortement au sein des supporters, du personnel et des organes décisionnels importants du club. Mais aujourd’hui, cela se voit aussi dans le vestiaire : les neufs Belges du noyau ont tous grandi en Flandre : de Passendale à Essen en passant par Dilbeek, les joueurs ont brouté du gazon flamand quand ils étaient petits.

Un an après l’arrivée de René Weiler, Anderlecht est toujours à la recherche de sa nouvelle identité. La transition a parfois été brusque, l’envie de produire du beau football moins présente mais on ne peut pas reprocher à Weiler d’avoir manqué de cohérence. Dans le football tel que le Suisse l’imagine, les Flamands sont des bosseurs, des gens qui ne rechignent pas à faire un mètre de plus et qui sont généreux dans l’effort. Ils remplissent donc un rôle important dans l’équipe.

Ce n’est pas pour rien que Weiler est un grand fan de Leander Dendoncker. Ne dit-on pas que les joueurs flamands travaillent sans se plaindre ? Weiler a sans doute de la chance que les Flamands qu’il a sous ses ordres ne s’appellent pas Steven Defour ou Jelle Van Damme. Ils ont plutôt le profil du gendre idéal. Il y a peu de chances que Dendoncker, Frank Boeckx, Davy Roef, Pieter Gerkens ou Sven Kums soient un jour impliqués dans un conflit avec Weiler.

Ce noyau fait penser à celui d’Aimé Anthuenis, très flamand également. Sous la direction du Waeslandien, il y a toujours eu au moins dix Flamands sous contrat. Des joueurs qui, pour la plupart, tiraient la charrue grâce à leurs qualités spécifiques, entourés d’artistes francophones ou étrangers. Même s’il faut relativiser.  » Aujourd’hui encore, beaucoup de gens se trompent sur les qualités des joueurs flamands de l’époque « , dit Alin Stoica qui, au début des années 2000, a percé au sein d’une équipe dont l’épine dorsale était constituée de Filip De Wilde, Glen De Boeck, Didier Dheedene, Lorenzo Staelens, Bart Goor et Yves Vanderhaeghe.

 » Goor n’était pas seulement un marathonien. Vanderhaeghe, lui, récupérait peut-être tous les ballons mais il savait également faire passer rapidement la balle de gauche à droite. Staelens disputait encore la Ligue des Champions à 36 ans contre des attaquants comme Teddy Sheringham, Andy Cole et Dwight Yorke. On n’arrive pas à cela quand on est simplement un travailleur. C’est la preuve que les Flamands du groupe avaient aussi des qualités techniques. Ils étaient majoritaires mais ne tentaient sûrement pas de dominer le vestiaire. Si nous n’avions pas formé un groupe, nous n’aurions jamais remporté deux titres de suite et nous ne serions pas sortis de la poule de Ligue des Champions.  »

Un Flamand à côté d’un Wallon

Afin d’éviter les clans, Anthuenis et le team manager, Pierre Leroy, avaient réparti les joueurs dans le vestiaire afin que chaque francophone soit assis à côté d’un Flamand. Stijn Meert n’avait jamais joué qu’à Courtrai mais il ne fut pas perdu lorsqu’il pénétra pour la première fois dans le vestiaire d’Anderlecht, à 19 ans. Lors de sa première saison, il y avait onze Flamands.

 » Je ne l’ai même pas remarqué. Comme dans chaque club, il y avait trois groupes : les néerlandophones, les francophones et les étrangers. Pär Zetterberg et Enzo Scifo avaient beaucoup d’importance dans l’équipe mais on écoutait surtout les Flamands. Vous savez ce qui fait la force d’un vestiaire ? Il faut que chacun s’ouvre à l’autre. À Bruxelles, je suis devenu ami avec Bertrand Crasson, une des plus grandes personnalités que j’aie rencontrées dans le monde du football.  »

