Va te soigner!

L’international irlandais ne regrette pas d’avoir envoyé un adversaire à l’hôpital: histoire d’une vengeance.

Récit d’une phase de jeu:  » Cela faisait 180 minutes que j’attendais Alfie, quatre ans, si vous calculez autrement. Je le vois récupérer un ballon près de la ligne de touche. Il se moquait de moi. J’avais patienté assez longtemps. Je l’ai descendu violemment. Il y avait également le ballon dans les parages (du moins je le crois). Prends ça, salaud. Et n’essaie plus jamais de dire que je fais du cinéma quand je suis par terre et que je me plains pour une faute. Je n’ai même pas attendu que Mc Elleray, l’arbitre, me montre le carton rouge. Je me suis retourné et j’ai pris le chemin du vestiaire ».

C’est le passage incriminé du livre de Roy Keane intitulé Keane-The Autobiography, un livre écrit en réalité par Eamon Dunphy. Dunphy, c’est cet ex-international irlandais devenu journaliste qui s’est distingué l’été dernier en se présentant bourré dans les studios de la TV irlandaise. Il s’agissait de commenter un match de l’Irlande au Mondial. Le Dunphy en question a copieusement insulté le sélectionneur Mick McCarthy, lequel avait eu le grand tort de chasser Roy Keane de l’équipe, juste avant la Coupe du Monde.

Pour en revenir à l’histoire de Roy et Alfie, ou plus précisément à l’antagonisme qui oppose Keane à Alfie Inge Haaland, un joueur de Manchester City, il faut remonter à septembre 1997. Leeds rencontre Manchester United. A l’époque, Haaland joue à Leeds. Keane se lance dans un tacle sur le médian norvégien mais l’affaire tourne mal pour l’Irlandais. Il reste collé au sol victime d’une blessure au genou qui l’obligera à observer un long arrêt. Haaland s’approche et lui hurle de se relever, de ne pas faire de cinéma. Keane se jure qu’il se vengera. « Comme me l’avait dit Bryan Robson, le temps te donnera un coup de main », rappelle Keane.

Le 21 avril 2001, c’est le derby de Manchester à Old Trafford et dans les rangs de City, se trouve le Norvégien. Il ne reste que peu de temps à jouer quand Keane décide qu’est venu le moment de se venger. Il se lance dans une glissade assassine, jambe tendue à hauteur du genou, sans aucune chance de toucher le ballon. Haaland s’écroule et, en pleine transe, le médian de United s’approche de lui pour l’insulter. Un véritable spot pour la violence. La fédération suspend le capitaine de United pour quatre journées et l’incident est clos.

La bombe du 2 août

Eté 2002. Keane fait à nouveau parler de lui. Alors que l’équipe d’Irlande est en stage aux Iles Marianne, il est renvoyé dans ses pénates par son entraîneur. Cet épisode va égratigner encore un peu plus l’image du joueur mais, par rapport au scandale qui va éclater le 2 août, il ne s’agit que d’une broutille. Ce jour-là sort la biographie de l’ex-capitaine de l’Irlande. Une bombe! Depuis le 21 avril, Haaland n’a disputé que deux rencontres et demie. A 29 ans, il songe à mettre un terme à sa carrière. Mais le livre de Keane ressemble à un aveu et le Norvégien demande à ses avocats de voir s’il n’y a pas moyen de traîner son bourreau devant les tribunaux.

Le biographe de Keane tente alors de défendre son ami en prétendant que la responsabilité de ce qui a été écrit lui incombe entièrement. Mais Keane ne se contrôle pas. Dans une interview accordée à The Observer, publiée le 1er septembre, l’Irlandais persiste et signe: « Je voulais faire savoir à Haaland que je ne l’avais pas oublié. Non, je ne regrette pas ce que j’ai fait. Même dans le vestiaire au terme de la rencontre, je ne nourrissais aucun remord. Ma seule pensée était: – Tu doist’en foutre. Il avait eu ce qu’il méritait ».

Et pour rendre l’interview encore plus intéressante, il avoue avoir subi une longue période de dépendance à l’alcool qui l’a rendu dépressif avant de lancer une nouvelle attaque à l’égard de McCarthy, entre-temps viré début novembre: « Le sélectionneur national peut pourrir en enfer ».

237.000 euros d’amende

Et la saga continue. Le 31 août, United rend visite à Sunderland, club dans lequel militent plusieurs internationaux irlandais du calibre de Nial Quinn, Jason McAteer et Kevin Kilbane. Le capitaine de Manchester s’en prend à McAteer. Après un contact qui rend Keane fou de rage au point que l’arbitre doit l’empêcher de se faire justice lui-même, Mc Ateer taquine son compatriote en l’invitant à tout écrire dans son prochain livre. Le spectateur neutre assiste à un bon moment comique. Mais Keane n’apprécie pas et, quelques instants, plus tard assène un coup de coude à McAteer. Il est exclu. Et la suspension tombe à point: Keane doit se faire opérer à la hanche depuis belle lurette et Alex Ferguson décide que le moment est arrivé, rendant ainsi la suspension inutile.

Le 15 septembre, la Football Association suspend Keane pour cinq journées à partir du 4 novembre et lui inflige une amende record de 237.000 euros. C’est le triple du montant payé par Patrick Vieira en 1999, pour avoir craché sur Neil Ruddock. Keane et Manchester ne vont pas en appel.

Le bouquin rapporte: la maison d’édition Penguin a versé 1,5 million d’euros au joueur. Rien qu’en Grande-Bretagne, Irlande non comprise, plus de 100.000 copies de l’édition hardback (couverture rigide) ont été vendues. Il a donc largement dépassé les autres best-sellers du foot. Pour déguster les 294 pages de Keane-TheAutobiography, il faut débourser 28,42 euros.

En Angleterre, il est vrai, on ne compte plus les biographies de héros des stades. Peu ont pourtant fait autant de bruit que celle de Keane. Même si certaines ont mis le doigt sur l’un ou l’autre scandale. Tony Adams racontait dans Addicted sa lutte contre l’alcool et son expérience de la prison pour conduite en état d’ivresse. Il y a deux ans, Tony Cascarino révéla qu’il n’aurait jamais pu jouer pour l’Eire parce qu’il n’avait aucun lien de sang avec l’Irlande. Et pour décrocher un contrat avec l’Olympique Marseille, il n’avait pas hésité à changer sa date de naissance sur son passeport. En 1998, Glenn Hoddle divulguait les secrets du vestiaire, ce qui lui valu son quota d’ennuis. Dans Blessed, Georges Best évoquait la trajectoire qui l’a mené à l’alcoolisme. Et, plus récemment, il y a eu Honest, l’autobiographie d’ Ulrika Jonsson la maîtresse de Sven Goran Eriksson qui décrit, entre autres, ses aventures avec les footballeurs Stan Collymore et Les Ferdinand.

Nicolas Ribaudo, avec ESM

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