Vaisseaux urbains

Pourquoi les clubs quittent-ils les villages pour retourner s’établir en ville?

Dans les années 50, les clubs de basket avaient surtout droit de cité dans les villes. On jouait dans des préaux d’école et même souvent à l’extérieur, sur des plaines de jeux qui n’étaient pas encore prises d’assaut par les voitures.

Bruxelles a vécu ses heures de gloire avec le Royal IV et les Semailles. A Anvers, on trouvait l’Antwerpse, le Brabo et Zaziko. Sans oublier l’Hellas de Gand. Puis, dans les années 80 et au début des années 90, le centre de gravité du basket belge s’est déplacé vers la province. Bruxelles et Anvers ont éprouvé de plus en plus de difficultés à nouer les deux bouts. Pour payer les joueurs, qui n’étaient pas encore professionnels à l’exception des Américains mais qui ne jouaient plus gratuitement, il fallait dénicher des sponsors (généralement des PME) et des spectateurs. On les trouvait, le plus souvent, dans des gros villages ou des villes de moyenne importance, de préférence là où il n’y avait pas de club de football en D1. C’est ainsi que l’on a vu apparaître Braine-l’Alleud, Pepinster ou Quaregnon. Aujourd’hui, pourtant, on constate un retour vers la ville. Pour payer grassement les joueurs, notamment les étrangers qui sont de plus en plus nombreux, mais aussi les Belges qui se montrent de plus en plus gourmands, le sponsoring d’une PME ou les rentrées aux guichets ne suffisent plus. Un soutien politique est quasiment devenu indispensable.

Dans les années 90 déjà, Monceau était devenu Charleroi. Puis, Quaregnon est devenu Mons-Hainaut. L’an passé, à peine promu en D1, Fléron est devenu Liège. Et, cette saison, Pepinster est devenu Verviers-Pepinster et Estaimpuis est devenu Tournai-Estaimpuis. Il y a des raisons à ce phénomène. Nous avons enquêté auprès d’Eric Somme (président de Charleroi), Guy Lheureux (président de Mons-Hainaut), Jean Joly (président de Liège), Jean-Pierre Darding (manager de Verviers-Pepinster) et Sébastien Claeyssens (directeur du marketing à Tournai-Estaimpuis).

Pourquoi les changements de noms?

E. Somme: Monceau est devenu Charleroi en 89-90, lorsque le club a quitté la salle Ballens pour s’établir à la Garenne d’abord, à la Coupole ensuite. C’était d’abord une question d’infrastuctures. Par ailleurs, le fait de porter le nom d’une grande ville aide lors de la recherche du sponsoring. On est plus crédible aux yeux des partenaires potentiels.

G. Lheureux: Lorsque nous avons déménagé aux Halles de Jemappes en 1994, nous avions conservé le nom de Quaregnon durant la première saison, mais le bourgmestre de l’époque n’était pas très heureux qu’en évoluant sur le sol montois, avec des dépenses inhérentes à la Ville de Mons (entre autres les frais de police), nous avions gardé notre patronyme d’origine. L’année suivante, nous avions trouvé un compromis et nous nous sommes appelés Quaregnon-Mons. Puis, il a bien fallu franchir le pas et s’appeler Mons-Hainaut. Sentimentalement, je le regrette: je suis né à Quaregnon et je vis à Quaregnon. Mais budgétairement, c’était indispensable. La Ville de Mons nous a accordé un subside de 2,5 millions. La Province du Hainaut également. Aujourd’hui, comme la Ville de Mons connaît quelques problèmes financiers, Elio Di Rupo a réduit ce subside. Certains sponsors tiennent aussi à être associés au nom d’une grande ville. Les Cimenteries d’Obourg, par exemple, n’accordaient de sponsoring qu’à des clubs faisant partie de l’entité de Mons.

J. Joly: Lorsque le club est monté en D1, en mai 2000, il m’était apparu indispensable de quitter la salle de Fléron. Elle venait pourtant d’être construite, mais elle n’était pas adaptée à l’élite (notamment au niveau de la capacité et de l’accueil des VIP) et elle n’avait pas été conçue exclusivement pour le basket. A Liège, le Country Hall du Sart-Tilman récemment rénové était prêt à nous accueillir. Le public de la Principauté, sevré de basket au plus haut niveau depuis de longues années, était demandeur lui aussi.

J.P. Darding: Dans notre cas, l’équipe n’a pas changé de salle: elle évolue toujours à Wegnez. Mais nous avons constaté qu’il devenait très difficile de développer des relations commerciales de tout type si l’on restait au niveau d’un petit village. La ville de Verviers était d’autant plus intéressée par une collaboration qu’il y a très peu d’équipes sportives de haut niveau dans la région: le club de football de la REDV évolue en Promotion. Au niveau de la formation des jeunes, nous avons pris des accords avec des clubs de la région verviétoise: Rouheid, Saint-Michel, Ensival et l’Ecole Polytechnique. Et nous essayons d’agrandir le cercle. Il faut vaincre certaines réticences au départ, mais à long terme, je pense que nous réussirons. La formation des jeunes représente 10% du budget dans notre club. En outre, dans une plus grande ville, on a plus de chances d’attirer du monde. Et il est temps, car je constate une petite désaffection du public.

