VALEUREUX LIÉGEOIS

On ne compte plus les pépites liégeoises. Même s’il y a forcément quelques boulets dans le lot, la Cité Ardente s’impose depuis quelque temps comme une mère nourricière. Et, dès vendredi, le Royaume aura faim. Explications.

Dans les deux sens, l’E40 respire à souffle coupé. Quand les uns rejoignent leur  » bordure extérieure « , les autres brûlent l’asphalte pour rejoindre la maison mère. Le soleil – fait rare pour être souligné – éblouit la cohue. De Cointe, la tour du Mémorial Interallié observe, en compagnie du Sacré-Coeur, comme à la croisée des mondes. Plus loin, le paysage vert de vallons laisse la gare des Guillemins, ce Stade Vélodrome réplica, s’imposer dans la brume des gaz d’échappement.

C’est de là que bouillonne la Cité Ardente et sa province. De là que, depuis un certain nombre d’années, sont forgés les fers de lance du sport liégeois, wallons et nationaux.  » Il y a une grosse culture sportive à Liège. Quand on fait un événement sportif dans la région, il y a souvent beaucoup de monde « , remarque Steve Darcis, au micro d’Inside Sport sur Equinoxe FM, radio locale.  » On voit que les gens sont très intéressés. Maintenant, est-ce que c’est de la chance ? Est-ce que c’est dû à autre chose ? C’est difficile de le dire…  »

Sébastien Pocognoli, autre figure de  » Lîdje « , lance quelques éléments de réponse.  » Culturellement, c’est une ville où il y a beaucoup de nationalités, c’est chaleureux et on aime y vivre. Je ne connais aucune personne passée par là qui n’apprécie pas son passage. Au moins 9 personnes sur 10 vous le diront.  » Liège serait donc cette ville où l’on accueille bien tout le monde et où il fait bon vivre, même sous une pluie de côté en novembre. Alors, comme le stipulent les adages, on laisse pleuvoir et on relève la  » creste « …

Quand Jean-Michel Saive, héros du coin avant de devenir icône immortelle, évoque un  » facteur chance évident « , Michel Faway, le  » Monsieur Sports  » du coin, tempère aussi :  » On ne peut pas dire que nous avons les infrastructures les plus florissantes, puisque ce n’est pas le cas.  » Mais alors pourquoi Liège s’impose-t-elle comme une référence en matière de sports ? Kén’ affaire…

LIÈGE, BERCEAU DU SPORT EN BELGIQUE

 » A travers l’histoire, la principauté de Liège a toujours eu la réputation d’être un peu à part et on traite souvent les Liégeois de principautaires « , pose Marc Cloes, installé dans son bureau du département des sciences et de la motricité de l’Université de Liège (ULg). Pendant plus de mille ans, la principauté, par le jeu des alliances et des héritages, couvre un territoire allant de la Wallonie, de la Flandre, de la Hollande et du Luxembourg actuels.

 » Les monarques extérieurs n’avaient finalement rien à leur dire et les Liégeois étaient fiers de leur indépendance.  » Le perron, qui en impose autant sur la place du Marché que sur le logo du RFCL, symbolise cette volonté d’émancipation, qui y fait presque office de tradition.  » Alors, on dit que le Liégeois à un esprit un peu revanchard. Il faut toujours qu’il fasse à sa manière, qu’il entreprenne, qu’il conduise les choses, ce qui parfois agace un peu d’autres personnes en Wallonie. Les industries connaissent peut-être aujourd’hui une période creuse, mais son bassin sidérurgique a été le creuset de la révolution industrielle belge.  »

Et qui dit révolution industrielle, dit influence british. Sur les bords de la Meuse, à quelques encablures de Sclessin, John Cockerill pose les jalons de sa société sidérurgique fin 19e. Elle deviendra le fleuron de l’industrie royale.  » Ce bassin sidérurgique est important. Les clubs comme Tilleur ou le Standard sont nés là et ça a suivi, surtout à l’époque où c’était un passe-temps « , explique  » Séba  » Pocognoli, visiblement devenu historien dans les Midlands.  » Liège a été le berceau de pas mal de sports en Belgique « , abonde Alain Etienne, membre actif de l’ASBL Liège Sports, qui a remplacé l’échevinat.  » On est notamment la province qui a le plus de clubs de basket et ce, depuis l’époque où on jouait encore sur du tarmac…  »

Puis, progressivement, la ville-fanion élargit son terrain de jeu, au point de se constituer un vivier plutôt conséquent. Presque 700 000 dans l’agglomération – la 3e du pays -, un million dans l’ensemble de la province : la mère nourricière a des bouches à nourrir.  » Si on la prend dans son ensemble, à la fusion des communes, Liège est une grande ville qui s’est adjointe sa périphérie. Tandis que Charleroi, par exemple, est une ville de dimension nettement moindre. Elle est allée brasser plus large. Liège était un pôle bien avant les autres villes wallonnes.  »

