« Van der Elst m’a démoli »

Son aventure au GBA s’est mal terminée. Il sera Loup la saison prochaine.

Ce qu’il y a de bien, en été, outre le soleil bien sûr, c’est que les interviews n’ont plus lieu au club mais dans des endroits différents. Manu Karagiannis (34 ans) nous a ainsi invité chez lui, dans sa maison ornée d’un magnifique jardin anglais. En découvrant cela, on n’est pas du tout étonné par le fait que, depuis de nombreuses années, le Limbourgeois préfère faire les navettes plutôt que de déménager. Bientôt, il devra parcourir près de 300 km par jour pour jouer à La Louvière.

« J’ai évoqué ce problème avec le président de La Louvière dès notre premier entretien mais je continuerai à habiter ici et il a compris mon point de vue », explique Karagiannis. « Pendant cinq ans, j’ai effectué le trajet entre Genk et Anvers. Avant cela, pendant un an, je suis allé chaque jour à Bruxelles. En soi, ce n’est pas très loin. La distance compte moins que le temps. Le problème, ce sont les embouteillages. La Louvière, c’est un peu plus loin mais je ne mettrai pas plus de temps. J’estime qu’il est trop tard pour déménager. Nous sommes ici chez nous, nous avons tout. »

Sept ans après être passé de Seraing à Anderlecht (un club qu’il quitta après quelques mois pour l’Antwerp), Karagiannis va franchir une nouvelle fois la frontière linguistique. « J’avais plusieurs propositions mais La Louvière fut la première à se manifester et la plus concrète. Nous sommes tombés d’accord en un soir. J’ai opté pour ce club parce que j’avais un bon pressentiment. Il me fait penser à Seraing. »

Il a joué en Flandre, à Bruxelles et en Wallonie, il peut donc comparer. Les mentalités sont-elles si différentes? « C’est la mentalité bruxelloise que j’apprécie le moins, sans doute parce que je ne m’y suis guère amusé. Le problème, c’est le mélange des langues. Chaque groupe a ses journalistes, ses favoris. Cette rivalité ressurgit parfois sur les joueurs. A Liège, j’ai passé du bon temps, avec des gens très sociables. C’est ce que je ressens également à La Louvière et l’avenir me dira si je me trompe ou non. »

Ce fils de mineur a-t-il l’impression de retrouver ses racines? « Vous savez, à Anvers, il fallait aussi travailler. C’est vrai qu’on voit que La Louvière est le club du peuple, avec une moyenne de sept à huit mille personnes dans un très vieux stade qui compte peu de places assises et où le prix du billet d’entrée est encore bon marché. Les Loups veulent progresser sur le plan sportif et c’est dans ce but qu’ils m’ont engagé, ainsi que Suray. Il y a aussi Thans, Olivieri… L’objectif est de terminer dans la première moitié du classement, de connaître une saison tranquille. »

A-t-il parlé avec Daniel Leclercq? « Très brièvement. Il m’a posé quelques questions car il ne me connaissait pas personnellement. Il avait entendu certaines choses venant de joueurs et de la direction. J’ai donc dû parler un peu de moi. Après, il m’a dit que je me décrivais comme les autres m’avaient décrit et il était content. »

Alors, comment Karagiannis s’est-il dépeint? « Pff… Vous connaissez mes qualités, dites ce que vous voulez. Je suis dur, j’aime la discipline mais je suis aussi très droit et c’est très important, l’honnêteté. »

Thans a déclaré que le club cherchait des joueurs revanchards: Suray, Karagiannis, Dias… Tous ont envie de remettre certaines choses à leur place. « Je ne suis pas revanchard par rapport à ce qui s’est produit cette année. J’ai simplement envie de rejouer régulièrement. Je sais ce dont je suis encore capable, je suis loin d’être usé. En football, tout peut être terminé du jour au lendemain mais je ne pense pas que ce soit le cas. Ce qui s’est passé cette année n’a rien à voir avec mes qualités ou avec mes prestations et c’est ce que je veux démontrer. Alors oui, finalement, vous pouvez dire que je suis un peu revanchard. »