S. Claeyssens: La raison principale du changement de dénomination est le déménagement. L’administration communale d’Estaimpuis était prête à consentir un investissement de 7 millions pour aménager la salle du Domaine d’Estaimbourg, où évoluait le BC la saison dernière, mais cela se résumait à l’installation d’un parquet et à un rafraîchissement des lieux. Il était impossible de porter la capacité de la salle à 2.000 places, condition requise -après une période transitoire d’une saison- pour évoluer en D1. Dans un an, le club aurait de toute façon dû déménager. Tournai disposait d’une salle suffisamment vaste et moderne, prête à nous accueillir. En outre, la ville -ravie d’héberger enfin un club sportif de haut niveau- a décidé de soutenir le club. Pas financièrement, mais via un sponsoring qu’elle apporterait. Les repas VIP d’avant-match seront également servis dans la crypte de l’Hôtel de Ville (construit sur le site d’une ancienne abbaye). Par ailleurs, au niveau de la connaissance du club, porter le nom de Tournai est un atout supplémentaire: la personne qui habite au fin fond du Limbourg ou du Luxembourg a plus de chances de pouvoir le situer que si on lui parlait d’Estaimpuis. C’est aussi plus porteur au niveau des sponsors.

Le basket devient-il un sport majeur?

E. Somme: En tout cas, les bourgmestres des grandes villes sont désormais sensibles à l’idée d’avoir une équipe de basket sur leur territoire. Il faut simplement regretter que Bruxelles ne soit plus représentée au plus haut niveau.

G. Lheureux: J’aimerais répondre par l’affirmative, mais pour devenir un sport majeur, il faudrait d’abord que la fédération se professionnalise. Or, actuellement, j’ai parfois l’impression qu’elle appuye sur le frein alors que les clubs-phares, comme Charleroi et Ostende, voudraient accélérer le mouvement.

J. Joly: C’est en tout cas le signe que le basket grandit. Voici un an, des supporters nostalgiques m’avaient reproché d’abandonner le nom de Fléron. Ils avaient rétorqué: « Nos voisins, eux, continuent de s’appeler Pepinster ». Je leur avais répondu: « Qui sait si, dans douze mois, ils ne s’appelleront pas Verviers? » Je ne croyais pas si bien dire.

J.P. Darding: Il y a eu un leurre. On a parlé, autrefois, du basket comme du sport de l’an 2000. La NBA fut effectivement une attraction. Mais le sport en tant que tel, pratiqué sur un terrain par des jeunes avec un ballon, c’est autre chose. J’ai été fort surpris en allant voir un match de 2e Provinciale, récemment: ces gens jouent au basket pour faire de l’exercice, mais ne s’intéressent pas du tout à ce qui se passe en D1.

S. Claeyssens: Le football viendra toujours en tête des préoccupations des sportifs belges. Mais le basket est un sport en devenir. Les jeunes s’y intéressent de plus en plus. Le public tournaisien doit encore être éduqué au basket. Certains anciens supporters d’Estaimpuis ont suivi le club dans son déménagement, mais pas tous. Un nouveau public doit être créé. Heureusement, la plupart des gens qui ont, un jour, pénétré dans une salle de basket en sont ressortis séduits.

Un club professionnel est-il encore viable sans un soutien politique?

E. Somme: La Ville de Charleroi ne fournit pas d’efforts particuliers en faveur du basket. Elle nous soutient au même titre que le football, le volley, le tennis de table ou d’autres sports. Les Spirous sont moins dépendants de l’aide politique que les clubs d’autres villes, comme Ostende, Liège ou Mons. Nous sommes présents depuis dix ans au plus haut niveau et nous avons eu le temps de nous tisser un réseau de relations commerciales. La ville nous aide surtout au niveau des infrastructures. J’admets que ce n’est pas rien, car le nouveau Palais des Sports sera un bel outil.

G. Lheureux: C’est très difficile, à moins d’avoir au sein du club des gens hyper-compétents qui possèdent des ramifications, style Paul Frère ou Etienne Davignon. Dans chaque club, il y a un homme politique haut placé. Chez nous, c’est Elio Di Rupo, mais en fin gestionnaire, il n’ira jamais au-delà de ce qu’il a en caisse. Il n’y a aucune raison qu’il offre au basket ce qu’il refuse à d’autres clubs. Et l’on sait qu’il existe actuellement une polémique avec le club de football de l’AEC Mons, dont l’ancien bourgmestre est le président. Elio Di Rupo nous a aidé dans l’obtention de certains sponsors, je ne le cache pas, mais nous ne recevons pas autant que d’autres clubs. J’envie parfois les Spirous lorsque je vois à quel point ils sont aidés par la Ville de Charleroi -qui achète notamment des sièges VIP- ou le club de Liège qui bénéficie d’un soutien important de la part du bourgmestre Willy Demeyer. Je me suis laissé dire, également, qu’Estaimpuis recevait 15 millions de la Ville de Tournai. Je ne suis pas jaloux: ce soutien politique est profitable au basket.

J. Joly: Le bourgmestre Willy Demeyer est un ancien basketteur et s’intéresse de fort près à notre club. Il ne nous accorde pas de sponsoring direct, mais son nom est précieux lors de la recherche des sponsors.

J.P. Darding: Je répondrai franchement: c’est non. La Belgique est un trop petit pays. En outre, le marché est divisé en deux. Un sponsor ne peut pas faire de miracles. Dans les clubs les plus performants, la moitié des budgets proviennent des hommes politiques. Lorsqu’on lit que Johan Vande Lanotte apporte 70 à 80 millions à Ostende, on a compris. Je ne tiens pas à dévoiler ce que nous apporte exactement la ville de Verviers. Cela va au-delà d’un simple don d’argent, c’est plus profond. Il y a une réelle volonté de collaboration.

S. Claeyssens: Il est difficile de répondre à cette question. A Tournai, nous disposons d’un soutien politique, mais nous ne recevons pas un franc de l’argent public. Nous louons la salle au même titre que tous les autres clubs de l’entité.

Daniel Devos

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