Van Kers roule pour Charleroi… et parle de foot!

L’ancien coach d’Ostende met désormais son expérience au service des Spirous. Et du foot en général…

Lundi après-midi. Lucien Van Kersschaever aide Giovanni Bozzi et Fulvio Bastianini pour l’entraînement des Spirous à la Coupole. Le citoyen de Blankenberghe est passé dans le camp de l' »ennemi ». Ce n’est pas la première fois. En 1996, après la glorieuse période malinoise, il avait établi ses quartiers à la salle Gaston Reiff afin de devenir l’entraîneur des Castors de Braine qui lui avaient mis tant de bâtons dans les roues précédemment. « Il n’y a pas d’ennemis, simplement des rivaux sportifs. Je vais là où l’on veut bien de moi, ce n’est pas plus compliqué que cela »? précise-t-il.

Quel souvenir gardez-vous de votre période ostendaise?

Lucien Van Kersschaever: Je me suis bien amusé là-bas… jusqu’au soir du match à Ypres, lorsqu’on m’a signifié que je ne devais plus venir à l’entraînement le lundi suivant.

Vous avez connu deux clubs aux philosophies totalement différentes. A Ostende, on estime qu’un coach est usé après un an et demi, ou deux ans. A Charleroi, Giovanni Bozzi entame sa onzième saison…

A Malines, j’étais resté douze ans également. Personnellement, je suis partisan de la continuité. C’est le seul moyen de suivre un fil rouge au sein d’un club. Mais je ne veux plus parler du passé. Je préfère regarder devant moi.

C’est cocasse de vous retrouver sous les ordres de Giovanni Bozzi.

Sous les ordres? Je donne mon avis, simplement. Et je ne considère pas que je suis rentré dans l’ombre pour vivre une fin de carrière paisible: je n’ai jamais été aussi peu à la maison qu’actuellement.

L’une de vos tâches est de dispenser des entraînements spécifiques aux pivots. Est-ce le même travail que vous avez effectué jadis avec Rik Samaey et Eric Struelens?

Oui. Et avec Tomas Van den Spiegel, Christophe Beghin, Piet De Bel… A Charleroi, nous avons eu la malchance que Sébastien Buja et Didier M’Benga se soient blessés. Sébastien avait même vécu chez moi, à Blankenberghe. Il avait déjà beaucoup progressé. Pour lui, il n’est pas trop tard… même s’il avait échoué à Louvain. Je suis persuadé que, la saison prochaine, il rejouera en D1. Le problème, c’est qu’il faut toujours être sur lui… pas à côté de lui. Il a recommencé à s’entraîner individuellement. Nous espérons qu’à partir de janvier, il pourra retâter du basket. Didier a découvert ce sport assez tard, mais ce n’est pas un inconvénient. Ses atouts de départ sont sa taille et son physique. Il doit apprendre les mouvements de base du pivot. Mais il apprend très vite. C’est dommage qu’il se soit blessé, car en août, lorsqu’il avait disputé des matches amicaux avec Charleroi, il commençait déjà à s’intégrer dans le jeu.

Charleroi doit apprendre à jouer en Europe

Votre autre mission est de visionner les adversaires européens de Charleroi. Par quoi êtes-vous le plus impressionné dans les matches d’Euroligue?

Par l’agressivité défensive, la vitesse d’exécution et le physique des joueurs.

Au début des années 90, Malines a réalisé des exploits dans l’Euroligue qui s’appelait encore Final 16. On se souvient de victoires contre le Real Madrid, Trévise et Limoges entre autres. Aujourd’hui, Charleroi a du mal à remporter un petit succès. Le niveau du basket européen s’est-il élevé ou celui du basket belge a-t-il régressé?

Le niveau s’est élevé des deux côtés: en Europe et en Belgique. Jouer en Euroligue, c’est une question d’habitude et d’adaptation. Lors de ses premières expériences, Malines avait aussi reçu des gifles mémorables. Progressivement, les joueurs avaient appris à jouer au niveau européen. C’est-à-dire, faire face à une défense très serrée et exécuter les gestes habituels à une vitesse supérieure. On ne joue pas le même basket en Europe qu’en Belgique. Pour Charleroi, tout cela est encore très neuf. Je trouve que les Spirous se débrouillent bien, car ils sont tombés dans un groupe très relevé.

Il y a de plus en plus d’étrangers dans le championnat de Belgique. On les engage parce qu’ils sont meilleurs ou parce qu’on n’a pas la patience de former des Belges?

Un dirigeant pourrait mieux vous répondre que moi. Je ne suis qu’un simple coach. Mais un joueur doit être prêt à jouer en D1, belge ou non. Combien de Belges sont-ils prêts à jouer en D1? Il faut admettre qu’engager des étrangers est une question de facilité. Toutefois, les clubs belges ne sont pas assez riches pour se contenter uniquement de l’achat de joueurs. Prenons l’exemple de Wevelgem. Ce club possède quatre bons joueurs belges: Tom Van de Keere, Piet De Bel, Sébastien Bellin et Anthony Denoyel. On peut y ajouter Matthias Dejaeger et d’autres jeunes. A leurs côtés, il y a quatre étrangers: Omar Sneed, Greg Harris, Andy Gardiner et Goran Starcevic. Pour progresser, je ne vois qu’une solution: comme Wevelgem n’a pas assez d’argent pour acheter quatre étrangers qui sont meilleurs que les actuels, il faut travailler avec les quatre joueurs belges afin qu’ils s’améliorent.

