Venus se décomplexer

Nos champions du tour de piste vivent intensément leur nouvelle vie aux Etats-Unis.

Cela fait exactement trois mois que le Spike d’or et le Spike d’argent ont posé leur sac à Tallahassee, la capitale de la Floride. Pour vivre autre chose. Pour apprendre. Pour progresser. Et le bilan trimestriel les satisfait.  » Tout va bien. Très bien même… « , confie Kevin lors de notre contact initial.

Jonathan abonde dans le même sens. Quoi de plus normal, direz-vous, pour des jumeaux ?  » On ne peut pas encore mesurer exactement le progrès, car nous n’avons pas encore commencé l’entraînement spécifique, mais on se sent bien. Tout est en place. Par rapport aux conditions que nous avons connues en Belgique, il y a nettement moins de stress, de dissipation et de pertes de temps. On peut se concentrer à 100 % sur ce qu’on fait. On ne doit pas courir aux quatre coins du pays pour s’entraîner en cas de mauvais temps. Tout est localisé à distance pédestre. Nous occupons un appartement à dix minutes du campus et on fait tout à pied. C’est pratique.  »

Pas de repos

La journée commence à 7 heures. Jonathan, qui a entamé des études en sciences économiques à Louvain-la-Neuve, suit quatre cours en matinée : biologie, mathématiques, informatique et anglais.  » Ce sont des cours que l’on appelle généraux, et ce n’est pas très difficile par comparaison au niveau belge « , fait il remarquer.  » Surtout les maths. L’anglais par contre reste un défi. Nous avons dû beaucoup travailler pour réussir l’examen d’accès au système scolaire américain : le TOEFL ( Test of English as a Foreign Language). On ne peut malheureusement pas dire que nous ayons été bien formés en Belgique au niveau linguistique.  »

Kevin reste lui aussi fidèle à son choix initial : la kinésithérapie, même s’il n’a pas eu vraiment le choix des cours (maths, anglais et nutrition) en raison d’une inscription tardive.  » Après les cours, on rejoint le Mike Long track complex vers 14 h 30 pour l’entraînement quotidien « , explique t-il.  » On travaille en général par petits groupes et l’ambiance est excellente entre nous. Notre coach, Ken Harnden, est génial. Et en plus, il est relax et sympa. Les sessions durent en général entre deux à trois heures. Six jours par semaine. C’est sans compter les soins (bains froids, massages…), la musculation (deux sessions hebdomadaires de trois heures chacune) et une session de sauts. Lors de l’avant-saison, nous avons insisté sur la puissance aérobie et l’endurance. Nous entrons progressivement dans la phase de capacité lactique et de puissance musculaire. Pendant la saison, qui commence dans deux semaines, on transforme les acquis dans le mouvement spécifique et la résistance. Après l’entraînement, on a une session d’anglais avec un tuteur. Et puis on rentre à la maison. On cuisine nous-mêmes pour pouvoir mieux contrôler les calories et la valeur nutritive. Il n’y a guère que le dimanche pour songer à autre chose. Mais il reste en fait très peu de temps pour des loisirs…  »

Exiger le maximum

En constatant le choix de vie et l’horaire de ces deux jeunes hommes, tout juste âgés de 21 ans, la question du possible burn-out brûle les lèvres. C’est Jacques, le papa – présent à Tallahassee jusqu’à la fin du mois – qui y répond.

 » Après les JO de Pékin, j’ai demandé à Kevin et Jonathan ainsi qu’à leur soeur Olivia s’ils voulaient continuer. Sans aucune hésitation, tous trois m’ont répondu par l’affirmative. Je ne les pousse pas outre-mesure. Ils pourraient arrêter demain et ça ne me poserait pas de problème. Mais dès le moment où ils ont fait un choix, j’entends les aider au maximum. Je suis pour le sport de haut niveau, mais j’exige par contre qu’il soit assorti de diplôme.  »

Pendant que ses garçons, dans une magnifique gestuelle synchronisée, enchaînent quatre solides 300 mètres, éprouvants par 24 degrés et un vent assez fort (40, 32,9, 33,5 et 35,3 secondes), Jacques se confie.  » La ligue d’athlétisme n’a pas été très enchantée d’apprendre que Kevin et Jonathan allaient s’exiler aux States. Elle en perdait le contrôle, l’exclusivité de son assistance, la paternité de leurs performances… Nous nous sommes adressés à l’agence Overboarder, spécialisée dans l’obtention de bourses d’études pour athlètes non américains. Outre la Florida State University, on a considéré Auburn (Alabama) et Baylor (Waco, Texas). Un facteur déterminant pour FSU fut le coach en charge des sprints, des relais et des haies, Harnden. Ken, double olympien (1996 et 2000) pour le compte du Zimbabwe, jouit d’une excellente réputation. C’est en outre un garçon très accommodant puisqu’il a d’emblée accepté d’appliquer le programme d’entraînement que je concocte toujours pour les garçons. « 

Fuir l’immobilisme

Jacques Borlée n’a pas déterré la hache de guerre avec la ligue belge francophone d’athlétisme et les autorités sportives en général (Comité olympique, ADEPS…).