Au cours de son mandat, Anthuenis avait pris l’habitude de faire venir des joueurs flamands : David Brocken, Davy Oyen, Meert et Mike Verstraeten la première année, Tristan Peersman et Yves Vanderhaeghe la saison suivante, Gilles De Bilde, Marc Hendrickx et Joris Van Hout par la suite. Comme aujourd’hui, les Flamands qui débarquaient au Parc Astrid étaient de bons gars qui menaient une vie saine.  » Nous ne les avons pas transférés par stratégie et ce n’étaient pas des joueurs typiquement faits pour Anthuenis comme on l’a prétendu à l’époque « , dit le technicien.

 » À l’époque, Anderlecht et le Club Bruges étaient encore capables d’acheter les meilleurs Belges, qu’ils soient flamands ou wallons. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Des joueurs comme Kevin De Bruyne ou Thibaut Courtois sont devenus impayables pour les grands clubs belges et partent rapidement à l’étranger. N’oubliez pas non plus que 80 % des clubs sont flamands. Il en a presque toujours été ainsi. Il est, dès lors, logique qu’il y ait davantage de Flamands dans le noyau.  »

Anthuenis a été très critiqué parce que, selon certains, ces Flamands n’avaient pas le style de la maison. On estimait qu’Anderlecht produisait un football triste, ennuyeux et laborieux dont la tactique consistait à balancer des ballons vers Jan Koller. Des joueurs comme Zetterberg sont même allés trouver la direction parce qu’ils se posaient des questions quant à l’approche d’Anthuenis. Mais celui-ci a rapidement réussi à installer une culture du travail sans jouer au gendarme car les leaders avaient instauré un système de contrôle social.

Les joueurs sortaient et s’amusaient ensemble mais tout le monde savait quand il fallait s’arrêter de faire la fête et commencer à travailler. Le parallèle avec l’Anderlecht d’aujourd’hui est vite fait : le degré d’auto-régulation des Flamands est si fort que Weiler ne doit pas craindre un problème de mentalité, un virus qui, ces dernières années, a souvent contaminé le vestiaire de Neerpede.

Un vivier de plus en plus restreint

Ce qui inquiète, c’est moins le nombre important de Flamands dans le vestiaire d’Anderlecht que l’absence totale de joueurs francophones.  » C’est interpellant « , dit Thomas Chatelle, ex-médian d’Anderlecht devenu consultant et qui délivre les labels de qualité aux clubs amateurs de l’Association des clubs francophones de football (ACFF).  » Mais je trouve encore plus alarmant qu’à Charleroi ou au Standard, il y ait si peu de Belges francophones en équipe première.

Ce sont surtout ces deux clubs qui doivent commencer à se poser des questions, pas Anderlecht. J’ose espérer qu’il s’agit d’un phénomène passager – pour cela, il faudrait étudier les chiffres des deux dernières années – car je ne vois pas d’autre raison. Les joueurs francophones n’ont tout de même pas subitement disparu de la planète. Et je ne vois pas pourquoi un joueur né au sud du pays aurait moins de chances de réussir qu’un Flamand.  »

La semaine dernière, dans un journal flamand, Hein Vanhaezebrouck s’est insurgé contre la règle consistant à inscrire au moins six Belges sur la feuille de match.  » On doit faire attention car en obligeant les clubs à aligner de plus en plus de Belges, on va tirer le niveau vers le bas. On ne trouvera pas chaque année un Youri Tielemans ou un Leander Dendoncker. De plus, les grands clubs, Gand y compris, ne laissent pas partir leurs meilleurs joueurs chez un concurrent belge. On ramène donc des Belges de l’étranger. Tout le monde s’intéresse aux mêmes joueurs, ce qui provoque une surenchère ridicule.  »

En quelques phrases, Vanhaezebrouck a cerné le problème. Le vivier de joueurs belges est anormalement petit et le nombre de joueurs francophones est à l’avenant. Des joueurs comme Maxime Lestienne, Thorgan Hazard ou Laurent Depoitre sont devenus impayables pour Anderlecht et rechignent à revenir en Belgique. Quant aux joueurs du calibre de David Hubert (Mouscron), Timothy Castagne (Genk), Alessandro Cordaro (Zulte Waregem) ou François Marquet (Waasland-Beveren), les grands clubs ne se les arrachent pas. Or, l’apport de jeunes est insuffisant pour combler le trou.