Autre cas: cette saison, Ostende a mieux joué avec Gerrit Major qu’avec Eric Elliott. Pourquoi, alors, avoir engagé le distributeur américain?

C’est une question qu’il faut poser à Johan Vande Lanotte. A Liège, j’ai vu un joueur qui a un mauvais coeur, un mauvais genou et trop de poids. Mais il a failli gagner le match. Je me demande pourquoi on ne voulait plus de lui à Ostende. C’est une autre question qu’il faudrait poser à Johan Vande Lanotte.

Waseige dépend des clubs

Et le foot?

Quand j’observe le rapport entre les bonnes et les mauvaises passes, les assists et les pertes de balles, en basket, quand ce rapport est un-un, nous disons que c’est bon. Un assist pour deux mauvaises passes, c’est mauvais. Mais dans un match de football, c’est parfois un-cinq, voire un-six!

Et les Diables?

Je suis supporter des Belges. Mais ces deux matches contre la Tchéquie ont dû être disputés parce que la Belgique n’est pas prête à participer au Mondial. Un sélectionneur dépend des clubs, qu’il s’appelle Waseige, Van den Bosch, De Cauwer ou De Vlaeminck. Si les joueurs ne savent pas préparer de joueurs, vous ne pouvez former une équipe nationale. Si les clubs ne comprennent pas que tout commence par la formation des jeunes, comme le FC Malines l’a saisi du temps de Fi Van Hoof et de De Mos… Il tournait très bien. J’entraînais Maes Pils Malines, nous étions voisins. Comme nous sommes devenus professionnels, j’ai eu plusieurs entretiens avec de Mos et Van Hoof. Je voulais savoir ce qu’ils faisaient, comment tout fonctionnait. Je n’ai jamais eu le plaisir de discuter avec le bonhomme d’Auxerre -comment s’appelle-t-il?

Guy Roux.

Ce sont des exemples, des gens que nous devons imiter. La formation est une question de temps et de patience. On ne peut préparer un enfant à évoluer au plus haut niveau en deux ou trois ans. Il faut huit à dix ans. Les clubs doivent acquérir cette patience. Pas question de se mêler de transferts car sur ce plan, la Belgique n’est plus dans la course. De ce point de vue, le football et le basket ont les mêmes problèmes.

Qu’est-ce qui marche en Belgique? Le tennis féminin et le judo. Parce que les jeunes sont préparés à l’élite dans les écoles de tennis, dès leur plus jeune âge. C’est pareil en judo. Le football, lui, ne transmet pas ce message.

Personne ne réussit à l’étranger?

Ces dix dernières années, un seul joueur y est parvenu: Luc Nilis. Et avant, Eric Gerets. D’autres ont évolué en Italie mais Nilis a joué au sommet. Gerets aussi.

Et Marc Wilmots?

Wilmots a joué à un bon niveau à Schalke 04, pendant un certain temps. Mais le club l’a quand même revendu. Wilmots a un gros atout: il a un coeur gros comme ça, beaucoup d’engagement, une volonté fantastique. Mais sa technique? ( Il soupire)

Ça ne semble plus être important. A condition de savoir courir.

Et de jouer sèchement? Je n’y crois pas. La technique reste la base de tout. Quand vous la maîtrisez parfaitement, vous devez l’exécuter à un rythme très élevé. Observez tous ces grands footballeurs en Angleterre. Ils sont capables d’utiliser leur technique même quand ils sont sous pression, à un rythme soutenu. Même si je sais qu’on ne forme pas une équipe avec dix joueurs comme Beckham. Il faut aussi des travailleurs, derrière. Même un Jaap Stam dispose d’une technique plus qu’honorable.

Foot brésilien, argentin et anglais

Les Belges misent sur leur engagement…

On a des oeillères. On ne veut pas voir ce qui se passe autour de nous. Or, perfectionner sa technique n’est vraiment pas difficile. Il faut s’entraîner, s’entraîner et encore s’entraîner. Tous les jours.

Vous regardez des matches plus longtemps que vous ne l’avouez…

Je suis Manchester toutes les semaines mais pas longtemps. Quatre ou cinq minutes. Six, peut-être. Je suis incapable de suivre un match complet. J’aime beaucoup le football brésilien, comme l’argentin et l’anglais. Je viens d’une famille de footeux. Deux de mes oncles ont joué. L’un au Cercle, Josef Van Kersschaever, et l’autre, côté maternel, au Club Brugeois, Albert Rauw. A l’époque de Raymond Braine. Le café de mes parents abritait le local du Daring Blankenberghe, un club de Provinciale…

Le basket a de l’avance sur le foot?