 » Pourtant, je persiste à croire que nous ne faisons pas assez pour le sport en Belgique, tant au niveau populaire qu’au niveau de l’élite. Pourquoi ? Quelles sont les raisons de ce manque d’engagement et de moyens ? Pourquoi ne pourrait-on pas faire aussi bien chez nous que dans d’autres pays et notamment les States, toutes proportions gardées ? Nous devons aussi avoir une culture d’excellence, la volonté de tirer vers le haut. Nous devons faire une analyse en profondeur de la situation du sport en général en Belgique et prendre les décisions qui s’imposent. C’est un peu en réaction à l’immobilisme qui règne chez nous que Kevin et Jonathan tentent l’expérience aux Etats-Unis. Une expérience unique, mais avec des objectifs multiples : apprendre l’anglais, se décomplexer par rapport aux Américains, apprendre et prendre ce qui est bon ici et peut-être en conclure que l’on peut faire aussi bien. « 

Jacques parle en toute connaissance de cause. Il a été lui-même athlète de très haut niveau (vice-champion d’Europe du 200 m en 1983, notamment). Il s’exprime clairement, posément, sans aucune agressivité. Sans non plus se départir d’objectivité.  » Maintenant, attention, tout n’est pas noir en Belgique. Au contraire. Nous avons une grande richesse humaine, des gens extraordinaires. Je pense en particulier à Vincent Querton (Jones Lang Lassalle), à Patrick Marchandise (PMDS), M. Knauf (Knauf Construction), Claude Barnéis (Nike) qui nous soutiennent contre vents et marées, et pas seulement financièrement. Et puis la fédération continue à nous apporter son aide. C’est ainsi que dans quelques jours, quatre spécialistes vont nous rejoindre à Tallahassee : Frank Dewitte (biomécanicien), Marc Francaux (physiologiste), Philippe Godin (psychologue) et Didier Verhasselt (kinésithérapeute).  »

Rien n’est impossible

Quatre spécialistes qui vont faire le bonheur des enfants et… du papa !  » C’est vrai que je suis passionné par ce que j’appelle la technologie du sport « , avoue-t-il.  » D’un point de vue intellectuel, c’est passionnant. Le plus intéressant, c’est que ces recherches peuvent non seulement profiter à l’athlète au niveau de ses performances, mais aussi à tout un chacun. Un exemple : beaucoup de maux de dos, par exemple, pourraient être combattus en tirant les leçons au niveau de la posture et des exercices spécifiques. Nous avons aussi fait des recherches biomécaniques au niveau de l’ouverture de la bouche des sprinters en plein effort. L’amélioration des performances est désormais dans les détails. Et que dire alors de la démarche mentale ? Elle est essentielle chez l’athlète. « 

Et en tout cas très spécifique chez les jumeaux Borlée. D’une seule voix, Kevin et Jonathan ont répondu  » Toujours !  » à la question de savoir s’ils s’encourageaient mutuellement et s’ils trouvaient, dans l’autre, la volonté de pousser toujours plus loin.

Jacques poursuit sur ce thème :  » Dans ma carrière, j’étais animé d’un mental hors du commun, d’une folle audace, d’une grande volonté. Je pensais que rien n’était impossible. Et cela m’a aidé. Il reste beaucoup à faire à mon sens pour insuffler confiance aux athlètes. Les Américains le font très bien. Eux aussi se sentent invincibles. Je crois beaucoup dans cet aspect de la préparation des sportifs et plus précisément toutes les notions que je regroupe sous le terme vigilance : éveil, observation, anticipation, curiosité, attention… Quand les garçons ont décidé, vers l’âge de 16 ans, de se lancer dans le sport de haut niveau, j’ai insisté pour qu’ils vivent en kot. Pour leur donner le sens des responsabilités, pour gérer et se gérer : nourriture, horaires, entretien, hygiène de vie, sommeil… Ça les a bien formés et cinq ans après, ça leur sert toujours puisqu’ils vivent actuellement ici de manière autonome. « 

Attentes importantes pour Olivia

Tous ces efforts, toutes ces démarches, tous ces sacrifices tendent bien entendu vers une amélioration des performances. Mais rien n’est facile, ni surtout automatique. Les Borlée restent d’une prudence de… Sioux (les Séminoles nous pardonneront cette infidélité !).  » Nous travaillons bien et nous sommes plus puissants « , observent sobrement Jonathan et Kevin. Pour les chronos, on verra. Pas de pronostic. Le but reste de donner le meilleur de soi même. De se donner à fond. Le sport, c’est 20 % de talent et 80 % de travail. L’objectif à long terme est de s’améliorer chaque année. « 

Les attentes pour la grande s£ur Olivia – qui a rejoint ses frères à Tallahassee le 11 avril, le lendemain de son 23e anniversaire – sont plus précises.  » Elle est en grande forme « , confie le papa.  » On attend cette année une nette amélioration des performances, que j’estime aux environs d’un 11.30 s aux 100 mètres et d’un 22.80 s aux 200. Pour les championnats du monde à Berlin, l’objectif sera les demi-finales en individuelle et la finale au moins en relais. « 

Pour Kevin et Jonathan, les premières échéances sont derrière la porte. Du 23 au 25 avril, l’équipe Track & Field de la FSU participera aux célèbres Penn Relays à Philadelphie. Cette compétition, organisée depuis 1895, est le plus ancien meeting d’athlétisme aux Etats-Unis. Un des plus populaires aussi puisqu’il attire en moyenne 15.000 athlètes des niveaux secondaire et universitaire et 100.000 spectateurs, dont la moitié le samedi, pour les finales.

Ensuite, après les qualifications des 29 et 30 mai à Greensboro (Caroline du Nord), l’équipe s’envolera pour Fayetteville (Arkansas) pour les championnats nationaux universitaires, qui s’y tiendront du 10 au 13 juin. L’objectif sera de décrocher le 4e titre national de rang. Une performance qu’aucune université n’est encore jamais parvenue à réaliser.

Le grand événement de l’année sera bien entendu le pow-wow mondial de Berlin du 15 au 23 août. Un solide rendez-vous. On souhaite à Kevin et Jonatan de pouvoir y ajouter quelques plumes à leur coiffe…

par bernard geenen

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