 » En Wallonie, il y a le Standard, Charleroi, Mouscron, Tubize et c’est tout « , dit Pascal Guerman, un agent qui travaille avec Patrick De Koster.  » Je travaille avec quelques jeunes du Standard et je sais que ce club est le seul en Wallonie à avoir conclu un accord avec quelques écoles pour combiner les études et le sport de haut niveau. L’offre de joueurs francophones qui veulent le faire est donc limitée. Genk, le Club Bruges et même Anderlecht, qui collabore étroitement avec quelques écoles de la périphérie, proposent un parcours surtout axé sur les joueurs flamands. Mais les clubs flamands sont en train de refaire leur retard. À Gand, on cherche des solutions pour placer les joueurs francophones et à Bruges, on doit d’abord suivre des cours en immersion avant de pouvoir suivre la filière classique.  »

Des codes différents

La composition du noyau des Diables Rouges est la preuve qu’il n’y a pas encore lieu de paniquer. Ce n’est pas pour rien que le Club Bruges et Gand ont étendu leur champ de recrutement à la Wallonie. Les U19 du Club Bruges ont même été champions avec un tas de joueurs francophones.

 » Dans certaines équipes de Bruges, on parle plus français que néerlandais « , dit Alex Teklak, consultant et entraîneur à l’ACFF.  » Ils vont chercher en Wallonie des profils qu’ils ne trouvent pas chez eux. Pour le dire sous forme de boutade : les Flamands courent et les francophones, surtout les offensifs, sont plus créatifs, les plus imprévisibles. Bien sûr, il y a des contre-exemples, comme Kevin De Bruyne. Mais la star des Diables Rouges, c’est quand même Eden Hazard, un francophone…  »

À Anderlecht, on se demande sans doute quand le prochain véritable Bruxellois va éclore. Les Flamands se débrouillent bien à Neerpede – Roef, Dendoncker, Mile Svilar et Hannes Delcroix sont des joueurs de D1 ou proches de le devenir – mais c’est bien moins le cas des jeunes Bruxellois. On ne comprend toujours pas pourquoi des joueurs comme Aaron Leya Iseka, Andy Kawaya, Dodi Lukebakio et Nathan Kabasele ont stagné.

 » C’est un grand problème « , soupire Teklak.  » La seule exception, c’est Tielemans, l’ambassadeur de la communauté footballistique bruxelloise. Le vivier de la capitale est gigantesque mais on n’en fait rien. Ce n’est certainement pas uniquement la faute d’Anderlecht : je sais par expérience que les jeunes Bruxellois ne sont pas toujours bien encadrés. Ils sont livrés à eux-mêmes, ont été formés dans la rue et ont donc développé leurs propres codes footballistiques et culturels qui ne sont pas acceptés par certains clubs. Une autre culture et un autre mode de vie, ça demande une autre approche. Il faut être plus souple avec ces gars-là, sous peine de les perdre. Et je n’imagine pas que c’est ce que cherche Anderlecht, vu le temps et l’argent qu’il a investis en eux.  »

par Alain Eliasy – photos Belgaimage

 » À mon époque aussi, les Flamands étaient majoritaires mais ils ne tentaient pas de dominer le vestiaire.  » Alin Stoica

 » Je ne vois pas pourquoi un joueur né au sud du pays aurait moins de chances de réussir qu’un Flamand.  » Thomas Chatelle

 » Dans certaines équipes de Bruges, on parle plus français que néerlandais.  » Alex Teklak

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