Mais elle n’en est pourtant pas la capitale, ce qui fait peut-être sa force. Liège, c’est l’impression même de vivre dans une grande ville qui n’en est pas une et vice-versa.  » Le facteur géographique n’y est pas pour rien. Il y a une forte densité de talent au kilomètre carré « , continue  » Poco « .  » A Liège, je n’ai jamais entendu quelqu’un qui soit mal reçu. Les Sud-Américains, les Africains s’y sont toujours bien sentis. Les questions culturelle et sociale jouent sûrement, puisqu’il y a des villes bien plus belles, où le temps est bien plus agréable, mais ça ne se passe pas pareil…  » Parce que Liège, c’est aussi et avant tout une terre d’amour.

DROIXHE UN JOUR, DROIXHE TOUJOURS

S’aventurer dans ses rues pavées permet de le sentir. La vie à Liège s’articule autour d’un totem validé par tous : accueil, chaleur, intégration. En grande partie grâce à ses étudiants, jamais avares en  » guindailles « .  » Cette chaleur est bien de chez nous. Tu vas à huit heures du soir à Namur, c’est pas la même chose que si tu viens à huit heures ici, dans le carré « , remarque Faway.

Posté à la table d’un bistrot situé à quelques pas du perron, le patron de Liège Sport en est persuadé,  » il y a un fil conducteur qui lie l’athlète au club, du club à la ville et aux supporters, qui sont un peu plus latin dans leur comportement qu’ailleurs.  » Une effervescence globale en partie due au FC Liège et au Standard.

 » Liège, c’est chaud, mais c’est aussi très cosmopolite « , rappelle Kismet Eris, agent, entre autres, de Christian Benteke.  » C’est fort méditerranéen et ça a un impact. Le Standard s’inscrit là-dedans, c’est une équipe qui peut accueillir tout le monde. J’ai l’impression que 60 % des membres de l’équipe nationale sont soit Liégeois, soit passés par Liège.  » Sur les 23 sélectionnés par Marc Wilmots pour l’Italie, sept étaient effectivement dans ce cas, sans compter les blessures de ChristianBenteke, KevinMirallas et NacerChadli, trois Diables de la diaspora liégeoise issus de l’immigration.

 » Ici, immigration veut aussi dire intégration « , certifie Faway, entre une Jup et deux ouftis.  » Ils viennent principalement de pays du Sud et ils s’intègrent facilement dans une mentalité comme la nôtre. Ils ont rencontré à Liège un état d’esprit qui est proche du leur.  » Coeur sur la main, prêt à rendre service et bonne gouaille, voilà donc ce qui seraient les caractéristiques du  » Liégeois type « . Plutôt essentiel quand il s’agit de passer le brassage sans secousse.

 » Liège, c’est le mélange des cultures, il y a ce sentiment où on est bien ensemble « , souligne Pocognoli.  » Beaucoup jouaient dans la rue « , poursuit Eris.  » Il y a le club de Pierreuse (le premier de Benteke, ndlr) qui a oeuvré pour les jeunes, avec le Standard qui venait les chercher jusque-là. Tu sais ce qu’on dit : ‘Droixhe un jour, Droixhe toujours‘. Même quand on est à l’étranger, on revient souvent s’y ressourcer.  »

Alors que l’agent organisait une réplique du Mundial pour les gamins de Droixhe, sous la coupe de Michel Faway, Benteke avait tenu à être présent.  » A la fin du tournoi, Christian m’a dit : ‘Tu permets ?‘ « , se souvient Faway.  » Et il a fendu la foule pour aller faire un bisou aux gamins. Tu ne vois pas ça chez tout le monde…  » Une façon pour lui d’éponger son saudade, sorte de nostalgie langoureuse de sa terre natale.

À LIÈGE, LE FAIT MAISON PRIME

 » Même s’il n’y a pas tant d’argent que ça, le Liégeois est ambitieux au niveau sportif. Il a la faculté de s’adapter partout, on le voit justement avec Darcis et Goffin « , analyse Thomas Cauwenberghs, taulier des Red Wolves, l’équipe nationale de hand.

 » Les jeunes sont fort tournés vers le sport. On le voit dans les écoles, à l’ULg où les élèves de haut niveau sont bien accueillis.  » Des jeunes comme Perrine Devahive (voir encadré) ou Nafissatou Thiam, grande promesse de l’athlétisme belge, qui combine heptathlon et études de géographie.

 » On a pas mal de jeunes qui viennent parce que l’université les attire. Et pendant ce temps-là, ils sont dans des clubs liégeois « , se réjouit Etienne, certain de tenir quelque chose. Surtout que les jeunes, très tôt aiguillés vers les clubs, peuvent se tester avant de sauter le pas.