Remis d’une petite arthroscopie au genou, il reprendra les entraînements le 7 juillet. Contrairement à la saison dernière, il évoluera à nouveau dans l’entrejeu. « Ah oui, c’est très important, même si je n’ai jamais renié aucun autre rôle, même pas au GBA. Là aussi, j’étais un médian mais j’ai accepté le projet de l’entraîneur de m’aligner au libero. Et je ne l’ai jamais regretté. »

C’est pourtant là-dessus qu’on l’a jugé. « Il est facile de juger quelqu’un. Je n’éprouvais aucun problème parce que je prenais mes responsabilités. Je nuançais mes prestations et j’étais le premier à dire qu’elles n’étaient pas toujours très bonnes. Mais c’est collectivement que nous échouions et tout le monde avait des problèmes. Ce n’est que lorsque l’équipe a trouvé un certain équilibre que cela a recommencé à fonctionner. Et ce n’est sans doute pas un hasard si cela a coïncidé avec le moment où j’ai retrouvé l’entrejeu. »

Le GBA s’est imposé à l’Antwerp et Karagiannis estime y avoir livré « un très bon match. » La semaine suivante, suspendu, il cède sa place à Lendvai, qui se tire fort bien d’affaire et ne sort plus jamais de l’équipe. Pour Karagiannis, la saison est terminée. « Je ne l’ai jamais accepté car c’était la première fois de ma carrière qu’on me retirait après une bonne prestation. Avant le championnat, tout le monde disait qu’en jouant au libero, j’allais faire défaut dans l’entrejeu car nous étions inexistants dans ce secteur et nous ne parvenions pas à conserver le ballon devant. Le poids du match reposait donc sur la défense. J’étais nouveau au libero. Je n’étais pas content de mes prestations. Alors, comment pouvais-je organiser et diriger une défense? Puis, à l’Antwerp, ce fut le déclic. »

Il était temps car la critique se faisait virulente, y compris à l’égard de l’entraîneur. « Si nous n’avions pas remporté ce match, Franky Van der Elst aurait peut-être été viré. Mais nous avons gagné et tout le monde a senti que cela allait mieux. » Karagiannis, lui, était condamné à rester sur le banc. Une situation qui l’irritait. « L’entraîneur ne me donnait aucune explication. Je lui ai dit qu’il n’avait d’ailleurs aucune raison de me retirer de l’équipe et que c’est pour cela qu’il ne voulait pas discuter. Finalement, j’ai dû attendre décembre avant d’avoir un entretien avec lui. »

Qu’en est-il ressorti? Que Karagiannis ne jouait pas suffisamment en profondeur? « Je n’étais pas d’accord et ce n’était d’ailleurs pas le seul point de discorde. Je connais mes qualités, je sais que je peux donner un assist. Franky a effectué un choix personnel et tout était dit. Si je devais dire tout ce qui n’allait pas chez nous, vous vous délecteriez, mais à quoi cela servirait-il? Je n’ai aucun problème avec les entraîneurs qui sont durs et corrects mais je ne supporte pas l’injustice. Je sais ce dont je suis capable. Lorsque les supporters, les dirigeants et les autres joueurs disent que je dois retourner dans l’entrejeu et que cela ne se produit pas, c’est que quelque chose ne va pas. Puis, on finit par m’y remettre mais on m’enlève alors que je joue bien: c’est un mystère. »

Karagiannis était bien vu par les supporters, avait quelques amis dans la presse et venait au vestiaire même lorsqu’il était blessé. Au GBA, on n’appréciait pas trop son attitude. « Je faisais ce que j’estimais nécessaire de faire en tant qu’ex-capitaine et joueur expérimenté. J’ai parlé aux jeunes, j’ai essayé de les aider. Je pensais à l’équipe. C’est pour rendre service que j’ai accepté de jouer au libero. Franky a également discuté lorsqu’on a voulu faire de lui un libero et il a fini par retourner dans l’entrejeu. Moi, je n’ai pas eu cette chance. Lorsque l’équipe a commencé à tourner, il m’a écarté. Je considère sa réaction comme un règlement de comptes et cela me fait beaucoup de peine.