Il s’est intéressé beaucoup plus tôt à l’aspect tactique: on analyse l’adversaire et on adapte son style de jeu. Je constate qu’en foot aussi, on commence à parler de zone. En basket, nous analysons et exerçons toutes les facettes du jeu avec deux ou trois joueurs. Ça se fait aussi en football, pour les corners et les coups francs, mais nous le faisons depuis 40 ou 50 ans. Nous visionnons depuis longtemps les cassettes de l’adversaire, comme de notre propre équipe pour analyser le jeu. Waseige est un fin connaisseur de basket et en utilise certainement des aspects en football. Les joueurs sont unis par un élastique invisible. Un joueur ne peut bouger sans entraîner les autres, sous peine de causer des problèmes. Parfois, quand je vois certaines phases en football!!! L’arrière reçoit le ballon sur le flanc et est pressé par l’ailier adverse. Sa seule issue est de céder le ballon en retrait. Mais le centre-avant ou l’autre ailier le laissent faire… Quel sens ont les efforts du premier ailier, qui harcèle son opposant, si les autres se grattent le nez au lieu de se mettre en mouvement et de gêner le gardien? En basket, on coupe les angles de l’adversaire mais il suffit qu’un seul néglige son travail pour que celui de tous les autres soit inutile. C’est pareil en football.

Vous voyez trop peu de combinaisons?

Je n’en vois pas en Belgique! Or, il faut travailler pour mériter son argent. Un footballeur doit vivre au moins huit heures par jour pour son sport. Il ne doit pas nécessairement passer tout ce temps sur le terrain mais il peut consacrer une heure à une analyse vidéo, une heure à la musculation, il doit prendre du repos, se faire soigner, etc. Un professionnel doit être présent au club à huit heures et rentrer chez lui huit heures plus tard.

Alors qu’ils rentrent à midi, sans que personne ne se soucie de ce qu’ils font le reste de la journée.

de Mos m’a dit: le repos est une forme d’entraînement. Je n’ai pas compris tout de suite mais il avait raison. Maintenant, ils rentrent à la maison, ils accompagnent leur femme au Delhaize et ils poussent le chariot pendant quarante minutes. Ne pensez-vous pas que c’est fatigant? Bien davantage que 40 minutes de technique ou de tirs au but.

Un entraîneur doit éduquer tout le monde

Vous avez une collection impressionnante de vidéos. Combien de football?

Cinq environ, mais elles sont très importantes. Celles de l’école de l’Ajax et du préparateur physique de Feyenoord. Elles traitent essentiellement de l’apprentissage de la technique chez les enfants: équilibre, rapidité du jeu de pieds, mouvements latéraux, plyometrics, agility. Sur la cassette de l’Ajax, on voit Patrick Kluivert tout jeune. Au bout du compte, le ballon n’a plus le moindre secret pour ces enfants. Amorti du pied, de la cuisse, de la poitrine… On ne peut progresser que si on maîtrise les basic skills.

Un entraîneur doit-il être un enseignant?

Avant tout, oui. Mais il faut aussi coacher. Certains entraîneurs ne sont pas des formateurs et bâtissent leur équipe en recrutant des joueurs. Guy Thys et Raymond Goethals étaient de brillants entraîneurs car ils étaient d’excellents recruteurs. Ils savaient très précisément le type de joueurs dont ils avaient besoin à telle place. C’était du coaching à l’état pur.

C’est l’essentiel pour un sélectionneur…

Oui, mais à condition que les entraîneurs de clubs fassent bien leur travail. C’est là que ça foire. Trop souvent, les clubs jugent leur entraîneur sur les résultats de l’équipe. Mais ce n’est pas de ça qu’il s’agit. Il faut le juger sur son travail.

Les clubs ne le font pas, notamment parce qu’ils se laissent influencer par la presse, qui ne juge généralement que les matches et les résultats.

Alors, il revient à l’entraîneur d’éduquer les média. En discutant avec eux, en leur montrant comment on joue. Ecrivez dix lignes sur les joueurs qui étaient bons et une seule sur celui qui était mauvais. Vous ne devez pas taire son nom mais lui accorder moins d’intérêt.

La presse est-elle là pour créer un climat positif?

Oui, absolument.

Donc, quand Waseige déclare que la presse a une approche trop négative des Diables Rouges alors que tous, nous souhaitions que la Belgique se qualifie pour la Coupe du Monde …

… il a raison.

Tout comme Waseige, vous avez la réputation de vous énerver à la moindre question critique.

Oui, quand la question est prématurée. Après un match, il faut accorder au moins un quart d’heure aux joueurs. Les bons managers pourraient accomplir un travail important en apprenant aux entraîneurs et aux joueurs comment se comporter avec la presse. Faire des déclarations qui peuvent nuire au club n’a pas de sens. Même si elles sont fondées…

Daniel Devos et Jan Hauspie

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