 » A l’école, il y avait des grilles et tu cochais ce que tu voulais faire puis on te mettait dans les clubs « , se rappelle Cauwenberghs.  » C’est comme ça que j’en suis venu au handball.  » L’idée, pensée par la Maison des Sports, sûrement l’un des services les plus efficaces de la Fédération Wallonie-Bruxelles, porte aujourd’hui les fruits d’un travail en amont (voir encadré).

 » En 2011, le projet SPEED (Sport d’Excellence et d’Education) voit le jour pour répondre à l’appel du gouvernement voulant implanter un centre d’entraînement commun à une majeure partie des fédérations francophones. Face à Mons et Louvain-la-Neuve, la ville de Liège, la Province, la ville de Seraing et l’ULg s’associent.

 » Le but était d’accueillir les sélections francophones pour leur permettre de se retrouver, vivre ensemble et faire des économies d’échelle « , rembobine Cloes, alors coordinateur du projet. C’est l’occasion de passer en revue tous ses atouts. Sur 8 des 16 disciplines concernées, Bruxelles compris, Liège est la province qui compte le plus d’affiliés.

Mieux, elle est la seule à en compter au moins 20 % dans chacun des sports représentés. Elle est aussi la seule à posséder un plan d’eau en Belgique favorable au kayak et une des rares piscines olympiques, à Seraing. Mais, finalement, les institutions décident de ne pas décider et la répartition des centres d’entraînement est fractionnée entre les villes candidates.

 » Mais ça n’a rien à voir avec il y a une vingtaine d’années et Charleroi, qu’on appelait ‘La sportive‘ « , assure  » Jean-Mi  » Saive.  » J’ai beaucoup joué là-bas, ils importaient pas mal de Liégeois…  » A la différence donc qu’à Liège, le  » fait maison  » prime.

UNE CULTURE DE FORMATION

Outre les classiques Liège-Bastogne-Liège et les passages du Tour de France,  » L’EURO Fête au pays de Liège  » s’inscrivait déjà dans cette lignée. De décembre 1999 à l’an 2000, la Cité Ardente s’enflamme pour l’EURO, histoire de passer le nouveau millénaire au chaud. Résultat : presque 4 millions de participants, un soutien de 400 personnalités, 120 membres bossent dans 5 équipes de travail pour plus de 200 activités. Un succès total qui fait danser Tchantchès et réjouit Willy Demeyer, déjà bourgmestre à l’époque.

 » C’est un statut qui nous met en confiance, car il nous prouve que Liège est capable d’organiser et d’encadrer des évènements d’envergure internationale.  » Cloes abonde :  » Tout a été mis en avant pour que Liège vive et que les gens se sentent vivre à Liège.  » La ville se place ainsi tout doucement parmi les cadors du domaine dans le Royaume, en dépit d’un manque flagrant de structures adaptées et efficaces.

 » Il y a un gros manque d’infrastructures, c’est une vraie lacune « , peste Cauwenberghs, exilé en D1 française, à Ivry, après avoir connu le dur béton des débuts.  » Tu vas partager ta salle avec le volley, le basket, etc. Si je retourne jouer à Flémalle, c’est le même sol que quand j’ai commencé à jouer, je vais me fracturer un genou…  »

Et pourtant, ce constat du  » on fait avec ce qu’on a  » n’empêche en rien les talents d’éclore. Un autre membre de Liège Sport note que cette réussite est liée également à  » la qualité des entraînements. Même si Liège Basket est ouvert pour les jeunes, le niveau n’est pas un nivellement par le bas. C’est pareil en athlétisme. On ne peut pas arriver comme ça au plus haut niveau, il faut qu’il y ait des entraîneurs qui les poussent et qui les fasse progresser.  »

Cloes lui emboîte le pas :  » Il y a une culture de la formation qui fait que, dans les grandes disciplines à leur plus haut niveau, on retrouve au moins le nom d’un club liégeois.  » Liège reste donc le lieu des possibles, là où tout peut arriver, et, parfois, sans trop savoir pourquoi. Là où, entre deux vallons, Steve Darcis et David Goffin ont fait mûrir l’espoir d’un premier succès en Coupe Davis, 111 ans après. De quoi définitivement donner ses lettres de noblesses à celle qui les a vus naître.  » Valeureux liégeois, fidèle à ma voix, vole à la victoire et la liberté de notre cité te couvrira de gloire…  »

PAR NICOLAS TAIANA – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Liège, c’est la plus forte densité de talents au kilomètre carré en Belgique.  » SÉBASTIEN POCOGNOLI, DIABLE ROUGE

 » A l’école, tu cochais quel sport tu voulais faire, puis on te mettait dans les clubs.  » THOMAS CAUWENBERGHS, RED WOLVE

 » En équipe nationale, 60 % des joueurs sont soit liégeois, soit passés par Liège.  » KISMET ERIS, AGENT DE CHRISTIAN BENTEKE

 » Ici, immigration veut aussi dire intégration.  » MICHEL FAWAY, LE MONSIEUR SPORT LIÉGEOIS

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