Franky m’a démoli, y compris dans ses déclarations. Il disait toujours qu’il comptait sur moi, mais quand Dhont s’est blessé, il a préféré aligner un débutant. Alors, je me demande s’il comptait vraiment sur moi. Estimait-il que ce n’était pas ma place? Possible, mais alors, pourquoi m’a-t-il fait entrer au poste d’arrière droit la semaine suivante? Ça, c’est encore moins ma place. Non, tout cela n’est pas logique. Il a été injuste avec moi, il a touché à ma carrière, j’en suis convaincu. »

Estime-t-il injuste que Sport/Foot Magazine l’ait considéré comme Flop de l’année du GBA? « Tout cela n’est pas ma faute mais celle de Van der Elst. On peut être un flop parce qu’on joue mal mais aussi à cause des circonstances. Je suis un flop si on compare ce que j’ai fait cette saison avec ce que j’ai montré par le passé. Mais ce n’est pas ma faute, je n’ai rien à me reprocher. C’est pourquoi cela ne me touche pas trop. »

Sans mettre en cause son intelligence, Karagiannis n’a-t-il pas manqué de subtilité pour cacher sa déception? N’a-t-il pas envenimé la situation? « Ce n’est pas une question de subtilité. Je dis ce que je pense. Quand je suis heureux, cela se voit. Et si je suis fâché aussi. Il ne faut pas cinq secondes pour s’en rendre compte. Quand je ne supporte pas quelqu’un, je le lui dis. Y compris au club. Je ne me dispute pas pour autant et cela n’a aucune influence sur le terrain car nous sommes des collègues et nous faisons tout pour gagner. Mais ce n’est pas pour cela que je déroge à ma ligne de conduite. Evidemment, quand on occupe un rôle qui consiste à tirer les autres, on ne se fait pas que des amis en agissant de la sorte. Celui qui n’est pas un meneur n’a pas de problème et semble toujours spontané, sympathique. Nous vivons dans un monde d’hypocrites, il faut s’en faire une raison. »

Il ne fit pourtant pas beaucoup de bruit en public. « J’aurais sans doute réagi de façon beaucoup plus virulente il y a cinq ans. Aujourd’hui, je suis plus expérimenté, j’ai réfléchi et je me suis montré patient. Maintenant que j’ai un autre club, tout cela est terminé. Je suis resté sur le banc, je n’ai pas réagi de façon stupide et je n’ai pas été renvoyé dans le noyau B, ce qui m’aurait pénalisé davantage encore. Si je n’avais plus eu envie de jouer au football et que cela avait été ma dernière saison, j’aurais peut-être réagi différemment. Mais on aurait encore dit de moi que j’avais un sale caractère. »

N’a-t-il jamais envisagé de partir? « Si. A un certain moment, j’ai eu la possibilité d’aller en Arabie Saoudite mais l’offre ne s’est malheureusement jamais concrétisée, sans quoi j’aurais accepté d’y jouer jusqu’en juillet avant de rentrer en Belgique. J’ai également songé à chercher quelque chose en Hollande ou en Allemagne parce que je me demandais s’il servait encore à quelque chose de rester en Belgique. Cela dit, je suis parti du GBA à cause de Van der Elst, mais si je le vois, je lui serrerai la main. Je ne veux pas tirer dessus. Il m’a fait du mal mais c’est du passé et il faut aller de l’avant. En football, on rencontre beaucoup de gens: des bons mais aussi des personnes avec qui on ne s’entend pas ou qui sont injustes. Cela m’est arrivé deux ou trois fois en quinze ou seize ans de présence en D1. »

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Peter T’Kint

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